Nous voici réunis dans un Parlement fort différent de celui que nous avons quitté le 21 février dernier. En élisant un gou- vernement minoritaire, les Québécois nous ont rappelé avec force que c’est eux qui controÌ‚lent le Parlement. Au moment d’inaugurer cette législature, j’ai envie moi aussi, comme l’ont fait nos concitoyens, de bousculer les habi- tudes. Je vais prendre aujourd’hui la liberté de m’adresser directement aux Québécois. Apré€s tout, nous sommes ici chez eux, dans leur maison.

Par votre choix du 26 mars dernier, vous nous avez envoyé un message clair. Vous voulez un gou- vernement différent. Pourtant, pen- dant quatre ans, nous avons travaillé avec acharnement pour faire avancer le Québec. Le choÌ‚mage au plus bas. La cote de crédit du Québec au plus haut. Les meilleurs congés parentaux en Amérique du Nord. La relance du développement énergétique. Le Fonds des générations pour réduire le poids de notre dette. Un plan de lutte contre les changements climatiques. Un tra- vail sans précédent de reconstruction de notre systé€me de santé. Ce sont laÌ€ quelques-unes de nos réalisations importantes. En bonne partie, vous nous avez sanctionnés pour des erreurs de parcours. C’est vrai que nous n’avons pas réussi aÌ€ baisser les impoÌ‚ts autant que nous l’avions promis. Mais il y a autre chose dans ce résultat.

Dans les jours qui ont suivi les élections, j’ai repensé aux raisons qui m’avaient fait choisir le Québec en 1998. Je veux aujourd’hui les partager avec vous.

Je suis fier de mon passage en poli- tique fédérale. Mais apré€s 14 ans passés aÌ€ la Chambre des communes, ma famille et moi avons choisi de rentrer aÌ€ la maison.

Je souhaitais poursuivre mon engagement politique au sein du Parlement du peuple québécois. En fait, j’ai choisi de revenir servir aÌ€ Québec pour les mé‚mes raisons que Jean Lesage l’avait fait en 1958.

En 1998, comme en 1958, le Québec faisait face aÌ€ des enjeux impor- tants pour son avenir. Des défis qui imposaient une remise en question de nos façons de faire et des moyens d’ac- tion de notre État. C’est ce que nous avons entrepris il y a quatre ans et que nous devons poursuivre avec per- sévérance. En 1998, comme en 1958, les Québécois s’interrogeaient sur leur adhé- sion au systé€me politique canadien.

Or, chaque fois que le peuple québécois a élu un premier ministre qui croyait dans le fédéralisme cana- dien, ce choix a toujours été source de progré€s dans la défense des intéré‚ts du Québec. Et le Québec, c’est aussi le Parti libéral du Québec. La seule forma- tion politique qui a fait le voyage avec les Québécois depuis la colonie jusqu’aÌ€ la nation. Le Parti libéral du Québec, c’est le parti des libertés et du progré€s. C’est la lumié€re de la modernité apré€s la grande noirceur. C’est l’éducation pour tous, l’assurance-hospitalisation, le français comme langue officielle, un ministé€re consacré aÌ€ la promotion de notre culture, l’égalité entre les femmes et les hommes, le développe- ment économique, énergétique, et maintenant le développement durable.

Il faut s’éloigner un peu pour voir la fascination que le Québec exerce en Amérique du Nord et dans le monde. Comment notre peuple, perché au nord des Amériques, qui ne fait pas 3 p. 100 de la population du continent, a pu maintenir une culture et une langue françaises aussi vivantes et dynamiques pendant 400 ans? Comment notre peuple, dans un tel environnement, peut rayonner mon- dialement dans des domaines aussi variés que l’énergie, le cirque, le ciné- ma, l’animation 3D, les télécommuni- cations, l’aéronautique, la recherche médicale, l’optique et la photonique, et le génie conseil?

