La stratégie que le gouvernement fédéral s’apprête à mettre en œuvre pourrait entraîner une transformation durable du secteur du logement… Ou elle pourrait se révéler l’une des pires occasions ratées des dernières décennies.

La pression est donc très forte sur ce gouvernement, même s’il a déjà pris des mesures que nous, les élus municipaux, jugeons très positives. Après des années de négligence, l’adoption d’une Stratégie nationale pour le logement, quelle qu’elle soit, est tout un revirement. Le gouvernement y a même engagé 15 milliards de dollars sur 11 ans dans son budget 2017. Il a clairement décidé de donner suite aux recommandations de la Fédération canadienne des municipalités et de notre caucus des maires des grandes villes.

Nous avons donc bien des raisons d’être optimistes, mais nous savons aussi que les bonnes intentions ne suffisent pas. Tout dépend de la mise en œuvre de la stratégie, à laquelle le gouvernement travaille actuellement.

Les logements sont de moins en moins abordables pour les citoyens dans toutes les tranches de revenu, et les élus municipaux sont les premiers à en voir les ravages. Nous cherchons constamment des solutions pour améliorer la situation dans nos villes, mais il est important de reconnaître qu’il s’agit d’une crise nationale.

Dans l’ensemble du Canada, un million et demi de familles sont incapables de trouver un logement convenable à la portée de leurs moyens. Un locataire sur cinq dépense plus de la moitié de ses revenus pour se loger. Les loyers grimpent en flèche, alimentés par des taux d’inoccupation anémiques. Les listes d’attente pour des logements sociaux et des logements abordables subventionnés allongent, tandis que la construction dans ces secteurs stagne depuis vingt ans.

Cette année, environ 235 000 personnes vivront l’itinérance au Canada. Bien des Canadiens qui habitent un logement social craignent de le perdre, et de nombreux autres vivent dans des logements insalubres, parce qu’on n’avait pas prévu dans les ententes fédérales des fonds suffisants pour les réparations futures. Des logements ont déjà dû être condamnés et d’autres le seront certainement si aucune solution nationale et systématique n’est mise en avant pour mettre fin au déficit des réparations.

La pénurie endémique de logements abordables sape le potentiel économique du Canada. Les grandes villes comme les petites municipalités font d’énormes efforts pour attirer de nouveaux citoyens et des travailleurs compétents afin de soutenir le dynamisme des quartiers et de répondre aux besoins de leur population vieillissante. Mais il faut de meilleures solutions pour aider les travailleurs et les professionnels créatifs qui n’arrivent pas à trouver un logement — ou qui subissent des tensions familiales et sont exténués parce qu’ils doivent faire un long trajet matin et soir entre leur lointaine banlieue et leur lieu de travail.

Nous pouvons continuer de déplorer les décisions politiques qui nous ont menés là, ou saisir l’occasion qui s’offre à nous pour remettre le système sur pied. Nous avons enfin la chance d’entreprendre une transformation durable du secteur du logement. C’est ce que vise le gouvernement fédéral lorsqu’il parle de la transformation par l’innovation. Mais pour y arriver, il faut une stratégie qui saura exploiter au maximum le potentiel des investissements, qui restent limités.

Restaurer les logements sociaux

La première tâche consiste à réparer et à rénover les 600 000 logements sociaux existants.

Pour les gens qui y vivent — aînés, nouveaux arrivants, familles autochtones, personnes handicapées et autres Canadiens vulnérables —, ces logements sont essentiels. Mais ce réseau va mal, et certains logements doivent même être évacués parce que les fournisseurs de logements n’ont pas les moyens financiers de faire les réparations nécessaires. Le déficit moyen annuel des grosses réparations pour ces logements dépasse maintenant 1,3 milliard de dollars.

Pourtant les logements sociaux construits entre les années 1950 et 1990 sont un actif précieux. Pour préparer le parc de logements de demain, la mesure la plus censée est de commencer par réparer, rénover et améliorer l’efficacité énergétique de ces logements. Une fois cette tâche accomplie, des centaines de fournisseurs de logements sociaux pourront ensuite entreprendre la transformation envisagée par le gouvernement. Disposant ainsi d’actifs consolidés, en plus d’un accès à des investissements, ils pourront enfin réaménager leur bien immobilier et construire d’autres logements.

Des fonds pour la construction

Afin de tirer le maximum du potentiel de croissance du parc de logements sociaux et de logements abordables, la Stratégie pour le logement doit prévoir des subventions substantielles pour la construction.

