Depuis des décennies, un doute persiste dans l’opinion publique quant à l’engagement des jeunes dans la vie politique. Les élections de 2008 au Québec ont contribué à amplifier ce doute : seulement 36,15 % des 18 à 24 ans s’étaient prévalus de leur droit de vote. S’il s’agissait d’un effet conjoncturel — le taux de votation ayant été bas dans les autres catégories d’âge aussi —, il n’en demeure pas moins que la participation électorale des jeunes a eu tendance à diminuer. Ce fut le cas non seulement aux élections provinciales mais aussi aux élections fédérales, et ce, partout au Canada et dans la plupart des sociétés occidentales. Une exception : la participation massive des jeunes comme des autres groupes d’âge au référendum de 1995 au Québec. Ce dernier fait pourrait à lui seul obliger à revoir les notions d’indifférence et d’apathie. Lorsque la question revêt de l’importance de leur point de vue, les jeunes n’hésitent pas à se rendre aux urnes. Quel sens a donc pour eux le fait d’aller voter ? Comment peut s’expliquer leur abstention ? Les jeunes sont-ils aussi indifférents qu’on le prétend ?
Le système électoral est le même, mais les jeunes ont changé
Le questionnement sur le comportement politique électoral à la baisse ne peut se faire sans tenir compte des changements intervenus dans la manière d’être jeune aujourd’hui. Cette période du cycle de vie qui s’étend de 18 à 24 ans approximativement s’est considérablement transformée sous l’effet, notamment, de la démocratisation de l’enseignement. L’allongement de la période d’études a entraîné le report des autres transitions vers la vie adulte. Ainsi en est-il de la stabilité sur le marché du travail, qui se produit bien plus tard dans la vingtaine. L’insertion résidentielle, la formation du couple et la constitution d’une famille sont aussi retardées, tenant les jeunes à distance de plusieurs dimensions de la réalité citoyenne.
Comment, en effet, s’intéresser à la vie locale et régionale dans une circonscription électorale où l’on n’est qu’en transition ? Comment concevoir, dans ce cas, l’information incitant les jeunes à exercer leur droit de vote ? L’identité politique ne se forge pas seulement par la connaissance des rouages de la démocratie, mais aussi par la confrontation aux exigences de participation à la vie démocratique : utilisation des services publics, paiement des impôts et des taxes, confrontation aux lois et réglementations de la vie en société. De plus, il faut tenir compte de la multiplicité et de la complexité des orientations partisanes concernant le « vivre ensemble » dans un univers mondialisé et inondé d’information en raison des nouvelles technologies.
Particulièrement sensible à la conjoncture (les jeunes connaissent des taux de chômage toujours plus élevés que les autres groupes d’âge, en particulier lors de crises économiques), l’abstention électorale des jeunes pourrait aussi être le reflet du manque de confiance envers les personnes qui sont censées les représenter. Une enquête CROP de 2011 (p. 10) indiquait que si 71 % des Québécois croyaient « que l’élection constitue encore une façon pertinente de tenir les gouvernements responsables de leurs actes », ce n’était le fait que de 41 % des 18 à 24 ans. Le « cynisme », souvent invoqué pour expliquer la faible participation électorale des jeunes, pourrait trouver là une autre explication.
Participer au bien commun, mais différemment
Les jeunes sont-ils pour autant dénués de comportements impliquant une sociabilité de base et un engagement au service du bien commun ? Plusieurs enquêtes montrent que les jeunes interrogés sont nombreux à s’engager dans des associations et à faire du bénévolat. Une enquête de Statistique Canada en 2013 reconnaît que ce sont les 15 à 24 ans qui détiennent le plus haut taux de bénévolat au Canada, soit 66 % (Réseau de l’action bénévole du Québec). De ce point de vue, les Canadiens ne seraient pas différents d’autres jeunes ailleurs dans le monde. L’enquête européenne sur les valeurs analysée par Bernard Roudet en 2009 indique toutefois qu’il existe de fortes différences entre les pays à ce sujet. En ce qui concerne la participation politique, les valeurs des jeunes s’inscriraient dans le contexte d’évolution des sociétés. Le recul de leur participation serait lié, entre autres, à un déclin de normes collectives. Mais il se ferait au profit d’une socialisation entre pairs et dans de nouvelles modalités d’inscription dans l’espace public qui ne sont pas de nature électoraliste de prime abord.