Chacun de vous participe au prodige québécois. Il y a dans tous ces succé€s une partie de vous. Tout récem- ment, le gourou international du mar- keting, Clotaire Rapaille, disait ceci en entrevue aÌ€ Radio-Canada : « La dimen- sion centrale, c’est le Québec. C’est la mission du Québec en Amérique du Nord de donner cette complémentarité qui manque entre l’instinct un peu brutal de l’Américain et le coÌ‚té un peu parental des (Canadiens) anglais […] Les Québécois ont un avenir fantas- tique s’ils assument cette mission qu’ils ont en Amérique du Nord. »

Le Québec est une inspiration pour les peuples qui n’ont pas l’avan- tage du nombre.

Devant la résilience du peuple québécois, le grand historien britan- nique, Arnold Toynbee, disait dans le numéro de mars 1949 de la revue The World Review : « J’ai l’idée que le peuple d’avenir dans les Amériques pourrait bien é‚tre les Canadiens français […] Si l’humanité est destinée aÌ€ connaiÌ‚tre enfin des jours heureux, alors je prédi- rais qu’il y a un avenir dans l’Ancien Monde pour les Chinois, et dans l’Amérique du Nord pour les Canadiens. Quoi qu’il arrive, je ne crains pas d’affirmer que ces Canadiens de langue française seront laÌ€ pour vivre les dernié€res heures de l’humanité dans l’Amérique du Nord. »

Que serait le Canada sans le Québec? Le Canada devra un jour le reconnaiÌ‚tre. Nous sommes les cofon- dateurs de ce pays. Il porte l’empreinte de notre nation.

Ces dernié€res élections se sont aussi déroulées avec, en fond de scé€ne, un questionnement identitaire qui, en passant, n’est pas propre au Québec, mais propre aÌ€ notre époque.

Je suis né aÌ€ Sherbrooke. Je suis aÌ€ demi Irlandais. Je le suis de par ma mé€re dont le souvenir m’émeut chaque jour. Est-ce que je suis moins Québécois pour autant?

Bien suÌ‚r que non. Est-ce que quelqu’un né au Québec mais prénom- mé Mustafa ou Helena serait moins Québécois que vous et moi? On ne peut dresser de telles barrié€res entre nous.

NaiÌ‚tre au Québec est une chance. Immigrer au Québec est un privilé€ge.

Intégrer les immigrants est une responsabilité. C’est un geste réciproque. Pour celui qui arrive, c’est prendre avec le Québec les valeurs québécoises : les libertés individuelles, l’égalité entre les femmes et les hommes, la séparation entre la religion et l’État.

De façon prioritaire, c’est aussi prendre avec le Québec cette langue qui est le cœur de notre liberté et de notre identité. Intégration égale aussi francisation. Pour celui qui accueille, intégrer les immigrants, c’est s’ouvrir aÌ€ la différence et recon- naiÌ‚tre les compétences. Je crois dans la diversité qui enrichit notre iden- tité. Mais je dénonce le zé€le religieux qui l’appauvrit.

Nos chartes ont toujours eu pour but de protéger les minorités contre les abus de la majorité. Elles n’ont jamais eu pour des- sein de permettre l’inverse. C’est donc dire qu’il y a une limite, une ligne qui doit é‚tre tracée. La Commission Bouchard-Taylor, chargée de faire le point sur les pra- tiques d’accommodements raisonnables, nous aidera aÌ€ tracer cette ligne. Mais nous pouvons déjaÌ€ agir dans l’in- tervalle. Nous allons, par exemple, renforcer le mes- sage livré aÌ€ chaque immi- grant selon lequel nos valeurs fondamentales ne sont pas négociables.

Dans ce Parlement, chaque élu assume une responsabilité qui est hors de l’ordinaire. Le gouvernement ne pourra pas décider seul. L’opposition ne pourra pas seulement s’opposer. En d’autres mots, dans un Parlement minoritaire, les responsabilités grandis- sent et les intéré‚ts partisans diminuent. Le premier devoir de ce Parlement est de réunir les Québécois, de bien les représenter, de bien défendre leurs intéré‚ts. Nous n’avons les moyens d’au- cune fracture. Ni sur la base de l’ethni- cité, ni sur la base de la religion. Nous n’avons les moyens d’aucune rivalité. Le Québec, ce n’est pas une métropole contre une capitale nationale ou des régions contre les villes. Il n’y a qu’un seul Québec. Une seule nation.

Le 18 avril dernier, j’ai formé un nouveau Conseil des ministres. C’est le premier gouvernement de notre his- toire qui comprend autant de femmes que d’hommes.