L’ampleur des investissements est importante, et le genre de logements construits également. La construction devrait favoriser les projets domiciliaires mixtes du secteur à but non lucratif, y compris les coopératives d’habitation, et certaines unités y devraient être réservées aux ménages à faible revenu. Toutefois, les projets domiciliaires mixtes ne conviennent pas toujours, comme dans le cas de logements offrant des services de soutien. Mais quand ils sont réalisables, les projets domiciliaires mixtes ont l’avantage de favoriser l’inclusion sociale et d’offrir aux fournisseurs le moyen d’atteindre la viabilité financière.

Afin de soutenir la construction à une échelle qui correspond aux besoins du pays, le gouvernement fédéral devra faire preuve d’une ingéniosité exceptionnelle pour soutenir les nouveaux investissements à l’aide des outils existants.

En alliant les subventions pour la construction à l’accès à du financement fédéral et à des terrains fédéraux inexploités, il assurerait la viabilité des projets et la réalisation des projets. Le Fonds pour l’infrastructure verte pourrait soutenir la construction de logements conçus selon des normes de grande efficacité énergétique, dont les coûts d’exploitation futurs seraient moins élevés. Les garderies subventionnées par le gouvernement fédéral pourraient être aménagées dans des complexes de logements sociaux rénovés afin de les rendre accessibles aux parents à faible revenu.

Il reviendrait toutefois aux promoteurs eux-mêmes de tirer parti de ces possibilités. Dans ce but, nous avons proposé au gouvernement fédéral d’établir un guichet unique où les promoteurs pourraient s’informer de l’éventail d’outils à leur disposition afin de mener à bien leurs projets.

L’apport des municipalités sera également crucial. De nombreux gouvernements municipaux fournissent déjà des terrains afin de stimuler la construction de logements abordables. D’autres offrent des exemptions de frais et accélèrent le traitement des permis. Les gouvernements municipaux comprennent bien les besoins de leurs collectivités, et se servent d’outils comme les plans d’urbanisme pour intégrer les logements aux transports collectifs, aux installations collectives modernes et aux objectifs de développement durable. C’est dans cette voie que s’est engagée l’innovation municipale, et la Stratégie nationale sur le logement doit tirer parti de cette expertise en attribuant un rôle conséquent aux gouvernements municipaux dans la conception et la sélection des projets.

Maintenir des loyers abordables

La future stratégie doit adopter une démarche éclairée afin d’assurer aux ménages à faible revenu des loyers abordables, tant dans l’immédiat qu’à long terme.

Dans le passé, les fonds accordés aux logements sociaux étaient souvent versés de façon forfaitaire aux fournisseurs de logements ; ils englobent le financement pour les coûts de construction et les coûts d’exploitation pour les logements subventionnés.  De nombreux fournisseurs se sont ainsi retrouvés entièrement dépendants du financement gouvernemental, sans actifs ou revenus suffisants pour financer les réparations, les réaménagements ou l’innovation.

Afin de sortir de cette impasse, il faudrait commencer par séparer le soutien à la construction du soutien à l’abordabilité. Les fournisseurs à but non lucratif devraient être soutenus afin d’être en mesure d’offrir les logements à un loyer correspondant au seuil de rentabilité. Dans le cas des projets domiciliaires mixtes, les loyers plus élevés de certains logements pourraient aider à subventionner raisonnablement les loyers les plus bas. Il faudrait néanmoins réduire encore les loyers pour les ménages à faible revenu, mais il s’agit là d’un défi qui exige une approche distincte. Elle peut être réalisée en trois temps.

D’abord, atténuer la crise immédiate suscitée par la fin des ententes d’exploitation en remplaçant immédiatement les subventions au loyer. Autrement, de nombreux locataires feraient face à des hausses de loyer insoutenables ou à l’expulsion. Le gouvernement fédéral a promis de réinvestir les fonds qui étaient consacrés à ces ententes ; il est donc tout à fait logique de continuer de verser directement les subventions aux fournisseurs de logement lorsque cette fin surviendra. Toutefois, les maires et les défenseurs du logement ont proposé d’en faire une mesure transitoire, puis de fournir l’aide directement aux ménages à faible revenu.

Ensuite, l’allocation directe aux ménages à faible revenu aiderait ces derniers à obtenir et à conserver un nouveau logement d’un fournisseur à but non lucratif. Ainsi, les fournisseurs pourraient se concentrer sur des projets domiciliaires qui leur permettent de faire leurs frais, tout en offrant aux ménages à faible revenu une plus grande latitude dans le choix d’un logement à mesure de l’augmentation de l’offre.

