Les discussions entourant l’éducation postsecondaire portent habituellement sur le financement des institutions et l’accessibilité aux études. On l’a vu encore tout récemment, alors que de nombreux étudiants manifestaient contre le dégel des frais de scolarité. Malheureusement, il y a peu de débats sur les défis que doivent relever les institutions d’enseignement supérieur dans les domaines de la gouvernance et du développement. Plusieurs questions sont ainsi négligées, comme celle de l’internationalisation de l’éducation supérieure et de l’impact de la mondialisation sur la mission des universités et des collèges.

L’environnement international en éducation supérieure a pourtant considérablement changé, plus particulièrement en ce qui concerne les activités transnationales et les stratégies et politiques mises en place au cours des dernières années. De plus, l’influence directe d’organisations internationales (comme l’OCDE, l’UNESCO et l’OMC) sur les politiques publiques des États se fait sentir, et contribue à nourrir l’idée selon laquelle il faut mettre en place des normes internationales qui encadreraient les services éducationnels et les activités internationales.

Comme les autres secteurs, les systèmes d’éducation n’échappent pas à la mondialisation, les études supérieures encore moins. Elles sont soumises aux activités croissantes du commerce mondial, entre autres par l’augmentation importante des échanges de services en éducation (ceux-ci se chiffrent à environ 30 milliards de dollars US par année uniquement dans le secteur de la mobilité étudiante). Nous sommes ainsi témoins d’une transformation importante du rôle des institutions d’enseignement supérieur qui doivent maintenant non seulement assurer un enseignement de haute qualité mais également contribuer à la compétitivité économique.

Un des effets majeurs de la mondialisation consiste à bouleverser les activités associées à l’internationalisation de l’éducation supérieure. Elle a entraîné la mise en place de programmes qui permettent aux étudiants de s’ouvrir au monde, de mieux comprendre les enjeux mondiaux, d’acquérir des connaissances et des compétences internationales et interculturelles. Dans la pratique, nous pouvons regrouper ces activités sous trois catégories : l’internationalisation de la recherche, l’enseignement supérieur transnational, et l’internationalisation des programmes et de la formation.

Si la mondialisation a contribué au développement constant de ces activités, elle a également orienté l’éducation supérieure vers des pratiques commerciales. Cet élément est essentiel pour comprendre les nouveaux objectifs des acteurs au cours des dernières années.

Au départ, l’internationalisation de l’éducation supérieure était un processus plutôt volontaire qui répondait essentiellement à des considérations politiques, culturelles et géostratégiques.

Au départ, l’internationalisation de l’éducation supérieure était un processus plutôt volontaire qui répondait essentiellement à des considérations politiques, culturelles et géostratégiques. Présentement, la mondialisation incite les gouvernements et les institutions à utiliser les universités comme de véritables outils au service du développement économique et du positionnement stratégique, tant sur le plan local que mondial. Il s’agit en fait de conquérir des marchés, de recruter une clientèle convoitée et des professeurs talentueux, capables de structurer des pôles de recherche innovants qui répondent aux exigences de l’économie du savoir.

Dans ce contexte de l’internationalisation croissante des études supérieures, nous observons un déséquilibre évident entre deux discours que tiennent les différents acteurs de l’éducation et qui, inévitablement, influencent les politiques publiques des États en cette matière.

Dans le premier, on privilégie une approche globale. Celle-ci comprend une dimension interculturelle importante, qui mise également sur la transmission des connaissances dans un souci d’accessibilité. Il s’agit de promouvoir l’éducation en tant que bien public et d’œuvrer à la préservation du rôle social traditionnellement joué par les institutions d’enseignement supérieur.

Dans cette optique, le rôle de l’État en tant que protecteur du système demeure important. Comme la société doit disposer d’une connaissance du monde de plus en plus globalisé et que le savoir est au cœur du nouvel ordre mondial, on s’attend à ce que les établissements d’enseignement misent sur une formation diversifiée pour favoriser une meilleure compréhension des enjeux mondiaux.

Le second discours, beaucoup plus répandu, défend, quant à lui, une approche utilitariste. Ce point de vue est favorisé, entre autres, par la libéralisation des échanges, la forte croissance du commerce des services et les possibilités qu’offre l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et des communications.

Un facteur important à prendre en compte dans l’apparition de ce discours est l’adoption de pratiques néolibérales dans la gestion des institutions d’enseignement supérieur au cours des années 1980-1990. En témoignent les tendances à l’uniformisation des programmes et de la formation, à la reconnaissance des diplômes et à l’assurance de la qualité des programmes. En ce qui concerne la mission des institutions, nous trouvons dans ce discours une attitude entrepreneuriale accompagnée de stratégies de marketing qui dérivent du secteur privé.

