En matière de relations avec les Autochtones, le gouvernement Trudeau a voulu marquer une rupture nette avec ses prédécesseurs, qui se contentaient de « gérer la question ». Dès son arrivée au pouvoir en 2015, Justin Trudeau a tout de suite affirmé sa volonté de placer le principe de réconciliation au cœur de son action.

Ce faisant, il promettait de s’attaquer aux fondements mêmes d’une relation coloniale séculaire et d’en finir avec la dépossession territoriale, le racisme et des politiques visant l’assimilation, voire l’éradication. En 2019, le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation a qualifié la situation de génocide culturel. Et la même année, le rapport final de l’Enquête sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées parlait de génocide pur et simple.

Alors que Justin Trudeau vient de déclencher une campagne électorale, comment son bilan influencera-t-il les électeurs autochtones ? En 2011 et dans une moindre mesure en 2015, les libéraux avaient réussi à faire sortir le vote autochtone. Mais on peut se demander s’ils seront capables de le conserver alors que les néodémocrates semblent désormais mieux positionnés auprès de cette partie de l’électorat.

Justin Trudeau n’a pas su créer la rupture promise et de nombreux Autochtones commencent à déchanter.

Comme les Autochtones ne forment pas un groupe réellement homogène à travers le pays et qu’ils n’épousent pas les lignes de partis, leur vote est bien souvent imprévisible. Ils partagent certes les traumatismes liés aux politiques coloniales, mais leur situation matérielle et culturelle diffère d’un groupe à l’autre. Chose certaine, Justin Trudeau n’a pas su créer la rupture promise et de nombreux Autochtones commencent à déchanter.

Des avancées importantes

Il faut toutefois reconnaître que son gouvernement a pris une série de décisions importantes. À commencer par un réinvestissement massif de 18 milliards dans les affaires autochtones annoncé au budget 2021, incluant du financement pour le logement, l’accès à l’eau potable, les soins de santé, l’aide à l’enfance et l’éducation. Il a mis sur pied l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées, qui a donné lieu à un plan d’action annoncé en juin dernier par la ministre des Relations Couronne-Autochtones Carolyn Bennett. Finalement, il vient de nommer une première gouverneure générale d’origine autochtone, l’Inuite Mary Simon. Malgré son caractère purement symbolique, cette nomination a contribué à faire remonter la cote du gouvernement Trudeau.

On compte aussi des réformes plus structurelles. Ainsi, l’ancien ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien a été scindé en deux entités distinctes. Services aux Autochtones (SAC) est désormais chargé d’offrir les services aux communautés, tandis que le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord canadien (RCAANC) se réserve le mandat de « renouveler la relation de nation à nation » et de « moderniser les structures du gouvernement du Canada […] en vue d’appuyer l’autonomie gouvernementale ».

Paradoxalement, cette importante transformation institutionnelle s’est faite sans aucune consultation auprès des premiers intéressés. Cette réorganisation rappelle celle entreprise en Nouvelle-Zélande dans les années 1980 afin de renouveler la relation avec les Maoris. On peut toutefois douter qu’elle suffise à briser la culture paternaliste d’un ministère qui gère depuis près de 150 ans tous les aspects de la vie des Autochtones.

Le gouvernement Trudeau a également mis en place une série de mécanismes de collaboration. En plus d’un rendez-vous annuel entre le Cabinet et les principales organisations autochtones, des mécanismes bilatéraux ont été créés avec les Inuits, les Métis et les Premières Nations, en plus de nombreuses tables sectorielles, notamment en matière d’éducation, de santé, d’aide à l’enfance, pour la mise en œuvre des traités, le financement des gouvernements autonomes et sur les réformes en matière de justice. Ceux-ci visent à faciliter le dialogue et à développer conjointement les nouvelles politiques et projets de loi pour transformer la relation.

Enfin, le gouvernement Trudeau a fait adopter en juin dernier la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui doit fournir une feuille de route pour une réconciliation durable.

Les vieux réflexes coloniaux

En revanche, d’autres décisions ont été plus controversées. En 2019, la démission de Jody Wilson-Raybould, seule ministre autochtone du cabinet, était en partie liée à l’échec du processus visant à mettre en place un nouveau cadre législatif pour la reconnaissance des droits autochtones, un élément clé de la restructuration de la relation.

Le gouvernement Trudeau a également choisi de contester devant les tribunaux la compensation accordée par le Tribunal canadien des droits de la personne aux enfants autochtones retirés injustement de leur famille par les services sociaux.

L’inaction du gouvernement fédéral dans le conflit sur la pêche commerciale autorégulée des Mi’kmaq a aussi marqué les limites du discours sur l’autonomie politique. À la fin de l’été 2020, lorsque les pêcheurs commerciaux néo-écossais se sont insurgés violemment contre la pêche mi’kmaq, le gouvernement fédéral n’a rien fait pour protéger les pêcheurs malgré son rôle de fiduciaire. Il s’est plutôt contenté d’insister sur la nécessité de respecter les lois. Plus récemment, des agents de Pêches et Océans ont même détenu le chef d’une communauté mi’kmaq suite à la reprise de la pêche de subsistance, pour finalement le laisser partir sans accusations.

La règle de droit établie par les tribunaux canadiens a toujours été invoquée pour déposséder les Autochtones.

Concernant les ressources naturelles, on a vu réapparaître les vieux réflexes coloniaux qui priorisent le développement économique de la société dominante. En janvier 2019, la GRC a par exemple justifié son intervention musclée pour démanteler le camp Unistʼotʼen — mis en place par les dissidents Wet’suwet’en pour bloquer le projet de gazoduc Coastal Gaslink — par la règle de droit. Or, cette fameuse règle de droit établie par les tribunaux canadiens a toujours été invoquée pour déposséder les Autochtones. En 2018, le rachat de l’oléoduc Trans Mountain par le gouvernement fédéral et son expansion malgré l’opposition de plusieurs nations autochtones a montré que les principes économiques pèsent plus lourd que le principe de réconciliation.

Finalement, la découverte récente de tombes anonymes d’enfants sur les sites d’anciens pensionnats autochtones a suscité une vague d’indignation et de ressentiment à travers le pays. Même si cette situation était bien connue des Autochtones eux-mêmes et avait été documentée par diverses commissions d’enquête, et plus particulièrement la Commission de vérité et réconciliation, plus personne au pays ne peut prétendre l’ignorer. D’autant que cette découverte macabre, qui a fait la manchette à l’étranger, a beaucoup terni l’image internationale du Canada.

Toutes ces contradictions et controverses n’ont fait que renforcer le cynisme de ceux qui ont cru à la volonté du premier ministre de véritablement transformer la relation entre les peuples autochtones et l’État canadien.

Certes, l’héritage colonial est lourd et la résistance institutionnelle est forte. Mais après six ans au pouvoir, force est de constater que l’appui des libéraux à la reconnaissance des droits autochtones s’est souvent avéré n’être qu’un vœu pieux. Et lorsque le développement économique pesait dans la balance le gouvernement est retombé dans ses vieilles ornières.

Malgré certaines avancées, les deux derniers gouvernements Trudeau n’ont pas encore réussi à décoloniser le rapport de l’État canadien avec les peuples autochtones. Certes, il ne fallait pas s’attendre au renouvellement complet d’une relation vieille de plus de 150 ans, mais la lune de miel est assurément terminée.

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Thierry Rodon
Thierry Rodon est titulaire de la Chaire sur le développement durable du Nord et professeur titulaire au Département de science politique de l’Université Laval et professeur associé à l'École de politiques publiques et d'administration de l’Université Carleton.

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