(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Une pratique encore peu connue que l’on appelle l’« approvisionnement axé sur les résultats » peutelle créer des solutions pour aider à résoudre des problèmes sociaux, économiques ou environnementaux ? Nous pensons que oui. Les gouvernements, les communautés, les organismes de financement et les organismes de bienfaisance peuvent collaborer pour transformer des problèmes qui semblent impossibles à résoudre en occasions de croissance inclusives, et ce, en utilisant un outil appelé « entente de résultats axée sur les besoins communautaires » (ER-ABC). Notons aussi que le secteur social canadien disposera sous peu d’un nouveau moyen puissant pour financer des travaux de ce genre par l’intermédiaire du Fonds de finance sociale de 755 millions de dollars mis sur pied par le gouvernement fédéral.

Actuellement, les gouvernements proposent des subventions et des contrats à des organismes à vocation sociale (entreprises sociales, organismes à but non lucratif et organismes de bienfaisance) pour qu’ils puissent offrir des programmes dont les activités ou les résultats feront l’objet d’un suivi étroit. Au terme du projet, ils voudront savoir par exemple combien de sans-abris ont été hébergés, combien de personnes se sont inscrites à des programmes de traitement des dépendances, etc. Toutefois, il ne faut pas oublier que les solutions à court terme qui allègent les souffrances ne changent pas nécessairement les conditions qui causent les problèmes. Dans le pire des cas, elles encouragent même la dépendance.

En revanche, les ER-ABC fixent d’abord des objectifs et procurent ensuite du financement à des organismes à vocation sociale pour qu’ils rencontrent ces objectifs. Les organismes sont ainsi incités à innover, à essayer de nouvelles approches axées sur des données probantes, à les évaluer et à les adapter. Qu’il s’agisse d’itinérance, de maladies chroniques ou des émissions de gaz à effet de serre, offrir du financement en récompensant l’atteinte de résultats permettra d’accélérer les changements systémiques.

Les ER-ABC ressemblent aux obligations à impact social (où les risques financiers sont transférés au secteur privé), puisque les investisseurs fournissent des capitaux à l’avance à un organisme pour lui permettre d’adopter une nouvelle approche. Si celle-ci connaît du succès, un acheteur de résultats, habituellement un gouvernement, remboursera les investisseurs. Toutefois, il existe plusieurs différences notables entre les ER-ABC et les obligations à impact social. Premièrement, ce sont les priorités communautaires qui orientent les projets, ce qui veut dire que l’obligation de rendre compte ne concerne pas seulement les parties qui investissent et les acheteurs de résultats, mais aussi les parties prenantes communautaires. Deuxièmement, les ER-ABC nécessitent un engagement communautaire et une phase de conception soutenus par des subventions, ainsi qu’une expertise technique, qui amène souvent à des coalitions sociales sous forme de « prêts de personnel ».

Voyons deux exemples qui touchent nos organismes.

Emplois + énergie renouvelable = réconciliation économique

Fondée en 2013 et établie à Winnipeg, Aki Energy est une entreprise sociale gérée par des Autochtones, qui souhaite soutenir les Premières Nations et former des membres de la communauté pour qu’ils puissent réaliser des installations géothermiques. Elle remplace les génératrices au diesel coûteuses, bruyantes et polluantes que l’on trouve dans les communautés autochtones par des systèmes géothermiques. Ces derniers répondent aux besoins de chauffage et de climatisation, diminuent la facture énergétique, réduisent les émissions de gaz à effet de serre et permettent de créer de bons emplois. L’entreprise a installé des systèmes dans plus de 400 maisons et édifices communautaires dans le Nord du Manitoba, dans les communautés des Premières Nations Peguis, Fisher River, Sagkeeng et Long Plain. Au départ, elle pouvait s’appuyer sur le programme Pay-As-You-Save de Manitoba Hydro : elle recevait une somme de 20 000 dollars pour chaque installation, et cet investissement était récupéré grâce à des frais à long terme sur la facture énergétique. C’était profitable pour les communautés, les contribuables et l’environnement.

Toutefois, Aki Energy a rencontré un obstacle important en 2016. Les fonctionnaires fédéraux n’étaient pas convaincus que le programme Pay-As-You-Save était adéquat pour créer une transformation énergétique d’envergure dans les réserves. Ils ont donc mis fin à leur participation. Après avoir tenté sans succès de renverser cette décision, le cofondateur d’Aki, Shaun Loney, et le président de Fondations communautaires du Canada (FCC), Ian Bird, ont collaboré avec La Fondation McConnell et Raven Indigenous Capital Partners pour élaborer l’ER-ABC qui aide désormais à financer les activités de l’entreprise sociale.

Par définition, une ER-ABC doit répondre à des besoins que les communautés considèrent comme prioritaires. Dans ce cas-ci, ces besoins sont l’acquisition de nouvelles compétences et la création d’emplois, une réduction du coût des services publics, une moins grande dépendance à l’aide sociale et la réalisation d’installations géothermiques. Raven Capital est un intermédiaire de la finance sociale autochtone qui s’efforce de revitaliser les économies autochtones. Plusieurs fondations, ainsi que les communautés ellesmêmes fournissent des investissements initiaux, et FCC est le premier acheteur de résultats. Il est prévu que d’autres acheteurs viennent se rajouter par l’entremise d’un important fonds de résultats.