Les activités internationales correspondent davantage au discours utilitaire, et c’est lui qui caractérise également la construction actuelle de l’espace éducationnel mondial. Cette tendance semble, par contre, porter atteinte aux principes fondamentaux de la mission des universités, comme l’équité et l’accessibilité aux études. Elle risque également de marginaliser certains programmes qui contribuent peu à la croissance économique.

Le Québec n’est pas à l’abri des impacts de la mondialisation. Il est de plus en plus évident que le rôle des collèges et des universités est de soutenir l’économie des régions et de promouvoir le rayonnement de la province sur la scène internationale. Ces deux volets constituent l’avenir de l’enseignement supérieur et ont contribué à redéfinir la pratique de l’internationalisation.

De 2000 à 2006, le gouvernement québécois a publié trois documents importants à ce sujet. Ainsi, en 2002, le ministère de l’Éducation a présenté sa Stratégie de l’internationalisation de l’éducation, consacrée à l’éducation en général et formulée autour de quatre axes prioritaires, soit l’éducation et la formation, la mobilité, l’exportation du savoir-faire, et le rayonnement et le positionnement. Cette approche intégrée s’inscrivait dans la volonté du gouvernement d’assurer son rayonnement sur la scène internationale. Malgré une réelle tradition d’activités internationales au sein des universités et du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, il paraissait important d’élaborer une nouvelle politique pour tenir compte des mutations sociales, culturelles, politiques et économiques provoquées par la mondialisation.

En ce qui concerne l’éducation et la formation, le gouvernement y préconisait « l’inscription des valeurs humaines et démocratiques de l’internationalisation dans les contenus et les activités pédagogiques » et ce, à tous les niveaux d’enseignement. Au chapitre de la mobilité, Québec voulait favoriser la poursuite d’études à l’étranger, l’accueil d’étudiants de l’étranger tout comme l’échange de chercheurs. Par l’exportation du savoir-faire, le gouvernement entendait soutenir les efforts des établissements d’enseignement au Canada comme à l’étranger et appuyer l’exportation du savoir-faire québécois à l’étranger. Enfin, le rayonnement et le positionnement du Québec sur la scène internationale visaient essentiellement à faire connaître les compétences en éducation des établissements québécois. Dans ce volet, le gouvernement exprimait aussi sa volonté de participer aux rencontres ministérielles et aux forums internationaux, ce qui mérite d’être signalé, compte tenu du rôle que pourra dorénavant jouer le Québec à l’UNESCO.

Deux ans plus tôt, en 2000, le gouvernement du Parti québécois avait rendu publique sa politique à l’égard des universités, intitulée Pour mieux assurer notre avenir collectif, révélatrice des ambitions internationales du Québec. Le gouvernement y affirmait l’importance des universités dans le développement de la société. Il établissait aussi un cadre de référence « situant les engagements et les attentes du gouvernement à l’endroit des universités ». Le gouvernement y rappelait que la mission première des universités est de participer au développement humain et social. Mais il ajoutait que les universités devaient désormais assumer un rôle stratégique dans le positionnement du Québec et avaient le mandat de contribuer à son développement économique, social et culturel.

En 2006, le ministère des Relations internationales rendait publique sa Politique internationale du Québec et y réaffirmait l’importance de l’internationalisation des activités éducationnelles et son impact bénéfique pour la société québécoise. Ainsi, une des priorités du Ministère consistait à « mettre le savoir, l’innovation et l’éducation au cœur de l’action internationale du Québec ». Cet énoncé est venu renforcer les aspects économiques de l’internationalisation de l’éducation. Dans la restructuration actuelle de l’espace économique avec, entre autres, l’émergence de nouveaux pôles économiques et l’intégration accrue du commerce international, l’éducation est un moyen, qualifié d’essentiel, pour accroître la compétitivité de l’économie québécoise.

Québec a également réagi par l’élargissement de l’autonomie des institutions d’enseignement. Ainsi, le gouvernement s’est retiré encore davantage du processus décisionnel et de la gestion des institutions, en accordant aux établissements une plus grande autonomie dans le développement des activités internationales.

Les universités et, dans une moindre mesure, les collèges ont ainsi participé à l’internationalisation en mettant en place des stratégies et des politiques d’une manière très autonome, sans l’intervention directe du gouvernement, en termes de ressources humaines et financières. De plus, ils ont dû intégrer et assurer la réussite des politiques publiques mentionnées précédemment et ce, dans un contexte budgétaire difficile.

Au Québec, l’accueil d’étudiants étrangers constitue l’activité internationale principale.

