Le soir du 15 novembre 2005, vingt-neuf ans apré€s premié€re prise du pouvoir, André Boisclair devenait le sixié€me chef du Parti québécois sous les auspices les plus favorables. Le PQ avait plus de 50 p. 100 des intentions de vote dans les sondages, tout comme l’option souverainiste. L’impopularité du gouvernement Charest était aÌ€ son sommet et la marque de commerce fédéraliste elle-mé‚me était ternie par le scandale des commandites.

Quant aÌ€ l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont, elle n’était qu’un tiers parti, qui n’avait aucune reconnaissance officielle aÌ€ l’Assemblée nationale et qui était en perte de vitesse dans les sondages, au point ouÌ€ plusieurs de ses partisans s’interrogeaient sur sa viabilité aÌ€ long terme.

Rien, absolument rien, ne laissait présager cette soirée, 16 mois plus tard, quand Mario Dumont allait entrer dans la plus grande salle disponible aÌ€ Rivié€re-du-Loup comme s’il était le véritable vainqueur de l’élection du 26 mars 2007. De son coÌ‚té, André Boisclair entrait au Club soda aÌ€ Montréal comme leader du troisié€me parti aÌ€ l’Assemblée nationale, avec seulement 28 p. 100 des voix, un statut que le PQ n’avait occupé qu’une seule fois en quarante ans, entre 1970 et 1973.

Comment le Parti québécois a-t-il pu connaiÌ‚tre un tel déclin en si peu de temps? La premié€re des raisons est sa sans doute son remarquable succé€s au gouvernement. Voici un parti qui a si bien agi sur les raisons qu’il avait identifiées comme justifiant la souveraineté du Québec que la souveraineté elle-mé‚me ne semble plus nécessaire pour une majorité de Québécois.

La loi 101 a réussi aÌ€ assurer la sécurité linguistique des francophones effaçant ainsi la crainte de l’assimilation aÌ€ plus ou moins long terme. Avec le Québec qui assure un plus grand controÌ‚le de son immigration, il s’agit sans doute de la principale motivation de l’indépendance qui n’a plus sa raison d’é‚tre.

Les « enfants de la loi 101 », de toutes origines, passés par l’école française, sont un témoignage quotidien du succé€s de la francisation de la société québécoise au cours des trente dernié€res années. De mé‚me, la culture québécoise rayonne partout dans le monde, de Paris aÌ€ Las Vegas, témoignant de sa vitalité.

Le succé€s a été tout aussi important sur le plan économique, l’autre grande justification de l’indépendance. Au début des années 1970, le Québec avait une économie presque entié€rement controÌ‚lée par la minorité anglophone. Le visage commercial de Montréal était presque exclusive- ment en langue anglaise et rare étaient les dirigeants d’entreprises francophones.

Cette situation a changé de façon importante, en bonne partie graÌ‚ce aÌ€ l’emploi plus vigoureux des institutions de l’État comme la Caisse de dépoÌ‚ts et la Société générale de financement que privilégiait le Parti québécois. On peut aussi parler de certaines de ses initiatives comme le Régime d’épargnes-actions, qui a permis aÌ€ plusieurs sociétés québécoises de prendre leur envol.

Avec le résultat, aujourd’hui, qu’on ne puisse plus dire que l’éco- nomie des Québécois est sous controÌ‚le étranger ou que les francophones n’y ont pas leur place.

Ces succé€s sont réels et incontestables, mais c’est maintenant une théorie assez bien reconnue chez les observateurs de la politique québé- coise que de dire que le PQ a été, dans les faits, son propre pire ennemi. Ou au moins qu’il a contribué aÌ€ rendre moins nécessaire la réalisation de son objectif ultime : la souveraineté politique du Québec.

Mais les membres du Parti québécois ne partageaient visiblement pas cette analyse en juin 2005, lors d’un congré€s dont on se souvient surtout pour la démission de Bernard Landry apré€s un vote de confiance décevant.

C’est aÌ€ cette époque qu’il faut remonter pour comprendre les ennuis qui ont miné la campagne électorale désastreuse du Parti québécois au printemps de 2007.

Comme dopés par le scandale des commandites, les militants péquistes ont voulu adopter un programme ne laissant que tré€s peu de marge de manœuvre aÌ€ leur futur chef. Le programme prévoyait, notamment, qu’un référendum sur la souveraineté devrait é‚tre tenu « le plus vite possible dans le premier mandat » du gouvernement péquiste.

Plus question pour le chef du PQ d’avoir la possibilité d’attendre « des conditions gagnantes » ou l’assurance de pouvoir gagner le référendum ; les militants le voulaient tout de suite. Apré€s deux élections ouÌ€ Lucien Bouchard d’abord, puis Bernard Landry ensuite ne voulaient pas demander le mandat de tenir un référendum, les militants en avaient assez. Ils voulaient un engagement concret, quitte aÌ€ lier les mains de leur chef.