Alimentation saine + entreprise sociale = baisse des taux de diabète

L’insécurité alimentaire est un problème grave pour un grand nombre d’Autochtones dans le Nord du Canada. Plusieurs mesures indiquent que Nutrition Nord Canada, le programme de contribution du gouvernement du Canada visant à réduire le coût des aliments pour les collectivités du Nord, ne fonctionne pas. Des taux de diabète de type 2 très élevés sont une des conséquences, cette maladie touchant 17 % des personnes dans les réserves des Premières Nations comparativement à seulement 5 % de la population totale. Une étude ontarienne montre que les soins de santé pour une personne qui souffre de diabète occasionnent des dépenses de 10 000 dollars par année, et cela, sans tenir compte de dépenses comme le transport aérien et le soutien médical, qui sont plus coûteux dans les communautés éloignées.

Dans la communauté manitobaine de Garden Hill (population de 2 600 personnes), le traitement du diabète coûte annuellement 2,6 millions de dollars, et la subvention octroyée par Nutrition Nord Canada avoisine 1 million de dollars. Seule la nourriture qui provient du Sud par avion est admissible à la subvention, les aliments cultivés localement sont exclus. C’est un système conçu pour donner de mauvais résultats : des aliments coûteux et (souvent) malsains, l’érosion de l’économie alimentaire locale, une montée en flèche des taux de diabète et des coûts de santé toujours croissants. L’approvisionnement axé sur les résultats a été pensé pour s’attaquer à ce genre de problème complexe.

Une partie de la solution consiste à revitaliser l’économie alimentaire locale. Avec l’appui d’un consortium de fondations et d’organismes provinciaux, l’entreprise sœur d’Aki Energy, Aki Foods, a collaboré avec des aînés et d’autres leaders pour créer le Projet Meechim. Faisant appel à des résidents locaux, elle a mis sur pied une ferme qui comprend une exploitation avicole, un verger et un potager irrigué. Elle vend des aliments sains à des prix plus bas que ceux que l’on trouve chez le détaillant subventionné, qui détient un monopole.

Raven Capital travaille avec des communautés de Premières Nations, des fondations, des gouvernements et des entreprises du secteur privé du Manitoba et de l’ÎleduPrinceÉdouard pour concevoir des ER-ABC qui permettront de financer des projets améliorant les conditions en santé et en emploi, à Garden Hill et dans des endroits semblables.

Gouverner pour obtenir de meilleurs résultats

Le nouveau Fonds de finance sociale de 755 millions de dollars du gouvernement fédéral confère au Canada un outil puissant qu’il peut utiliser pour investir conjointement des capitaux publics dans l’innovation sociale systémique. Nous pensons que les ER-ABC peuvent approfondir l’impact du Fonds. Grâce au renforcement des capacités et à un soutien accru à la R-D, des communautés et une vaste gamme de coalitions à vocation sociale auront bientôt accès à des capitaux remboursables pour aborder divers enjeux.

Les gouvernements sont des acheteurs de résultats clés et peuvent envoyer des signaux importants aux marchés, notamment au moyen des ER-ABC. Mais ils ne peuvent agir seuls face aux enjeux collectifs comme la lutte et l’adaptation aux changements climatiques ou la progression de la réconciliation économique avec les peuples autochtones. Les grandes entreprises ont aussi un rôle important à jouer en adoptant des pratiques d’approvisionnement social et en investissant dans des entreprises sociales axées sur les résultats. Les administrateurs de fondations privées, de fondations universitaires ou médicales, de régimes de retraite publics et de fiducies autochtones doivent reconnaître que dans les circonstances actuelles, exercer son devoir fiduciaire ne se limite pas à l’optimisation du rendement financier. Cela implique aussi d’investir dans la durabilité, l’équité, la cohésion sociale et la résilience, ce qui, à son tour, exige des mesures intelligentes, une meilleure maîtrise de l’économie comportementale et l’élaboration de politiques reposant sur des données probantes.

Les ER-ABC ne peuvent à elles seules régler les problèmes, mais dans les mains des leaders de tous les secteurs (public, privé et communautaire), elles pourront accélérer la transition sociale à différentes échelles durant cette période critique.

Photo : Près du territoire de la Première Nation Garden Hill, au Manitoba. Shutterstock / Marielle Landor.


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Jeff Cyr

Jeff Cyr est cofondateur et associé directeur de Raven Indigenous Capital Partners, un intermédiaire de la finance sociale autochtone, en plus d’être un boursier Ashoka 2019.

Stephen Huddart

Stephen Huddart est président-directeur général de La Fondation McConnell, une fondation privée établie à Montréal. Il était membre du Groupe directeur sur l’innovation sociale et la finance sociale formé par le gouvernement fédéral qui a recommandé la création du Fonds de finance sociale.

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