Ce nouveau gouvernement égalitaire, je l’ai fait en pensant aÌ€ l’avenir du Québec, mais aussi en pensant aÌ€ mon épouse Miché€le et aÌ€ mes filles, Amélie et Alexandra.

Je veux qu’il soit clair pour elles, comme pour toutes les jeunes filles du Québec, qu’aucun sommet n’est hors de leur portée. J’ai voulu briser le pla- fond de verre, cette barrié€re invisible, qui fait que les femmes approchent des niveaux décisionnels, sans pour autant atteindre les premié€res marches.

Je n’ai pas besoin de convaincre les femmes de l’importance de cet enjeu. C’est un combat qu’elles mé€nent depuis plus de 60 ans. Je l’ai donc fait aussi en pensant aÌ€ mon fils Antoine. Je l’ai fait pour dire aÌ€ tous les hommes du Québec, et spécialement aux pé€res, que l’égalité entre les femmes et les hommes ne peut é‚tre véritablement atteinte que si nous nous en faisons aussi des ardents promoteurs.

C’est pour mon parti une valeur fondamentale. C’est pour moi, comme pé€re et comme homme, un principe de vie.

Pour aller encore plus loin et renforcer notre économie, nous allons développer les marchés. We are in the process of building an interconnection with Ontario in order to export more electricity to our neighbours. It has been some twenty years since the last new con- nection going outside Québec was built. We will draw inspiration from this connection to lift the barriers that still hamper trade between us. We will propose that Ontario enter into a free trade agreement with Québec. Moreover, my government will exercise leadership in rallying business circles and political decision-makers behind our proposal for a new economic partnership with the European Union.

Mon nouveau gouvernement sera aÌ€ l’écoute des Québécois. Je partage les inquiétudes de ceux dont les parents vieillissent. Mon propre pé€re a récemment fé‚té ses 84 ans. Il vient de quitter la maison qu’il avait achetée l’année de ma naissance et qui n’a pas changé depuis 1978, l’année ouÌ€ ma mé€re est décédée. Je traverse avec lui cette étape de sa vie. Comme des mil- liers de Québécois le font avec leurs pro- pres parents. Nous devons beaucoup aÌ€ la génération qui nous a précédés.

Ces femmes et ces hommes ont pour la plupart connu une vie faite de durs labeurs et de grands sacrifices.

Mon nouveau gouvernement sera aÌ€ l’écoute de la famille. Dans les dernié€res années, nous avons instauré une prime de soutien aux enfants, développé les places en services de garde et institué les congés parentaux. Et les naissances ont augmenté. Nous continuerons de développer les places en services de garde, avec le souci d’offrir des solutions souples aux besoins variés des parents. Un peu plus d’un an apré€s la mise en œuvre des congés parentaux, dont le succé€s a dépassé toutes les prévisions, nous évaluerons les moyens de répondre encore mieux aux besoins des jeunes couples. Notre gouvernement est celui, en Amérique du Nord, qui offre le plus important soutien aux familles. Et il le demeurera.

Mon nouveau gouvernement fera de l’éducation une priorité. Parce que notre nation en dépend. Mais nous allons ensemble obéir aux exigences de la réussite, en donnant aÌ€ nos univer- sités les moyens de rivaliser avec les meilleures du monde.

Nous allons également renforcer l’apprentissage du français aÌ€ l’école, mais aussi la fierté de cette langue dans l’espace public. Nous allons promouvoir la qualité du français parlé et écrit aÌ€ travers tout le Québec.

Mon nouveau gouverne- ment marquera l’avé€nement du développement durable.

Nous ferons de chaque citoyen, qu’il soit individu ou entreprise, un agent de change- ment et de développement durable. Nous mettrons en œuvre notre plan de lutte contre les changements climatiques. Nous créerons de la richesse avec notre énergie renouvelable, notre hydroélectricité, notre pé- trole aÌ€ nous. Nous travaillerons pour l’installation aÌ€ Montréal d’une bourse du carbone. Nous travaillerons avec nos voisins canadiens et américains, parce que nous respirons le mé‚me air. Nous reboiserons nos foré‚ts. Nous transformerons la crise du secteur forestier en une occasion de renouvellement de la ressource et d’amélioration de la compétitivité de l’industrie.