Au Québec, l’accueil d’étudiants étrangers constitue l’activité internationale principale. En 2004, on comptait environ 20 000 étudiants étrangers, principalement originaires de la France, des États-Unis, du Proche-Orient, ainsi que de l’Extrême-Orient et de l’Afrique. Du côté des professeurs, la mobilité est plutôt faible et demeure un aspect très négligé de l’internationalisation des études supérieures. Des efforts devraient également être faits en ce qui concerne la formation transnationale, car le taux d’exportation des programmes d’études est présentement peu élevé. Une enquête de l’Association des universités et collèges du Canada démontre qu’en 1999, seulement 42 p. 100 des 66 établissements universitaires au Canada avaient des activités à l’extérieur du pays et que 62 p. 100 de ces établissements enregistraient un taux d’activité assez faible. Au Québec, le Conseil supérieur de l’éducation établissait en 2003 à 1 723 le nombre d’étudiants étrangers qui recevaient une formation universitaire à distance. Ce nombre, par le biais de stratégies plus ciblées, pourrait s’accroître encore.

Pour éviter la domination de la définition utilitaire de l’enseignement universitaire, il faut, à notre avis, chercher à trouver un équilibre entre les ambitions marchandes et la préservation d’institutions dites humanistes, où l’étudiant développe ses connaissances et apprend à devenir d’abord et avant tout un citoyen du monde globalisé. Cet équilibre doit nécessairement apparaître dans la formulation des politiques publiques des gouvernements et dans les stratégies d’internationalisation des établissements d’enseignement.

Les institutions internationales — l’UNESCO, par exemple — offrent des pistes intéressantes dans la recherche équilibre. En fait, la situation nous semble mûre pour la mise en place de normes internationales. Les activités internationales dans l’enseignement supérieur sont en plein essor, et l’absence de structures supranationales favorise actuellement certaines institutions au détriment d’autres dont les pratiques commerciales sont moins évidentes et les ressources financières plus limitées.

Il pourrait par exemple être judicieux d’adopter un accord international en éducation sous l’égide de l’UNESCO et ce, malgré une certaine attitude néolibérale de sa part envers l’enseignement supérieur. Cette organisation connaît bien le dualisme public/privé de l’éducation, et le droit à l’éducation est au cœur de sa mission.

L’UNESCO pourrait assurer la diversité dans la formation supérieure tout en établissant un système de reconnaissance des diplômes. En effet, la mobilité des étudiants, des chercheurs et professeurs prend de plus en plus d’importance, et de nombreux individus désirent acquérir de l’expérience personnelle et professionnelle dans un autre pays. Au même moment, les institutions et les gouvernements mettent en place des stratégies pour attirer plus d’étudiants étrangers. Comment protéger un système éducatif tout en souhaitant le voir s’ouvrir au monde et répondre ainsi à des objectifs communs? Voilà un enjeu dont pourraient très bien se saisir les pays membres de l’UNESCO dans l’adoption d’une convention sur l’éducation.

Il serait également souhaitable d’adopter une sorte de convention qui viserait à assurer la transmission du savoir et le partage des connaissances. Cet objectif ne doit pas se limiter à la seule logique Nord-Sud. Il doit se déployer vers l’ensemble des systèmes éducatifs pour éviter tout décalage. Les enjeux entourant la recherche, l’assurance qualité et la reconnaissance des diplômes devraient également tenir une place importante dans la formulation d’une telle convention. Et la mise en place d’un glossaire qui délimiterait l’utilisation des notions comme « université », « doctorat », « maîtrise » et « professeur » est aussi essentielle. Élaborer une typologie de ces concepts fondamentaux est une condition nécessaire à la reconnaissance des diplômes, mais aussi à l’utilisation consensuelle de ces notions d’un pays à l’autre, et même à l’intérieur de chaque pays.

La convention pourrait mettre l’accent sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC) pour promouvoir le partage et la transmission des connaissances et ainsi encourager les établissements d’enseignement supérieur à développer des activités à distance. Le recours à ces nouvelles technologies contribuerait à amenuiser la fracture numérique et cognitive entre les différents pays membres.

Les membres de l’UNESCO pourraient en fait réitérer leur appui à la Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur de 1998, ainsi qu’au Cadre d’action de Dakar, de 2000. Ils souligneraient ainsi le véritable rôle de pivot joué par l’UNESCO dans le dialogue, le partage de l’expertise et les échanges d’informations, en plus d’appuyer les États membres dans le développement de leurs capacités et politiques en enseignement supérieur. La Déclaration de 1998 fait état de la mission d’éducation, de formation et de recherche de l’enseignement supérieur, ce qui se traduit par la contribution de l’organisation au développement durable et à l’épanouissement du capital humain. En s’inspirant de cette Déclaration, les membres de l’UNESCO seraient à même de contrebalancer les effets d’une éventuelle libéralisation des services éducatifs sous l’égide de l’OMC. De plus, l’instrument juridique de l’UNESCO renforcerait l’aspect public de l’éducation.

