C’est un cliché, mais le paysage médiatique est en constante transformation. Les médias d’information sont en perte de vitesse partout dans le monde, et le Canada ne fait pas exception, au contraire. Ces changements ont un impact sur notre vie démocratique et politique. Les campagnes électorales sont de moins en moins planifiées en fonction des besoins des médias traditionnels. Les partis politiques ne peuvent pas encore se passer d’eux pour faire connaître leurs messages et leurs candidats, mais ils savent pertinemment que les médias ne sont plus aussi incontournables qu’avant. En démocratie, cela présente un danger certain.

Au niveau local, les salles de nouvelles sont de plus en plus rares. Quand il y en a, elles sont de plus en plus petites. Cette réalité frappe fort, dans tous les types de médias.

En fait, plus de 200 communautés canadiennes ont vu au moins un média local fermer ses portes au cours des 10 dernières années. Presse écrite, radio, télévision, peu importe : tous font face à une compétition inégale de la part des médias sociaux, qui publient leurs contenus sans redevances tout en accaparant plus de 80 % des revenus publicitaires.

Au niveau national, les cotes d’écoute des grands bulletins télévisés sont en baisse, les chaînes d’information en continu voient leur base d’abonnés péricliter, à mesure que les foyers délaissent leurs abonnements au câble au profit des Netflix et Amazon de ce monde. Les journaux supplient les gouvernements de leur venir en aide, malgré une incapacité à véritablement adapter leur modèle d’affaires à la nouvelle réalité. En dépit des compressions, convergences et autres mesures d’efficience, la rentabilité n’est toujours pas au rendez-vous. Même ceux qui ont tenté un virage numérique n’ont pas connu le succès escompté. Les radios sont de plus en plus standardisées, avec programmation normalisée et animation centralisée.

Cette réalité médiatique favorise par le fait même une transformation politique des communications directes avec l’électeur. Les médias étant perçus comme de moins en moins importants pour jouer le rôle de courroie de transmission privilégiée, les partis politiques raffinent de plus en plus leurs techniques afin d’éviter le filtre des médias.

De toute façon, puisque la masse consomme de moins en moins d’information analysant les problèmes politiques complexes, il se révèle plus profitable pour les acteurs politiques d’accroître eux-mêmes la portée de leur message, en surfant sur le journalisme superficiel et en ciblant les électeurs. Ceux-ci se privent souvent d’information crédible et diversifiée au profit de nouvelles qui viennent renforcer leurs opinions préconçues, aidées en cela par les algorithmes mis en place par des multinationales qui ne vivent que par la course au clic.

Les médias locaux demeurent cependant une priorité pour les partis politiques afin de véhiculer leur message. Les journaux régionaux, en particulier, souffrent d’un manque d’effectifs et d’une incapacité chronique à générer désormais du contenu original. Il n’est pas rare de voir des nouvelles publiées par de petits quotidiens ou des hebdos qui reprennent largement des paragraphes entiers provenant de communiqués émis par les partis politiques. Ces reportages sont presque des publireportages : on reprend souvent la nouvelle en citant le communiqué, sans poser de questions. Une véritable aubaine, surtout lorsque le contenu est ensuite mis en ligne, ce qui permet aux partis politiques d’amplifier la nouvelle en faisant appel à leurs armées de trolls et autres bots.

Les médias nationaux ont eux aussi de moins en moins de moyens. L’espace consacré à la politique va en diminuant. Le nombre de journalistes par rapport aux chroniqueurs, polémistes et analystes est en baisse. Les coûts des campagnes électorales sont à la hausse, ce qui rebute les grands médias lorsque vient le temps de réserver des places sur les avions des chefs de partis, à coups de milliers de dollars par jour.

Compte tenu de la situation, le calcul est simple à faire : monter dans les caravanes des chefs est une opération non rentable, surtout que la plupart des événements sont diffusés en direct par les réseaux d’information, présentés en webdiffusion par des médias sur place, ou alors distribués directement par les partis politiques.

Les partis politiques prennent donc bonne note de cette réalité. Pourquoi rendre des comptes aux journalistes puisque, de toute façon, ils ne suivent pas la caravane ? Ceux qui restent risquent de faire dérailler le message du jour, de toute manière ! Il y a un déséquilibre des forces, car les partis savent que, désormais, il est plus simple et moins risqué de véhiculer son message directement grâce à ses propres outils de diffusion. D’autant plus que, par la force des choses, il y a de bonnes chances que les médias le reprennent. Il existe donc une volonté politique de livrer le message de façon plus disciplinée, quitte à envoyer les attachés de presse et autres spin doctors répondre aux questions difficiles, et du même coup laisser les chefs rester au-dessus de la mêlée.

Les chefs de partis et les campagnes nationales demeurent les éléments clés dans le choix des électeurs. En effet, de 5 à 10 % des électeurs seulement font leur choix en fonction des candidats locaux, dont les campagnes sont de moins en moins couvertes par les médias — à moins d’un dérapage. Comme les coûts politiques et monétaires d’un tel dérapage peuvent être très importants, les partis en viennent à la conclusion qu’il est préférable pour plusieurs candidats locaux d’être « sur le terrain » et donc non disponibles pour les entrevues : « un commentaire par courriel suivra, merci ». C’est un scénario gagnant pour les partis, avec un meilleur contrôle du message et du messager, ce qui permet de conserver l’intégrité de la trame narrative, soigneusement concoctée par les stratèges politiques à coups de sondages et de groupes de discussion.

En renfort, les partis préparent aussi des capsules vidéo et des articles pour diffuser leur message en microciblant les électeurs. Certains partis vont même jusqu’à créer leurs propres « médias » d’information, contribuant à la confusion des genres. Par exemple, le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario a maintenant une chaîne appelée Ontario News Now, qui retrace les réalisations de l’administration Ford. Stephen Harper se faisait interviewer régulièrement par d’anciens journalistes.

Pour les citoyens qui auront à voter cet automne, cette réalité a des conséquences sur leur capacité de faire un choix en toute connaissance de cause. Bien sûr, il faudrait pour cela que les électeurs souhaitent s’informer adéquatement, mais l’analyse des comportements démontre au contraire que les gens aiment se faire dire ce qu’ils veulent bien entendre, que les électeurs veulent qu’on renforce leur vision du monde, et que pour eux tout le reste devient des fausses nouvelles, des fake news.

C’est ce comportement qui explique la teneur toujours plus populiste des messages des partis politiques, qui cherchent de moins en moins à convaincre une grande coalition d’électeurs et de plus en plus à motiver une base, à la préférence politique souvent radicalisée, même si ce n’est qu’en surface. Par leurs habitudes de consommation, les électeurs ont fait leur choix : les médias traditionnels ne sont plus leur source première d’information politique. Les médias n’ont pas su réagir pour conserver ces consommateurs. Et cela, les partis politiques le comprennent de plus en plus.

Cet article fait partie du dossier Les médias face aux élections canadiennes.

Photo : Le chef conservateur Andrew Scheer s’adresse aux journalistes après une réunion du caucus à Ottawa, le 15 mai 2019. La Presse canadienne / Sean Kilpatrick.


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Karl Bélanger
Karl Bélanger est consultant en communications et analyste politique. Il a œuvré pendant près de 20 ans sur la Colline parlementaire à Ottawa pour quatre chefs du NPD. Il est président de la Fondation Douglas-Coldwell.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License