C’est la trajectoire sur laquelle nous mettons le Québec. La trajectoire du succé€s. Et sur cette trajectoire, nous établissons une étape. Parce que notre gouvernement est minoritaire, nous devons travailler sur un échéancier aÌ€ plus court terme. Alors je vous dis aujourd’hui ce que nous ferons d’ici décembre prochain.

Nous poserons huit gestes principaux :

  • Pour que vous ayez plus d’argent, nous baisserons vos impoÌ‚ts.

  • Pour soigner plus rapidement, nous ouvrirons les premié€res cliniques privées affiliées au réseau public.

  • Pour élever la qualité de l’éduca- tion et mieux réussir comme peu- ple, nous procéderons au dégel des frais de scolarité en bonifiant de manié€re correspondante le programme des pré‚ts et bourses.

  • Pour que nous soyons en meilleure santé, nous mettrons en œuvre un plan d’élimination de la malbouffe dans les écoles.

  • Pour que vous, les parents, sachiez comment progressent vos enfants aÌ€ l’école, nous ferons en sorte qu’un bulletin chiffré soit en vigueur dé€s la prochaine rentrée scolaire.

  • Pour protéger notre environ- nement, nous mettrons en place la redevance sur les hydrocarbures, qui sera versée au Fonds vert.

  • Pour que nos agglomérations fonctionnent mieux, au bénéfice de leurs citoyens, nous allons tra- vailler avec nos partenaires pour régler les problé€mes.

  • Pour que nous soyons plus en sécurité, nous présenterons une loi sur les armes aÌ€ feu semi-automatiques et aÌ€ circulation restreinte.

Mon nouveau gouvernement con- tinuera de défendre chaque jour avec vigueur et passion les intéré‚ts du Québec. Comme nous l’avons fait en rapatriant la responsabilité en matié€re de congés parentaux ; en obtenant de parler de notre voix aÌ€ l’UNESCO ; en obtenant la reconnaissance du fédéra- lisme asymétrique, en d’autres mots é‚tre Canadiens aÌ€ notre manié€re ; et en voyant enfin le Québec é‚tre reconnu comme une nation. Pour nous, la créa- tion d’alliances est une condition du succé€s dans la défense des intéré‚ts du Québec. C’est pour cette raison que le Québec a piloté la création du Conseil de la fédération.

Cette volonté de créer des alliances est une de nos valeurs. Elle remonte au libéral Honoré Mercier, qui a convoqué en 1887, ici mé‚me aÌ€ Québec, la premié€re conférence inter- provinciale. Elle avait pour but de met- tre fin au veto fédéral sur les affaires des provinces. Mercier avait compris que l’affirmation du Québec passe par le poids des alliances et non pas par le repli du Québec sur lui-mé‚me. Il avait compris aussi que la défense de nos intéré‚ts pouvait parfois mé‚me deman- der des alliances aÌ€ l’intérieur des murs de cette Assemblée. Nous mobiliserons cette Chambre afin de conclure avec le gouvernement canadien une entente pour limiter le pouvoir fédéral de dépenser et assurer le respect des com- pétences québécoises. Ce n’est pas au gouvernement fédéral de dire au gou- vernement du Québec ouÌ€ et comment investir votre argent.

Cette 38e législature sera le témoin d’un événement exceptionnel. Une occasion de réjouissance et de fierté ; aussi une occasion de croissance et de développement économique […] Nous avons beaucoup de travail devant nous. Le 26 mars dernier, vous avez réaffirmé votre autorité sur cette Assemblée. Vous avez choisi un nou- veau gouvernement libéral avec une opposition plus forte. Vous nous demandez de travailler ensemble. Votre décision représente un défi que nous allons relever. Félix-Antoine Savard écrivait : « J’ai beaucoup mieux aÌ€ faire que de m’inquiéter de l’avenir. J’ai aÌ€ le préparer. » C’est ce que nous allons faire ensemble.

 

Extrait du discours inaugural prononcé par le premier ministre Jean Charest aÌ€ l’ouverture de l’Assemblée nationale du Québec, le 9 mai dernier. 

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