Québec ne fêterait pas l’anniversaire de sa fondation cette année si ce n’était de la volonté des Innus, longtemps appelés Montagnais, disposés, il y a 400 ans aujourd’hui, à permettre aux Français nouvellement débarqués en Amérique du Nord d’ériger des installations permanentes sur des terres situées « là où le fleuve se rétrécit ».

On ne parlerait pas non plus des 400 ans de Québec si les Iroquois n’avaient pas abandonné Stadaconé, le village sur lequel les Français bâtiront leurs premières habitations. Bref, Québec ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans l’apport crucial des Premières Nations dans la fondation de la ville, ainsi que dans l’histoire du Québec et du Canada tout entier.

Il faut bien se rappeler ce qu’était le Canada avant l’immigration des colons français et anglais. Bien avant l’arrivée des Européens, l’Amérique du Nord était occupée par de nombreuses nations, établies dans diverses régions de la côte et à l’intérieur des terres. C’est en partie sur la base de cette présence historique que le droit canadien a construit ce que l’on peut désigner comme le régime des droits autochtones, qui veut que des peuples jouissent de droits collectifs différents des autres personnes vivant au Canada. En effet, le statut constitutionnel et légal des Autochtones actuels est ce qu’il est parce que ceux-ci sont les descendants de peuples qui étaient établis de longue date en Amérique du Nord au moment de l’arrivée des Européens (la jurisprudence parle de « temps immémoriaux »). Certains diront qu’ils sont aborigènes ou indigènes, des termes utilisés dans d’autres pays à l’égard des peuples autochtones qui s’y trouvent, notamment en Australie, en Amérique du Sud et en Afrique.

Présentement, on reconnaît une nation inuite et 10 Premières Nations au Québec (Abénaquis, Algonquins, Atikamekws, Cris, Hurons-Wendat, Innus, Malécites, Micmacs, Mohawks et Naskapis). Ces nations autochtones ont fait l’objet d’une reconnaissance officielle de l’Assemblée nationale en 1985, puis en 1989 (pour les Malécites).

À l’arrivée des premiers colons français, les experts estiment que la population autochtone, sur le territoire du Canada actuel, se situait entre 500 000 et 2 millions de personnes. Les maladies transmises sur le continent par les Européens ont évidemment été dévastatrices, et le nombre d’habitants allait décroître de façon spectaculaire et dramatique au cours des 50 premières années suivant l’arrivée de Samuel de Champlain en 1603. On estime que près de 93 p. 100 de la population autochtone a été décimée après l’arrivée du premier explorateur européen.

Il est maintenant incontestable que plusieurs nations vivaient en Amérique longtemps avant les grandes expéditions de Christophe Colomb ou de Jacques Cartier. Chaque nation était indépendante, et possédait ses propres coutumes, rituels et traditions. Elles entretenaient aussi des relations les unes avec les autres. Les guerres étaient fréquentes, les rituels diplomatiques nombreux et souvent complexes.

Ainsi, quand Jacques Cartier accoste dans la baie des Chaleurs, en 1534, il ne débarque pas sur des terres vierges et inhabitées. Il est accueilli par des Micmacs déjà habitués aux contacts ainsi qu’aux échanges avec des Européens. Depuis plusieurs années, ceux-ci croisent en effet des Vikings ainsi que des pêcheurs bretons, basques et normands dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ils auraient également commercé avec eux. Cartier rencontre aussi des Iroquois, dont le village (Stadaconé) est situé sur les terres qui deviendront plus tard celles de la ville de Québec. Il est très impressionné par leur chef, Donnacona, qu’il amènera en France, ainsi que deux de ses fils.

Cartier rencontre aussi des Innus, que l’on appelait alors les Papinachois, ce qui signifie « qui aiment rire beaucoup ». Ceux qui seront plus tard baptisés Montagnais par Samuel de Champlain sont des chasseurs nomades qui s’installent le long du fleuve l’été, mais qui passent la majeure partie de leur vie dans les forêts d’un vaste territoire qu’ils appellent Nitassinan (« notre terre »).