Enfin, dans des situations d’urgence, ce choix devrait s’étendre au marché locatif privé. Par exemple, une famille qui fuit la violence domestique ne devrait pas avoir à attendre qu’un rare logement sans but lucratif se libère s’il existe des logements à loyers accessibles sur le marché privé.

Du point de vue de la politique publique, l’orientation de la Stratégie nationale sur le logement semble claire : restaurer les logements sociaux et les logements abordables actuels, utiliser ces actifs pour l’expansion du parc et prendre des décisions plus ingénieuses pour assurer l’abordabilité des logements.

Bref, partir de la base pour amorcer une transformation à long terme. Toutefois, pour un gouvernement fédéral qui mise (ce qui est tout à son crédit) sur l’innovation, investir fortement dans des solutions « de base » peut sembler plutôt contradictoire.

En réalité, ce ne l’est pas. Nous, les municipalités, avons besoin de partenaires fédéraux qui prônent l’innovation. Par exemple, outiller la Société canadienne d’hypothèques et de logement pour lui permettre de guider à bon port la Stratégie nationale sur le logement, après 20 ans consacrés à l’assurance hypothécaire, exigera un leadership très solide. Innover passe aussi par la modernisation de programmes comme la Stratégie de partenariats de lutte contre l’itinérance, un partenariat entre le gouvernement fédéral et des collectivités qui a porté fruits.

Mais aujourd’hui, le réel défi de ce gouvernement est de stimuler l’innovation locale. Si les fournisseurs de logements pouvaient aspirer à la viabilité, ils pourraient être extrêmement inventifs. Si les gouvernements municipaux jouaient un rôle central dans la sélection des projets, ils s’assureraient que chaque dollar investi soutiendrait des solutions conçues pour répondre aux besoins locaux de logements et renforcer nos collectivités.

Le gouvernement fédéral doit absolument viser juste. Il ne doit pas se laisser convaincre que l’innovation est nécessairement « du neuf et du tape-à-l’œil ». Réparer le parc de logements sociaux du Canada est loin de cette vision. Toutefois, c’est en accomplissant d’abord cette tâche que nous jetterons les bases du parc de logements de demain et ouvrirons la voie à l’innovation future. Il est capital d’apporter de nouvelles idées à la stratégie pour le logement, mais seulement si ces idées servent bien cette tâche fondamentale.

La proposition de notre caucus des maires des grandes villes de fournir un soutien direct pour le logement en est un bon exemple. Cette idée est à la fois novatrice et facile à communiquer, et elle procurerait une aide financière immédiate aux familles à faible revenu. Mais cette aide serait insuffisante si le nombre de logements abordables n’augmentait pas en même temps. Elle serait encore moins utile si, involontairement, elle avait comme conséquence de pousser les loyers du marché à la hausse. Et elle serait carrément nuisible si elle devenait un prétexte pour négliger les besoins fondamentaux de réparation et de construction. Succomber à la tentation de trop investir dans un soutien direct pour le logement serait la solution facile, mais ce serait une grave erreur si elle se substituait aux travaux nécessaires sur d’autres fronts.

Ces deux dernières années, le gouvernement fédéral a eu des interactions plus étroites que jamais avec les villes et les collectivités. Nous l’avons vu adopter nos conseils et entendu faire référence à nos recommandations. Maintenant, la conception de la Stratégie nationale sur le logement en est à l’étape finale, et nous voulons nous assurer qu’elle soit sans faille.

Si le gouvernement réussit, il pourrait réaliser ce qu’aucun gouvernement fédéral n’est parvenu à faire dans cette génération. Il pourrait offrir un véritable espoir. L’espoir que nos enfants pourront toujours avoir un logement convenable et abordable, condition de base pour qu’ils puissent donner leur pleine mesure — en tant que travailleurs, entrepreneurs, familles et participants à part entière à la vie citoyenne.

Photo : Shutterstock, by 2009fotofriends


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Jenny Gerbasi
Jenny Gerbasi est présidente de la Fédération canadienne des municipalités, mairesse suppléante de la Ville de Winnipeg et conseillère d’arrondissement de Fort Rouge-East Fort Garry.
Don Iveson
Don Iveson est maire d’Edmonton et président du conseil du caucus des maires des grandes villes, qui fait partie de la Fédération canadiennes des municipalités.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License

More like this