Les acteurs qui œuvrent dans les différents systèmes éducationnels se font de plus en plus entendre dans le dossier de la libéralisation des services éducatifs. Les syndicats d’enseignants, les dirigeants des établissements et les associations d’étudiants s’activent à défendre la mission publique de l’enseignement supérieur. Ils reconnaissent les avantages de l’internationalisation, tout en s’opposant à l’idée de considérer l’éducation comme un simple service commercial. En ce sens, ils souhaitent que le développement inévitable de la formation transfrontalière soit contrôlé par un traité qui se situe à l’extérieur du cadre réglementaire de l’OMC.

La nécessité d’adopter des normes internationales en éducation ne devrait pas poser problème. C’est davantage les discussions sur les moyens à privilégier qui pourraient être plus épineuses. Quel est l’instrument le mieux adapté pour encadrer les systèmes éducatifs? En tenant compte de l’ampleur du sujet et de sa sensibilité, de la mission de l’éducation dans certains pays, et plus particulièrement au sein de certaines entités fédérées comme le Québec, il serait plus sage de cheminer d’abord vers une déclaration, instrument juridique non contraignant. Cette option permettrait de construire un cadre juridique en prévision d’un texte plus contraignant, comme une convention.

Au sein même de l’UNESCO, il existe des textes juridiques très stimulants en faveur d’une normalisation en éducation. Il s’agit plus particulièrement de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle de 1991 et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Ces deux instruments mettent l’accent sur la diversité et sur le bien commun. La protection des systèmes éducatifs pourrait s’inspirer de l’article 8 de la Déclaration, selon lequel les biens et les services culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. De plus, tout comme pour la culture, l’éducation peut être — c’est le cas dans plusieurs États et aussi dans les entités fédérées comme le Québec — un véhicule identitaire très important, en plus de favoriser la transmission de valeurs communes. La Déclaration confirme à l’article 11 le rôle central des politiques publiques, tout en réaffirmant l’importance des partenariats avec la société civile et le secteur privé. La Convention contient, quant à elle, des éléments tout aussi pertinents pour le secteur de l’éducation. Elle entend notamment mettre en place des mécanismes pour favoriser les échanges culturels, procéder à une reconnaissance de la nature spécifique des biens et services culturels, ce qui englobe la dimension public/privé.

Au sein même de l’UNESCO, il existe des textes juridiques très stimulants en faveur d’une normalisation en éducation.

Le gouvernement du Québec, et de façon plus précise, les ministères des Relations internationales, de l’Éducation, du Loisir et du Sport ainsi que du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, de même que les acteurs à l’œuvre dans le secteur de l’éducation devraient conjuguer leurs efforts et évaluer les avantages et inconvénients de la libéralisation de certains sous-secteurs (universités, cégeps, formation aux adultes). Le volet juridique éventuellement pris en charge par l’UNESCO devrait faire partie intégrante des objectifs du Québec. Le nouveau délégué du Québec auprès de cette instance pourrait se voir confier ce dossier.

En somme, le contexte actuel implique le développement soutenu des activités internationales postsecondaires et la nécessité de réguler les services éducatifs. Mais il ne suffit pas d’ajouter le mot international aux programmes d’études et d’offrir des stages à l’étranger. Il importe d’approfondir et d’élargir les collaborations existantes et donner des moyens efficaces aux collèges et aux universités pour accomplir les objectifs des politiques publiques adoptées.

La mondialisation et l’internationalisation confèrent à l’éducation supérieure un rôle de premier plan dans la réorganisation de l’ordre mondial, dans le développement économique des États et des régions où ces institutions sont implantées, et dans la réussite de l’économie du savoir : voilà de grands rôles pour les institutions québécoises, mais également de grandes responsabilités pour le gouvernement. Surtout, l’éducation est un bien public en pleine mutation qui requiert un encadrement juridique de portée universelle

 

Cet article résume ses recherches sur l’impact de la mondialisation sur l’éducation au Québec, lesquelles peuvent être consultées en ligne à www.leppm.enap.ca.

SM
Sophie Morin est professionnelle de recherche en éducation au Laboratoire d'étude sur les politiques publiques et la mondialisation de l'École nationale d'administration publique.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License