La course au leadership, qui devait monopoliser les énergies du PQ pour le plus clair des mois qui allaient suivre, se déroulait en outre dans la foulée du scandale des commandites, alors que l’image de marque du fédéralisme était ternie et que les sondages indiquaient une victoire facile du PQ.

Ce fut une campagne ouÌ€ aucun des candidats n’a jugé bon de remettre en question le programme ou la stratégie référendaire et ouÌ€ tous les candidats étaient plus occupés aÌ€ décrire le Québec souverain qu’aÌ€ penser aux étapes qu’il restait aÌ€ franchir avant d’y arriver. Le reste de la campagne fut surtout dominé par les écarts de conduite d’André Boisclair alors qu’il était ministre dans les gou- vernements Bouchard et Landry, en particulier sa consommation de cocaïne.

Élu chef au premier tour de scrutin avec 53p.100 des suffrages, devant sa plus proche rivale, Pauline Marois, qui a obtenu 30 p. 100, M. Boisclair avait les coudées franches. Il pouvait prendre ses distances d’un programme qui allait, rapidement, devenir un boulet aux pieds de son parti. Il a choisi de ne pas le faire.

Tout au plus, en juin 2006, affirmait-il dans une entrevue au Soleil qu’il n’était « pas un kamikaze » et qu’il ne lancerait pas le Québec dans un référendum qu’il ne serait pas certain de gagner.

Mais il restait, officiellement, lié par le programme de son parti, un engagement dont il ne devait jamais se défaire, mé‚me dans les derniers jours de la campagne électorale.

Dé€s son arrivée aÌ€ la té‚te du PQ, les choses devaient se compliquer pour M. Boisclair. D’abord, le gouvernement minoritaire de Paul Martin était renversé par un vote de non confiance aÌ€ la Chambre des com- munes, moins de deux semaines apré€s son élection comme chef.

Ce qui devait é‚tre la grande victoire du mouvement souverainiste aÌ€ la suite du rapport Gomery et donc de la faiblesse du camp fédéraliste ”” les straté€ges du Bloc québécois, en début de campagne, évoquaient ouvertement l’idée d’obtenir plus de 50 p. 100 des voix ”” a plutoÌ‚t mal tourné.

Dans la grande région de Québec, contre toute attente, le Parti conservateur obtenait huit sié€ges et deux autres en Outaouais et au Saguenay. Avec 25 p. 100 des voix, le parti de Stephen Harper devenait la seconde formation politique fédérale au Québec. Celle-laÌ€, les souverainistes ne l’avaient pas vu venir.

Il a suffi d’un seul discours de Stephen Harper, en décembre 2005 aÌ€ Québec, pour provoquer ce changement profond dans l’électorat. Un seul discours promettant un « fédéralisme d’ouverture » et, soudainement, les souverainistes constataient qu’ils devaient compter avec un autre adversaire que des libéraux discrédités par les scandales.

Bien suÌ‚r, le 23 janvier 2006, c’est le Bloc québécois qui obtenait un moins bon résultat que prévu, mais c’était tout le mouvement souverai- niste qui venait de connaiÌ‚tre un revers inattendu.

Au cours des mois qui ont suivi, André Boisclair n’a pas dévié du plan qu’il s’était fixé lors de son élection.

Il ne fit son entrée aÌ€ la législature qu’aÌ€ l’automne, au moment mé‚me ouÌ€ les libéraux faisaient une remontée dans les sondages. La présence de M. Boisclair aÌ€ l’Assemblée ne fit pas grand effet sur les débats, mais elle permit aux libéraux de l’attaquer sur son manque de jugement et de maturité ”” une allusion aÌ€ peine voilée aÌ€ sa consommation de cocaïne.

Puis, en novembre, comme pour confirmer ces perceptions, le chef péquiste participait aÌ€ un sketch de mauvais gouÌ‚t dans une émission de fin d’année. Une parodie de « Brokeback Mountain » montrant Stephen Harper et George W. Bush pendant que M. Boisclair déclarait que « jamais les Québécois ne vont accepter ça ».

Venant d’un chef de parti ouvertement homosexuel, cet épisode devait en quelque sorte cristalliser les perceptions aÌ€ l’effet qu’il n’avait pas la maturité et le jugement nécessaires, pour é‚tre premier ministre. Sans compter son langage, souvent qualifié de « langue de bois », et sa difficulté aÌ€ parler aux électeurs dans des mots simples plutoÌ‚t que dans un jargon bureaucratique.