Entre les voyages de Cartier dans les années 1540 et ceux de Samuel de Champlain au tournant du XVIIe siècle, des pêcheurs et marchands français continueront de venir sur les côtes de l’Amérique et y développeront le commerce de la fourrure.

C’est d’ailleurs lors d’une expédition visant la négociation d’un traité sur la fourrure que Champlain arrive pour la première fois en Amérique. Il y rencontre des Algonquins, des Innus et des Malécites. Rapidement, il conclut avec eux des alliances assorties d’une promesse d’assistance militaire. Il faut dire que les Premières Nations sont préoccupées en raison des guerres récentes avec les Iroquois, qui contrôlent notamment la circulation sur le fleuve Saint-Laurent à la hauteur d’Hochelaga (Montréal), et qui ont presque anéanti leurs ennemis jurés, les Hurons. Les Français représentent ainsi une source inespérée d’aide militaire. En échange d’une assistance militaire, Champlain obtient l’aide des Premières Nations dans son objectif de développer le commerce des fourrures et de construire des postes de traite.

La fondation de Québec est donc le fruit d’un traité entre Français et Premières Nations.

La fondation de Québec est donc le fruit d’un traité entre Français et Premières Nations. Ce tout premier traité de paix et d’alliance entre les Premières Nations et les Européens est négocié et conclu en mai 1603, entre François Gravé du Pont, qui commande l’expédition de 1603, et le grand chef innu Anadabijou. Cette entente capitale pour la fondation de Québec est signée à la Pointe-aux-Alouettes, en face de Tadoussac. Grâce à cette alliance avec les Innus, Champlain peut ainsi revenir et s’installer de façon permanente en Nouvelle-France.

Quand Champlain revient en Nouvelle-France en 1608, il accoste d’abord à Tadoussac où il rencontre à nouveau des Innus, à qui il confirme son aide militaire. Il se rend ensuite à Stadaconé, s’étonnant de n’y trouver aucun habitant. Selon toute vraisemblance, les Iroquois ont quitté cet emplacement pour aller s’installer plus au sud. Cela permet à Champlain d’ériger son camp sur ce site et d’y faire construire des bâtiments permanents. Ce sera la fondation de Québec, érigée grâce à l’accord et à l’appui des Innus qui voient d’un bon œil cette installation française, car elle représente une protection accrue contre les attaques des Iroquois.

Il ne faut qu’un court moment avant que Champlain quitte Québec afin de poursuivre les Iroquois et assumer sa part de l’alliance. Quelques mois seulement après avoir « fondé » Québec, il quitte avec une armée constituée de neuf soldats français et de 300 soldats autochtones (hurons, algonquins et innus) et remonte la rivière des Iroquois (Richelieu) jusqu’à un grand lac, auquel il donne son nom. C’est à cet endroit qu’il se trouve pour la première fois face à un groupe d’Iroquois. Cette bataille marquera le début des guerres entre Français et Iroquois, qui dureront plusieurs années, jusqu’à la conclusion de la Grande Paix de 1701, signée à Montréal.

Tant et aussi longtemps que ces alliances existeront, les Français pourront développer la colonie sans trop se faire de souci. Or, la situation change radicalement lorsque les Anglais commencent à négocier, eux aussi, des alliances militaires avec les nations autochtones. Au début, ces alliances se font avec les ennemis des peuples alliés aux Français. Toutefois, graduellement et parallèlement à la guerre que se livrent les deux métropoles sur le continent européen, les Anglais négocieront des ententes de neutralité avec des groupes autochtones jusque-là alliés des Français. La mission ne sera toutefois pas facile. Malgré leur nombre nettement supérieur, les forces britanniques éprouvent beaucoup de difficultés face aux troupes françaises bien préparées et comptant sur de nombreux alliés autochtones. Les Britanniques subissent plusieurs défaites avant de goûter à la victoire en Acadie en juin 1755, où ils réussissent à prendre Fort-Beauséjour. Les colons acadiens sont ensuite rassemblés et déportés, mais ça, c’est une autre histoire…