Ces nouvelles modalités prennent souvent la forme de la participation protestataire et de l’adhésion à des groupes de pression, à des associations et à des formes de pratiques citoyennes qui s’inscrivent dans des rapports horizontaux plutôt que verticaux. La grève étudiante de 2012 — la plus longue grève (la 33e) de l’histoire du mouvement étudiant québécois depuis 1959 —est caractéristique de ce type d’engagement : des étudiants qui réclament, dans une démarche participative, des avantages pour eux. Devant ces faits et des événements semblables en Occident, certains observateurs se demandent même si l’on n’assiste pas à « une crise de la représentation » : les jeunes rechercheraient un « interlocuteur » pour régler leurs difficultés plutôt qu’un « représentant », tant dans le fonctionnement de leurs groupes que dans le champ politique. Le représentant, c’est celui qu’on élit lors d’une élection dans le système de la démocratie représentative, alors que l’interlocuteur se rapporterait davantage à une démocratie directe ou participative. Ce dernier statut reste toutefois à définir dans le système politique actuel.
Il faut tenir compte en plus, ce qui peut paraître paradoxal, du fait que beaucoup de jeunes sont prêts à s’engager dans des associations ou dans des mouvements qui ont une résonnance internationale. L’importance que certains accordent à l’environnement, à la paix, à un souci d’égalité les rend plus sensibles aux mouvements protestataires internationaux. Le Printemps arabe et le mouvement Occupy en constituent des expressions éloquentes.
Une perception générationnelle ?
Le doute persistant quant à l’engagement des jeunes dans l’action politique, dont la participation électorale, peut aussi relever de la perception qu’en ont les générations aînées, plus engagés à certaines époques qu’à d’autres. Le mouvement étudiant des années 1960 est longtemps demeuré la référence pour évaluer le comportement des jeunes contemporains. Ce fait n’est pas nouveau. Les générations aînées tendent à interpréter le comportement des jeunes à partir de leur propre expérience, ce qui les conduit inévitablement à vouloir convaincre les jeunes de s’engager dans la voie qu’elles considèrent être la meilleure. Notons, parmi d’autres, la grande tentation de voir le salut de la participation électorale des jeunes dans l’éducation à la citoyenneté, la proximité des bureaux de votation, l’abaissement de l’âge du droit de vote… Beaucoup d’expériences en ce sens ont été tentées au Québec. En a-t-on mesuré les résultats ?
Il faut mettre en doute l’importance du vote comme mesure principale de l’engagement politique des jeunes. L’abstention électorale des jeunes incite à changer de regard et à tenter de saisir la signification de leur présence actuelle dans des associations, des manifestations et des mouvements de contestation, et, en particulier, à comprendre les objectifs qu’ils visent. Elle oblige à réfléchir aux formes multiples que pourrait prendre une démocratie participative au-delà de la démocratie représentative.
La réforme du système électoral
Une révision du système électoral fédéral est en cours. La faible participation électorale des jeunes oblige à remettre en question ce système fondé sur la représentation, qui, finalement, est devenu la représentation d’une minorité. Est-il possible de le corriger pour qu’il soit réellement représentatif de la population dans son ensemble tout en y intégrant certaines orientations chères aux jeunes ? Comment, par exemple, entre les scrutins, répondre aux revendications des jeunes qui s’expriment sous forme de contestations, de manifestations ou d’engagements dans des associations à l’échelle locale ? Certaines sociétés, plus que d’autres, ont recours au référendum. Est-ce une voie à adopter ? Les sondages d’opinion sont moins coûteux, mais ils ont le plus souvent des visées électoralistes. Comment en faire des moyens de conversation entre électeurs et élus ? Pourraient-ils nourrir des besoins de connaissance, combler des attentes et se réaliser sous le signe de la transparence ?
Quelles informations les nouvelles technologies pourraient-elles fournir à des jeunes souvent débordés par les exigences des transitions vers la vie adulte, qui se sentent loin de leurs représentants et encore plus des lieux de décision ? Les relations électroniques étant « naturelles » pour les jeunes générations, peut-on se dispenser de les inclure dans la réflexion sur les manières d’être un bon citoyen, informé et participant ?
Ce texte constitue un résumé de l’article de l’auteure « Les jeunes et l’action politique : problème conceptuel, question de perception, effet générationnel ou effet conjoncturel ? », paru dans Nicole Gallant et Stéphanie Garneau (dir.), Les jeunes et l’action politique : participation, contestation, résistance, Québec, PUL, 2016, p. 13-41.
Cet article fait partie du dossier La jeunesse du pays face aux politiques publiques.
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