En mars 2016, lors d’un échange à l’Assemblée nationale, le premier ministre Philippe Couillard accusait la Coalition avenir Québec d’intolérance, parce que celle-ci remettait en question l’accueil d’un plus grand nombre d’immigrants au Québec. « Je crains fort, M. le Président, que la deuxième opposition souffle encore une fois, comme ils l’ont déjà fait, sur les braises de l’intolérance », avait alors déclaré M. Couillard.

Piqué au vif, le chef de la CAQ, François Legault, avait rétorqué que de tels propos n’étaient pas dignes d’un premier ministre. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à s’en formaliser. Certains commentateurs se sont ensuite portés à la défense du chef caquiste, dont Brigitte Breton, Joseph Facal et Richard Martineau.

Une peu plus de six années se sont écoulées depuis. La CAQ a gouverné le Québec pendant les quatre dernières et continuera de le faire pour les quatre prochaines, ayant été réélue pour un second mandat le 3 octobre dernier.

Or, il y a lieu de se demander si, à force de déclarations pour le moins maladroites sur des sujets socialement délicats, la CAQ – et plus particulièrement M. Legault – se trouve à normaliser, aux yeux de certains, leur intolérance latente.

Avant d’illustrer ce qui précède, il importe de définir ce qu’on entend par « intolérance », en particulier parce que le terme est souvent mal compris. Or, des philosophes s’y sont intéressés, dont Paul Ricœur et Jürgen Habermas. Ceux-ci la conçoivent comme la réticence à accorder, voire le refus de reconnaître à autrui le droit d’exprimer des idées et des croyances différentes de celles dont on est tenant. Plus largement, l’intolérance est la réticence, qui peut aller jusqu’au refus de ce qui est différent chez l’autre, voire le refus de l’autre en raison de sa différence.

Ainsi définie, l’intolérance peut avoir pour objet des caractéristiques morales, culturelles ou physiques considérées héréditaires et immuables comme l’origine nationale, l’expression du genre, la religion, la langue, etc. L’intolérance peut aussi s’actualiser dans un refus de coexister avec ceux qu’elle vise. Elle peut même donner lieu à des comportements hostiles, voire discriminatoires à l’endroit d’autrui, en raison de ses idées, de ses croyances et, plus largement, de son identité.

Souffler sur les braises, trois fois plutôt qu’une

À la lumière de ce qui précède, il est difficile de ne pas se demander, au minimum, si M. Legault aurait une certaine propension à « souffler sur les braises de l’intolérance ». Certaines déclarations récentes de sa part, notamment au cours de la dernière campagne électorale, donnent à penser en ce sens.

Le 29 mai dernier, par exemple, M. Legault laissait entendre que sans l’obtention de tous les pouvoirs en matière de sélection de ses immigrants, le français reculera au Québec, à un point tel qu’il pourrait devenir une autre Louisiane, un état du sud des États-Unis où une toute petite fraction de la population parle encore français.

Or, une telle déclaration présente les immigrants comme un problème pour le Québec, puisque non-francophones. Pourtant, en 2021, 69 % des immigrants récents déclaraient avoir le français comme première langue officielle parlée, et 76 % disaient pouvoir soutenir une conversation en français.

M. Legault n’a d’ailleurs pas manqué de faire mousser davantage la suspicion envers les immigrants alors que l’échéance électorale approchait. Le 7 septembre 2022, en pleine campagne et en réponse à une question au sujet des seuils d’immigration, le premier ministre sortant déclarait que « les Québécois sont pacifiques, ils aiment pas la chicane, ils aiment pas les extrémistes, ils aiment pas la violence, donc faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là ». Ce raccourci entre l’immigration, la violence et l’extrémisme lui a valu une réprobation généralisée.

L’exemple vient d’en haut

Or, de telles déclarations vont dans le sens des préjugés d’une partie de la population du Québec. Pis encore, elles les nourrissent. Qu’un premier ministre laisse entendre que les immigrants véhiculent l’extrémisme et amènent la violence au Québec peut avoir un effet d’entraînement. Cela pourrait expliquer, par exemple, la recrudescence de commentaires intolérants à l’endroit des immigrants et des Anglo-Québécois, qui ont repris de plus belle sur les réseaux sociaux en dernière partie de campagne électorale, plus tôt cet automne.

Certains, et c’est mon cas, ont supposé que le contexte préélectoral et électoral pouvait expliquer de telles déclarations. Désirant une victoire éclatante, M. Legault n’aurait pas lésiné sur les moyens, dont celui consistant à rappeler à la portion intolérante de sa base qu’il partage leurs « réserves » face à l’immigration.

Optimiste – quoiqu’un peu cynique! –, cette hypothèse a dû être rapidement mise au rancart. En effet, bien que fraichement réélu, M. Legault a repris où il avait laissé, cette fois en commentant de manière dubitative un jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 25 octobre 2022, qui a interdit l’interception d’automobilistes sans motif valable, soulignant ses effets largement discriminatoires sur les populations racisées.

Le premier ministre a en effet balayé du revers de la main la question du profilage racial, pourtant largement documenté, et estimé qu’il fallait laisser les policiers « faire leur travail ». Quant aux interceptions, elles étaient selon lui justifiées par la lutte contre la violence armée. Pourtant, même les corps policiers ne sont pas allés jusque-là, restant plutôt sur le terrain de la sécurité routière (bien que ce dernier argument ait lui aussi été contesté).

De tels commentaires de la part de M. Legault à propos de nos concitoyens immigrants ne sont pas sans inquiéter. Ceux qui se demandaient à quoi ils pouvaient bien rimer pourraient conclure que le premier ministre exprime hélas le fond de sa pensée.

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Denis Hurtubise
Denis Hurtubise est vice-recteur aux études de l’Université de Sudbury.

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