En avril 1756, sous le commandement du marquis de Montcalm, de nouvelles troupes arrivent au Canada avec l’intention de contenir l’offensive imminente des Britanniques. Avec l’aide de 3 000 hommes accompagnés de 250 Autochtones, le marquis de Vaudreuil, commandant en chef et gouverneur général de la Nouvelle-France, prend d’assaut le fort anglais d’Oswego, sur le lac Ontario. Au même moment, des offensives de troupes composées de Français et d’Autochtones détruisent plusieurs établissements anglais en Nouvelle-Angleterre. Les victoires des troupes françaises se poursuivent jusqu’à l’été 1758, soit la prise du fort Carillon par Montcalm. Ensuite, le vent tourne, et les troupes britanniques commencent à multiplier les victoires. Ce renversement de situation incite plusieurs nations autochtones à renier leurs alliances avec les Français et à conclure des ententes (essentiellement de paix et de neutralité) avec les Britanniques, dont le traité d’Oswegatchie, signé le 25 août 1760, ainsi que le fameux traité Murray, signé le 5 septembre 1760 par le général Murray des forces britanniques, qui permet aux Hurons de s’installer en banlieue de Québec.

Avec la perte de nombreux alliés autochtones, les Français se retrouveront beaucoup plus vulnérables. Difficile de dire si l’histoire aurait été différente si les Français avaient conservé leurs alliances avec les Autochtones, mais, chose certaine, la partie devenait plus facile pour les Anglais.

En 1759, l’armée britannique entame sa marche en sol canadien et les troupes du général James Wolfe se positionnent à Québec, forçant Montcalm à livrer bataille le 13 septembre de la même année. Cette bataille remportée par les troupes britanniques sonnera la fin de la Nouvelle-France. L’armée française, ayant retraité à Montréal, est forcée de capituler le 8 septembre 1760. La Nouvelle-France passe alors aux mains des Britanniques.

Après la Conquête, les relations entre les Britanniques et les nations autochtones alliées des Français demeurent tendues. Plusieurs conflits éclatent, notamment en raison de l’invasion des nouveaux colons britanniques sur les terres indiennes. Constatant la fragilité des relations avec les Premières Nations et craignant vraisemblablement de nouvelles insurrections, le roi George III entérine, en octobre 1763, la Proclamation royale, considérée par plusieurs comme la « Magna Carta » des Premières Nations du Canada, ou « la grande charte amérindienne ». Ce texte devient le premier document constitutionnel, encore en vigueur aujourd’hui, reconnaissant les droits des Premières Nations, notamment sur leurs territoires ancestraux, désignés comme « terres indiennes ». Il représente le fondement du régime des droits des Autochtones ; il est toujours invoqué en appui aux revendications territoriales.

Vont alors s’amorcer la négociation et la conclusion de nombreux traités dans plusieurs régions du Canada, à l’exception du Québec, parce que l’on a longtemps pensé, erronément, que le régime français avait éteint tous les droits des peuples autochtones. Puis, dès le milieu du XIXe siècle, le gouvernement colonial (puis fédéral) mettra en place une politique d’assimilation, dont la pierre angulaire sera la Loi sur les Indiens, encore en vigueur aujourd’hui. Les Premières Nations sont dès lors traitées comme une somme d’individus plutôt qu’une entité à part entière. Leurs droits collectifs sont limités, comme le droit aux terres. Ces dernières deviennent des terres de la Couronne, que les Premières Nations n’ont pas le droit d’aliéner. À la dépossession de leur identité comme peuples s’ajoutent ainsi la dépossession de leurs terres et la perte de leurs droits territoriaux.

Tout au long du régime français, les Premières Nations et les Français ont partagé le territoire qu’ils occupaient en vertu de représentations symboliques différentes, mais concrètement et concurremment compatibles.

Tout au long du régime français, les Premières Nations et les Français ont partagé le territoire qu’ils occupaient en vertu de représentations symboliques différentes, mais concrètement et concurremment compatibles. Dans la capitale française, la politique officielle était de ne reconnaître aux « tribus sauvages » aucun droit de propriété. Selon le droit français de l’époque, les terres de la Nouvelle-France appartenaient intégralement au roi de France, et les « sauvages » étaient considérés comme des sujets du roi soumis aux lois de la France.

