Du 7 au 18 novembre 2016, la ville de Marrakech a accueilli la 22e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP22). Moins d’un an après la COP21, qui avait permis l’adoption de l’Accord de Paris, cette COP22 représentait un nouveau test pour la diplomatie climatique. La communauté internationale devait en effet montrer que le formidable élan de Paris, en décembre 2015, ne s’était pas essoufflé et qu’à la « COP de l’engagement » succéderait immédiatement la « COP de l’action » (selon l’expression utilisée par le Maroc), c’est-à-dire la COP de la mise en œuvre des engagements contenus dans l’Accord de Paris.

Il faut rappeler que l’Accord de Paris n’est pas, en soi, un traité international directement opératoire. Le texte définit uniquement l’architecture et les fondements d’un cadre juridique applicable à tous les États en matière de lutte contre les changements climatiques, sans pour autant en préciser toutes les modalités de fonctionnement. Il s’agit donc d’une sorte de convention-cadre, qui requiert des « règlements » d’application pour pouvoir être mise en œuvre. Ainsi, lors de la COP21, il avait été convenu que les États adopteraient ultérieurement des décisions qui détailleraient le contenu et la portée des dispositions de l’Accord de manière à leur donner plein effet.

Au terme de la COP22, force est d’admettre que la notion « d’action » possède dans la diplomatie climatique un sens bien particulier. En effet, à Marrakech, c’est seulement la feuille de route sur les négociations à mener pour élaborer les décisions de mise en œuvre de l’Accord de Paris qui aura été adoptée, et non les décisions elles-mêmes. Les États se sont entendus pour que ces décisions soient adoptées au plus tard en décembre 2018, lors de la COP24. D’ici là, la COP23 leur permettra de « passer en revue » l’avancement de leurs travaux (l’expression « review progress » ayant été préférée à celle plus forte de « take stock »). Désormais, toute la question est donc de savoir si les États parviendront à adopter ce paquet de décisions avant décembre 2018. Le défi sera de taille, puisque la mise en œuvre de l’Accord de Paris suppose de définir des règles d’une grande technicité sur des sujets variés (atténuation des gaz à effet de serre, adaptation aux effets des changements climatiques, financement, suivi de la mise en œuvre, mécanismes de marché) et à propos desquels les susceptibilités sont vives.

Avec l’adoption de l’Accord de Paris, beaucoup espéraient un changement des pratiques et une certaine accélération du rythme des discussions.

Cette méthode de travail — négociation sur la négociation, définition d’une feuille de route, fixation d’une échéance — est loin d’être inédite dans les discussions internationales sur le climat. C’est de cette façon que s’est toujours développé le système multilatéral onusien de lutte contre les changements climatiques. Mais avec l’adoption de l’Accord de Paris, beaucoup espéraient un changement des pratiques et une certaine accélération du rythme des discussions. D’autant plus que lors de la COP21, les États s’étaient déjà dotés d’un programme de travail assez complet pour mettre en œuvre l’Accord de Paris. Pourtant, son entrée en vigueur, le 4 novembre 2016, fît apparaître de nouvelles questions au sujet de l’organisation des travaux à venir qu’il était indispensable de résoudre à Marrakech.

Au moment de la COP21, les États avaient convenu que les décisions de mise en œuvre de l’Accord de Paris seraient adoptées par la 1re Conférence des parties à l’Accord de Paris (CMA1). La CMA est un organe juridiquement distinct de la COP qui a été créé en vertu de l’Accord de Paris et dont la fonction consiste à prendre des mesures pour en favoriser l’application. Or, cette CMA1 devait se tenir l’année de l’entrée en vigueur de l’Accord en même temps qu’une réunion de la COP, autrement dit lors de la COP22. Cependant, il était évident que la CMA1 ne pourrait adopter à Marrakech les décisions de mise en œuvre de l’Accord, celles-ci n’ayant pas encore été élaborées. La première question à résoudre lors de COP22 consistait donc à savoir quoi faire avec la CMA1 : devait-elle être suspendue et convoquée ultérieurement, lorsque les décisions de mise en œuvre seraient prêtes, ou bien devait-elle quand même déjà adopter des décisions ? Et dans l’hypothèse où des décisions seraient prises, quel devrait être leur contenu ? Enfin, à quel moment toutes les décisions de mise en œuvre devraient-elles être adoptées par la CMA ?

À cela s’ajoutait une autre interrogation relative à l’instance qui devrait superviser les discussions sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Lors de la COP21, il avait été décidé que cette fonction reviendrait à la COP. Mais dans la mesure où la CMA est justement chargée de prendre des décisions pour favoriser l’application effective de l’Accord, il apparaissait difficile d’exclure complètement cet organe du processus.