Pendant tout ce temps, de sondage en sondage, le Parti québécois perdait des appuis, ce qui devait causer un malaise profond au sein du PQ, au point ouÌ€, quelques semaines seulement avant le déclenchement des élections, certains militants demandaient ouvertement la té‚te de M. Boisclair. Mais l’imminence des élections a eu pour effet de donner une nouvelle chance aÌ€ celui-ci.

Dé€s le début de la campagne électorale, il fut évident que l’on allait assister aÌ€ une lutte aÌ€ trois, avec l’Action démocratique de Mario Dumont qui devenait un joueur important en étant capable d’articuler les frustrations de bien des électeurs. La question des « accommodements raisonnables » ”” ces décisions des tribunaux permettant, par exemple, le port du kirpan par un jeune sikh dans une école de Montréal ”” provoquaient beaucoup de remous, dont M. Dumont était le seul aÌ€ parler.

Puis, pendant que le PQ et les libéraux jouaient les prolongations de la campagne référendaire de 1995 ”” Jean Charest allant mé‚me jusqu’aÌ€ invoquer la partition du territoire québécois ”” Mario Dumont parlait des questions de pain et de beurre qui s’adressaient justement aux électeurs fatigués du débat constitutionnel.

Mais, en mé‚me temps, Mario Dumont s’attaquait directement aÌ€ la social-démocratie aÌ€ la sauce péquiste.

Le meilleur exemple est la question des garderies. Prenant exemple sur Stephen Harper qui avait promis une allocation aux familles aÌ€ la place d’un programme national de garderies, M. Dumont et l’ADQ ont promis 100 $ par semaine et par enfant qui ne fréquente pas le réseau de garderies subventionnées.

Les garderies aÌ€ 5 $ par jour (maintenant 7 $) ont été un grand succé€s et furent mé‚me le modé€le retenu par Paul Martin pour son programme national. Mais cette initiative du PQ a été la victime de son propre succé€s.

D’une part, seulement la moitié des enfants du Québec ont actuellement une place dans les garderies subventionnées. D’autre part, les garderies publiques ont été financées, dans les faits, en abolissant le régime d’allocations familiales autrefois disponible pour tous les parents.

Ceux qui gardent leurs enfants aÌ€ la maison ou qui doivent avoir recours aÌ€ une garderie privée se sentent donc les victimes d’une double injustice.

VoilaÌ€ qui est une sorte de micro- cosme de la social-démocratie péquiste. Les programmes étaient souvent excel- lents, mais ceux qui ne peuvent, pour quelque raison, se conformer au moule sont souvent laissés pour compte.

C’est précisément aÌ€ cette clienté€le que s’adressait l’ADQ. Une clienté€le de jeunes familles, qui paient beaucoup d’impoÌ‚ts et qui n’ont pas l’impression de recevoir les services gouvernementaux auxquels ils devraient avoir droit. Une clienté€le qui, contrairement au PQ, ne croit plus que l’État est la solution.

Des familles qui voient le gouvernement s’occuper des hoÌ‚pitaux, mais qui n’ont pas de médecin de famille. Qui voient les garderies sub- ventionnés, mais qui n’y ont pas nécessairement accé€s.

Pour ces électeurs, il était possible d’é‚tre souverainiste ”” ou, au moins, de dire aÌ€ un sondeur qu’on voterait Oui aÌ€ un référendum sur la sou- veraineté ”” et de ne plus voter pour le PQ. Pour la premié€re fois, le PQ n’a plus le monopole du vote souverainiste, une situation devant laquelle il n’a pas su réagir.

M. Boisclair a mené une campagne électorale presque sans faute. Mais il n’a vu venir ni le rejet de l’option souverainiste, ni celui de la social-démocratie péquiste. Attaqué sur les deux principales affirmations du credo péquiste, le PQ et André Boisclair devaient terminer au troisié€me rang, avec seulement 28 p. 100 des voix. Son pire résultat depuis 1970.

Mais, au cours du dernier week-end, le programme de son parti devait le rattraper. Devant tous les sondages qui annoncaient un gouvernement minoritaire, M. Boisclair devait tenir mordicus aÌ€ la possibilité qu’il puisse quand mé‚me tenir un référendum. Mé‚me ses deux prédécesseurs, Jacques Parizeau et Bernard Landry, disaient que cela n’était gué€re réaliste.

En insistant jusqu’au bout sur la tenue d’un référendum, André Boisclair s’est trouvé aÌ€ faire le jeu de l’ADQ et de ce large segment de l’opinion publique québécoise qui ne veut ni d’un référendum, ni d’un État encore plus présent dans leurs vies.

Aujourd’hui, le PQ doit donc se poser des questions difficiles et se redéfinir. Pas seulement sur sa raison d’é‚tre, mais sur sa façon de gouverner quand il est au pouvoir.

De ces remises en question dépendent sa survie comme force politique majeure sur l’échiquier québécois.

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