En réalité, les autorités françaises en Nouvelle-France ne réussiront jamais à imposer le droit français aux Premières Nations, encore moins à leur imposer le régime foncier français. Au contraire, l’histoire nous apprend que les Français en Nouvelle-France vont facilement reconnaître et accepter l’indépendance des Premières Nations ainsi que la présence d’ordres juridiques autochtones distincts. Les Français participeront aux cérémonies traditionnelles des Premières Nations et accepteront de prendre part aux modes diplomatiques existant sur le territoire.

Les Français et les Autochtones vont conclure des alliances de paix et d’amitié qui dureront longtemps. Elles sont certainement un facteur déterminant dans le développement de la Nouvelle-France. Que sont devenues ces alliances ?

Pendant plusieurs années après la Conquête, les Autochtones seront encore considérés comme appartenant à des nations indépendantes, jouissant d’une certaine forme de souveraineté sur le territoire. Ce contexte durera aussi longtemps que les Autochtones demeureront utiles aux Britanniques, notamment en raison de leurs connaissances géographiques et de leur apport précieux au commerce des fourrures.

Avec le déclin du marché des fourrures en Europe et la demande de plus en plus grande pour le bois des forêts canadiennes, les Autochtones deviendront pour ainsi dire inutiles, voire même des obstacles au développement de la colonie. Conséquemment, leur statut juridique prendra une bien mauvaise tournure. Assez rapidement et brusquement, les droits d’occupation du territoire et la validité des traités conclus seront remis en question, voire niés par les autorités coloniales. La fin des guerres, notamment celles entre le Canada (la Couronne britannique) et les États-Unis, sonnera également le glas des alliances avec les Premières Nations.

La politique autochtone devient alors colonisatrice, voire assimilatrice, mettant l’accent sur l’imposition de l’autorité de la Couronne sur les Autochtones et favorisant l’occupation territoriale des colons anglais, écossais et irlandais. Les autorités coloniales ont besoin des terres ; la solution sera la création des réserves ainsi que l’imposition, par la force lorsque nécessaire, des lois coloniales aux Autochtones et leurs territoires. Ce sera aussi le début de la politique visant à éliminer toute particularité autochtone. Le XIXe siècle verra d’ailleurs apparaître les premières lois visant clairement l’assimilation, notamment la fameuse Loi sur les Indiens (l’Acte des Sauvages), adoptée en 1876. Les Indiens sont placés sous la tutelle du gouvernement fédéral qui impose son autorité sur toutes les sphères de leur existence, de la naissance à la mort, en passant par l’éducation, le mariage et les activités sociales. Surtout, cette loi a pour conséquence (et sans doute aussi comme objectif) d’unifier les groupes autochtones afin de simplifier la situation en la présentant comme une seule « question indienne ». L’autorité coloniale et les termes de la Loi sur les Indiens sont imposés de façon si brusque et avec tant de fermeté que, sauf quelques exceptions, les Premières Nations n’auront pas les moyens de résister.

Après la Première Guerre mondiale, un virage important dans les relations s’amorce, initié sur la scène internationale. C’est le début des revendications pour l’autodétermination des Premières Nations, qui veulent le droit de choisir librement leur statut politique. Certains auteurs parlent de ce moment comme d’un réveil amérindien observé partout en Amérique du Nord.

C’est dans ce contexte que le gouvernement libéral du Canada présente, en 1969, son projet de nouvelle politique indienne. Ce Livre blanc propose d’abolir la Loi sur les Indiens et d’éliminer toute particularité des Indiens au Canada. Le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, qui affirme que les Premières Nations ne possèdent plus aucun droit particulier au Canada, souhaite faire des Indiens des citoyens canadiens comme les autres. La réaction des Premières Nations sera si impressionnante et d’une telle importance qu’elle forcera le gouvernement à revenir complètement sur sa décision. Non seulement le gouvernement abandonnera-t-il son idée d’abolir le statut particulier des Premières Nations, mais il acceptera de remettre en place une politique de négociation de traités, la Politique de revendication territoriale globale. Celle-ci peut être qualifiée de première tentative de rapprochement.