Toutes ces questions, symptomatiques de l’extraordinaire complexité du cadre institutionnel du système multilatéral de lutte contre les changements climatiques, ont occupé une place centrale dans les discussions à Marrakech. Celles-ci se sont achevées par l’adoption de deux décisions, l’une de la COP22 l’autre de la CMA1, qui clarifient l’organisation des travaux à venir. Par ces décisions, les États ont décidé que la CMA1 de Marrakech ne constituerait en fait que la première partie de la CMA1, et que sa deuxième partie se tiendrait en même temps que la COP23 et sa troisième, au moment de la COP24. De cette manière, c’est donc bien la CMA1 qui devrait adopter l’ensemble des décisions de mise en œuvre de l’Accord de Paris en 2018. Pour la crédibilité du processus onusien, il est vrai que ce bricolage juridique était sans doute préférable que de suspendre tout simplement la CMA1 à Marrakech en attendant la suite des travaux.

Par ailleurs, les participants à la COP22 ont accepté de confier la supervision des discussions sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris à la COP, sans pour autant écarter totalement la CMA du processus. En 2018, la COP devra transmettre à la troisième partie de la CMA1 le résultat de ces discussions (qui se présenteront alors sous la forme de décisions) pour adoption. Entre temps, les États se sont entendus pour tenir une réunion conjointe de la deuxième partie de la CMA1 et de la COP23 en 2017 afin que l’évaluation des progrès de ces travaux soit bien effectuée par ces deux organes.

Garder la COP impliquée dans la supervision des discussions était nécessaire afin de garantir une participation universelle des États. En effet, alors que la CMA réunit les 113 parties à l’Accord de Paris, la COP comprend quant à elle les 197 parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. En outre, alors qu’il est possible que les États-Unis suspendent de facto leur participation à la CMA (en attendant un éventuel retrait de l’Accord de Paris qui prendrait au moins quatre ans), la probabilité d’un retrait américain de la Convention-cadre (qualifiée de « nuclear option » par certains observateurs) reste pour l’instant très hypothétique. Dans ce contexte, faire de la COP l’organe chargé de superviser les négociations sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris apparaissait d’autant plus important pour garantir le caractère inclusif de la démarche.

Au-delà de ces aspects, les discussions menées à Marrakech ont également porté sur le contenu du programme de travail défini à la COP21. Certains pays en développement ont souligné que ce programme ne couvrait pas l’ensemble des sujets devant être abordés pour permettre une application effective de l’Accord de Paris Ces pays souhaitaient donc que ces questions dites orphelines — en ce sens qu’elles ne se rattachent à aucun point du programme de travail défini à la COP21, comme la fixation de calendriers communs entre les États pour la communication des cibles d’atténuation ou la définition d’un processus pour arrêter le nouvel objectif de mobilisation des ressources financières après 2025 — soient incluses dans la feuille de route des négociations à mener jusqu’en 2018. Cette demande s’est heurtée toutefois à l’opposition des pays développés, qui craignaient que ce type de discussions ne conduise à revoir l’ensemble du programme de travail arrêté à Paris et que de nouvelles divisions apparaissent. Au final, la question n’a pas réellement été tranchée. Les États se sont simplement contentés, dans la décision de la COP, de reconnaître la possibilité de discuter à l’avenir de certains « additional matters » relatifs à la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

D’une grande technicité, les discussions à Marrakech auront donc essentiellement porté sur des aspects procéduraux et institutionnels. En ce sens, cette conférence semble moins avoir été la « COP de l’action » que la COP de la préparation d’une feuille de route pour l’action. L’annonce du lancement du Partenariat de Marrakech pour l’action mondiale en faveur du climat, une initiative visant à renforcer le dialogue entre acteurs étatiques et non étatiques, n’aura pas permis de dissiper cette impression largement partagée par les observateurs. Pas plus, d’ailleurs, que l’adoption de la Proclamation d’action de Marrakech pour le climat et le développement durable — saluée par les applaudissements convenus des délégués réunis en plénière et une ovation de circonstance —, qui se contente pour l’essentiel de réaffirmer les grands principes déjà énoncés dans l’Accord de Paris.

Cela dit, les discussions de Marrakech n’auront pas été vaines, loin de là. La définition d’une feuille de route pour l’élaboration des décisions de mise en œuvre de l’Accord de Paris était indispensable, notamment pour résoudre les questions posées par l’entrée en vigueur rapide de cet instrument. En outre, la COP22 aura permis aux États d’avancer un peu sur le fond, de manière informelle, en déterminant les points sur lesquels porteront les négociations au cours des deux années à venir et en affinant leurs positions. Sur le parcours déjà bien long des discussions climatiques multilatérales, la COP22 ouvre ainsi un nouveau cycle de négociations. Pour ce qui est de la « COP de l’action », il faudra donc — espérons-le — attendre 2018…

Photo : AP Photo/Mosa’ab Elshamy/Canadian Press

 


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Géraud de Lassus St-Geniès
Géraud de Lassus St-Geniès est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université Laval, et directeur adjoint de la Chaire de recherche et d’innovation Goldcorp en droit des ressources naturelles et de l’énergie. Il est titulaire d’un doctorat en droit des changements climatiques.

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