L’avocate d’origine syrienne Reem Al-Ksiri vit aujourd’hui à Vienne, en Autriche. Comme des millions de ses compatriotes, elle s’est vue forcée de quitter son pays en raison de la guerre et de la brutalité d’un régime qui, au lieu de protéger ses citoyens, les a bombardés, emprisonnés et torturés. Reem s’emploie à faire libérer des détenues aujourd’hui incarcérées en Syrie. Elle travaille aussi à rassembler les témoignages de survivantes dans le but de poursuivre en justice ceux qui ont commis des violations des droits de la personne à l’encontre des détenues.
Ce qui préoccupe Reem ces jours-ci, ce sont les répercussions de la COVID‑19 sur les prisonnières politiques en Syrie. On estime que 7 000 femmes ont disparues là-bas et on présume qu’un bon nombre d’entre elles sont détenues dans des prisons surpeuplées et insalubres.
Dans plusieurs pays déchirés par la guerre, la pandémie sert de prétexte pour intensifier les persécutions infligées aux militantes des droits de la personne et alourdir un fardeau déjà pénible à supporter. Le Canada a trop tardé à dénoncer la menace qui pèse sur ces femmes.
Comme me l’a expliqué Reem au téléphone, « [le régime syrien] peut prétendre que certaines détenues meurent du coronavirus plutôt que de la torture ou des mauvaises conditions de détention — jusqu’à 20 personnes peuvent cohabiter dans une même cellule. Les garder en prison est une forme de meurtre qui vise les militants et surtout, les militantes. »
Les femmes que Reem tente de faire libérer des tristement célèbres prisons syriennes sont accusées de « crimes » qui ailleurs seraient qualifiés d’engagement civique. Elles sont incarcérées pour avoir simplement manifesté dans la rue ou réclamé que cesse la violation des droits. On les considère comme une menace parce qu’elles sont des femmes et qu’elles ont choisi de contester le statu quo. De façon prévisible, elles sont soumises durant leur détention à tout un éventail de violences sexuelles, y compris le viol.
En Iran, pour empêcher la propagation de la COVID‑19, les autorités ont provisoirement relâché 85 000 détenus qui purgeaient des peines de moins de cinq ans. Cependant, un grand nombre de prisonnières politiques — dont Nasrin Sotoudeh et Narges Mohammadi, militantes respectées mondialement — restent confinées dans des prisons surpeuplées où le coronavirus prospère. De très mauvaises, les conditions de détention sont ainsi devenues mortelles.
En Colombie, la militante féministe Carlota Isabel Salinas Pérez a été assassinée devant son domicile, le 24 mars dernier, après avoir recueilli des denrées pour des familles dans le besoin.
Au Yémen, le bombardement de la section pour femmes de la prison centrale à Taïz a tué au moins cinq femmes et un enfant, le 5 avril dernier. Les femmes qui ont dénoncé cette tragédie avaient aussi tiré la sonnette d’alarme précédemment à propos des pénuries d’eau potable qui empêchent les Yéménites de se protéger contre le coronavirus.
Les mesures militaires adoptées par certains États en réaction à la pandémie — notamment les couvre-feux et les barrages routiers, la surveillance et les contrôles policiers dans les rues — comportent un risque accru de répression et d’emprisonnement pour les militantes. Elles facilitent la tâche de ceux qui cherchent à les faire taire, sous prétexte de lutter contre la pandémie.
Le ministre canadien des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a évoqué récemment la vulnérabilité de certaines populations, se disant préoccupé par « le risque de discrimination, d’usage excessif de la force et de violations des droits et libertés fondamentaux déjà constatés dans certains pays lors de la mise en place de mesures de confinement et d’isolement obligatoire ».
Il s’agit d’un premier pas dans la bonne direction, mais le Canada doit tenir sa promesse de mener une politique étrangère féministe, en plaçant la question des femmes au centre de ses interventions sur la pandémie mondiale de COVID‑19.
Il est absolument essentiel d’appuyer les mouvements féministes locaux dans les zones de conflit pour veiller à protéger les militantes pendant que nous aidons les populations à affronter le coronavirus.
En demandant à des pays comme l’Iran, la Syrie et le Yémen de libérer de prison les militantes des droits de la personne, le Canada enverrait un message fort qui signalerait qu’il prend cette cause au sérieux, même dans le contexte de la pandémie.
Par ailleurs, il est absolument essentiel d’appuyer les mouvements féministes locaux dans les zones de conflit, pour veiller à protéger les militantes pendant que nous aidons les populations à affronter le coronavirus et œuvrons pour la paix.
Enfin, nous ne devons pas perdre de vue le portrait global. De façon inexpliquée, en pleine pandémie de coronavirus, le Canada a levé son moratoire sur les exportations de matériel militaire vers l’Arabie saoudite, acteur important de la guerre qui perdure au Yémen. Considéré comme la pire catastrophe humanitaire à l’heure actuelle dans le monde, le conflit a tué et blessé des milliers de civils et conduit la population au bord de la famine.
Le Canada ne peut prétendre au titre de grand défenseur de la paix dans le monde tout en étant fournisseur d’armes et de matériel militaire. En effet, sa décision d’alimenter la machine de guerre durant une pandémie mondiale expose à de plus grands risques ceux qui œuvrent pour la paix, en particulier les femmes.
Le Canada a aujourd’hui l’occasion de démontrer sa volonté de mener une politique véritablement féministe. Il faut qu’il commence par empêcher que la COVID‑19 compte parmi ses victimes les droits de la personne et la promotion de la paix.
Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.