Cette politique est également une réponse à une décision de la Cour suprême du Canada qui rend, en 1973, l’un des plus célèbres jugements en droit autochtone : l’arrêt Calder. Par cet arrêt, la Cour suprême provoque un renversement majeur dans la conception des droits ancestraux. Elle reconnaît que les droits des Autochtones existent et que ceux qui n’ont jamais signé de traité peuvent légitimement revendiquer la possession d’un titre ancestral (aussi appelé « titre aborigène »).

Pendant que les yeux sont tournés vers l’ouest, il se passe au Québec quelque chose qui marquera aussi très profondément les droits des Autochtones et les relations entre l’État et les Premières Nations. Il s’agit de la saga de la Baie-James, opposant le gouvernement du Québec aux peuples autochtones relativement à un projet hydroélectrique : le « projet du siècle » de Robert Bourassa.

Face à un gouvernement faisant la sourde oreille, les groupes autochtones décident de s’adresser aux tribunaux. Le juge Malouf de la Cour supérieure du Québec, dans un jugement rendu le 15 novembre 1973, conclut que la requête des Autochtones est fondée en droit et ordonne l’arrêt immédiat des travaux de construction des barrages de la Baie-James. Cette décision a l’effet d’une bombe dans les coulisses du gouvernement québécois… ainsi que dans celles du gouvernement canadien, se voir rappeler par un tribunal que les peuples autochtones du Québec possèdent toujours des « droits de propriété ».

Malgré le renversement de cette décision par la Cour d’appel, les gouvernements vont entamer des négociations avec les Cris, les Inuits et les Naskapis. Ces négociations culmineront avec la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, considérée comme le premier traité moderne.

La Convention est une entente complexe qui crée un régime juridique particulier sur un vaste territoire du Québec (le Nunavik, le territoire de la Baie-James et les terres des Naskapis), définissant le régime territorial et encadrant les modes de vie des peuples cri, inuit et naskapi. Plusieurs dispositions de la Convention n’ont été que partiellement mises en œuvre, d’autres complètement ignorés. Conséquemment, les Cris ont ultérieurement repris la voie des tribunaux, une route qui aboutit à la conclusion de la Paix des Braves avec le gouvernement du Québec en 2002 ainsi qu’à une entente avec le gouvernement fédéral en juillet 2007. Les Inuits ont également protesté contre la lenteur des gouvernements à donner suite aux promesses de la Convention. Ils signent aussi en 2002 avec le gouvernement du Québec une entente « de partenariat et de développement économique », semblable à la Paix des braves, qui porte le nom de Sanarrutik.

Ainsi, sur le territoire québécois, deux Premières Nations et les Inuits ont signé une entente portant sur les revendications territoriales, qui crée ce que les gouvernements appellent (et recherchent) la « certitude juridique ». Ces ententes sont qualifiées de « traités modernes », et les droits qui y sont reconnus ou conférés jouissent de la même protection constitutionnelle que les droits compris dans les traités historiques signés à l’ouest du Québec au XIXe siècle. Les Innus et les Atikamekws ont aussi enclenché le processus de négociation menant à la conclusion d’un traité. Bien que ces négociations aient débuté il y maintenant plus de 20 ans, elles n’ont abouti à aucun accord encore. Seules quatre communautés innues ont conclu récemment une entente de principe, appelée « l’approche commune ».

À compter de 1973, les Premières Nations miseront sur la concertation, avec la création d’organisations comme l’Assemblée des Premières Nations, pour revendiquer la reconnaissance de droits qu’elles affirment n’avoir jamais perdus.

À compter de 1973, les Premières Nations miseront sur la concertation, avec la création d’organisations comme l’Assemblée des Premières Nations, pour revendiquer la reconnaissance de droits qu’elles affirment n’avoir jamais perdus. Soudainement, elles réalisent qu’elles possèdent un certain poids dans la sphère politique canadienne et qu’elles peuvent influencer les débats portant notamment sur l’avenir constitutionnel du Québec et du Canada.

Ce poids politique se matérialise rapidement au début des années 1980, dans la foulée du référendum sur la souveraineté du Québec et la proposition de rapatriement de la Constitution. En cette période d’instabilité politique, la porte est ouverte pour les Premières Nations qui vont jusqu’à menacer d’enrayer tout le processus si elles n’y sont pas impliquées. Les pressions exercées au Canada, comme à l’étranger, forceront la main des premiers ministres, qui accepteront d’inclure, dans la Loi constitutionnelle de 1982, un article (art. 35) reconnaissant formellement les droits ancestraux et ceux issus des traités.

Toutefois, une série de décisions de la Cour suprême du Canada en 1996, 1997 et 1998 vont grandement baliser, voire limiter, la portée des droits ancestraux, démolissant presque complètement la possibilité de reconnaître, judiciairement, le droit à l’autonomie gouvernementale si cher aux Premières Nations. Surtout, la Cour suprême, lorsqu’elle reconnaît les droits ancestraux, offre aussi aux gouvernements un guide précis leur permettant d’enfreindre, en toute légalité, ces mêmes droits qui sont supposés jouir d’une protection constitutionnelle.

Depuis, la voie des tribunaux est soudainement devenue beaucoup moins intéressante que l’avaient imaginée les Premières Nations en 1982. Elles ont donc modifié leur stratégie pour aborder de front les relations politiques avec les gouvernements du Canada et du Québec.

L’adoption, en 1998, d’une première politique autochtone par le gouvernement du Québec va grandement contribuer à faire en sorte que les Premières Nations transigent directement avec le Québec, n’ayant plus à subir les altercations répétées du gouvernement fédéral dans ces relations. Il apparaît d’ailleurs plus facile de s’entendre avec le Québec qu’avec le gouvernement fédéral, surtout lorsqu’il y a un parti souverainiste au pouvoir. L’esprit de René Lévesque semble toujours bien présent lorsque Bernard Landry conclut la Paix des Braves avec la nation crie.

L’ensemble des décisions, autant politiques que juridiques, prises au cours de ces 400 ans converge vers deux constats importants à rappeler, puisque ceux-ci sont peu connus de la population québécoise.

En premier lieu, il faut rappeler que les premiers peuples qui occupaient ce territoire depuis plusieurs milliers d’années avant l’arrivée de Jacques Cartier ont permis l’établissement de la colonie de la Nouvelle-France, en plus d’être un facteur déterminant dans la création et la construction de ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada. Cette réalité est malheureusement souvent sous-estimée, voire occultée. Le nom même de Québec — qui ne représente pas seulement une ville, mais est le symbole de toute une nation — est, en réalité, un nom autochtone, illustration frappante du lien historique qui unit la nation québécoise aux Premières Nations.

En fait, l’alliance entre les peuples a été si déterminante que la nation immigrante française, il y a 400 ans, a intégré, dans son vocabulaire le plus symbolique et représentatif, plusieurs expressions de langues autochtones. Outre Kebec, on pourrait aussi évoquer des dizaines d’autres noms de lieux qui sont des emprunts directs aux différentes langues autochtones : Kanata (Canada), Outaouais, Chicoutimi, Chibougamau, Gaspé, Rimouski, Yamaska, Coaticook, Tadoussac, Natashquan, etc.

Il est également primordial de se rappeler que les Premières Nations possèdent des droits particuliers, parce que ce sont de réelles nations avec tout ce que cela signifie, et parce que les régimes successifs à partir de la Nouvelle-France jusqu’au Canada actuel n’ont jamais éteint ou remis en question, d’une quelconque façon, les droits territoriaux et politiques de ces nations qui occupaient le territoire avant l’arrivée des Européens.

En somme, de Kebec à Québec, il y a un long chemin sinueux, peu connu, qui mériterait certainement, en cette année du 400e de la Capitale nationale, un meilleur éclairage.

C
Éric Cardinal est consultant pour les Premières Nations. Il enseigne le cours « Droit des Autochtones » à l'UQAM et est coordonateur de projet de recherche « Peuples autochtones et gouvernance » à l'Université de Montréal.

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