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Les médias jouent un rôle important dans l’établissement de liens positifs et d’une nouvelle compréhension entre les communautés autochtones et non autochtones, de même que dans le soutien à la réconciliation. Mais leurs cadres de référence varient considérablement, révélant la présence de « deux solitudes » dans la couverture journalistique. 

Au début des années 2010, le Québec et l’Ontario ont conçu et mis en œuvre des plans de développement de leurs régions nordiques. Même si leur objectif était de renforcer les relations entre les communautés autochtones et non autochtones, en plus de promouvoir la croissance économique, le développement social et la protection de l’environnement, ces deux plans ont suscité dès le départ une forte opposition de la part des populations autochtones, qui se poursuit encore aujourd’hui et qui a été couverte par les médias. 

Notre étude de la couverture, par les médias traditionnels, des réactions autochtones à la Loi sur le Grand Nord de l’Ontario (2012) et au Plan Nord du Québec (2011) a révélé que ceux qui desservent la population majoritaire dans ces deux provinces – anglophone en Ontario et francophone au Québec – ont largement dépeint les actions des groupes autochtones sous un jour négatif. 

À l’inverse, les médias desservant les minorités linguistiques – francophones en Ontario et anglophones au Québec – étaient plus susceptibles de couvrir l’opposition aux plans nordiques sous l’angle de la justice sociale. 

L’influence des choix éditoriaux 

Les médias ne couvrent pas toujours les mêmes événements et lorsqu’ils le font, ils ne les couvrent pas toujours de la même manière. Les préférences éditoriales, les normes professionnelles et journalistiques, la partisanerie et la présence d’annonceurs privés ne sont que quelques-uns des éléments qui influencent leur couverture. 

Certains experts expliquent comment ces différences se manifestent dans notre paysage médiatique. Selon eux, le choix des sujets et la manière de les traiter sont souvent façonnés de manière fondamentale par la langue dans laquelle travaillent les journalistes. 

Cela est particulièrement vrai lorsque les événements ou les sujets sont politiques. 

Ce n’est pas pour rien que l’on parle souvent des « deux solitudes » pour qualifier la relation entre francophones et anglophones : deux sociétés distinctes cohabitant dans le même pays avec des interactions limitées. 

Mais les choses sont rarement aussi simples, et cette métaphore obscurcit parfois plus le portrait de la situation qu’elle ne l’éclaire. 

Deux autres « solitudes » 

Dans notre étude, plutôt que d’observer un fossé entre le français et l’anglais dans la manière dont les médias ont couvert les réactions des Autochtones à ces plans de développement du Nord, nous avons constaté que le public cible était la variable cruciale. 

Lorsque les médias desservaient la majorité linguistique, ils étaient beaucoup plus susceptibles de présenter les réactions des autochtones aux plans de développement comme une menace pour l’unité nationale, en utilisant des termes tels que « créer des divisions nationales ». 

Toutefois, lorsque les médias s’adressaient à la minorité linguistique, ils étaient nettement plus susceptibles de présenter les réponses des Autochtones en termes de justice sociale, en parlant de « réparer un préjudice » ou de « l’héritage du colonialisme ». 

Dans notre étude, la métaphore des deux solitudes fait donc référence au clivage entre la majorité et la minorité, plutôt qu’au clivage entre les francophones et les anglophones. 

Ces résultats sont importants pour trois raisons. 

Premièrement, ils remettent en question la conception traditionnelle des différences entre les médias grand public et les médias des communautés culturelles ou minoritaires, qui ne tiennent pas toujours compte des dynamiques complexes à l’œuvre dans les États multilingues tels que le Canada. 

Il n’est donc pas toujours utile de considérer une langue ou un groupe ethnoculturel comme « le groupe majoritaire » d’un pays et tous les autres comme étant « les minorités ».  

Selon la région du pays dont il est question, le groupe le plus important ou le plus puissant peut changer. Cela peut avoir des effets significatifs sur la couverture médiatique et le cadrage des événements. 

Deuxièmement, le tout soulève des questions concernant l’appartenance à un groupe minoritaire et les médias qui s’adressent à ces populations. 

Par exemple, le statut de minorité et le déséquilibre de pouvoir qui en découle permettent-ils à certaines personnes d’observer plus facilement les inégalités qui les entourent ? Est-ce la raison pour laquelle les médias qui s’adressent aux groupes minoritaires sont plus susceptibles d’utiliser le langage de la justice sociale dans leurs reportages ? 

Les réponses à ces interrogations et à d’autres questions connexes intéresseront les spécialistes des médias au Canada et dans d’autres pays dotés d’environnements médiatiques multilingues, tels que la Belgique, Haïti, la Suisse et l’Afrique du Sud. 

Troisièmement, nos résultats confirment l’idée communément admise selon laquelle les médias prennent des décisions différentes quant aux événements et aux enjeux à couvrir, ainsi qu’à la manière de les couvrir. Cela signifie que les médias influencent la manière dont certains groupes sont représentés dans la sphère publique. 

Il est donc inquiétant de constater que les combats menés par les groupes autochtones, y compris les récents combats concernant les politiques minières de l’Ontario dans ce que l’on appelle le Cercle de feu, continuent d’être dépeints sous un jour négatif par certains médias, en particulier lorsqu’ils s’adressent à la majorité qui détient de nombreux leviers de pouvoir dans la région. 

Nous devons nous préoccuper de ce biais médiatique lorsque des groupes subissent de graves injustices sociales, économiques et politiques comme c’est le cas de nombreux peuples autochtones au Canada et dans le monde. 

Une meilleure compréhension, par les médias, des dynamiques de pouvoir qui affectent la représentation et le cadrage des actions des groupes autochtones constituerait un premier pas important vers l’amélioration des relations entre les peuples autochtones et allochtones. Il en irait de même pour une meilleure prise en compte des acteurs autochtones dans la couverture journalistique. 

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Isabelle Côté
Isabelle Côté est professeure agrégée de sciences politiques à l'Université Memorial. Ses travaux portent sur le rôle des facteurs démographiques et des mouvements de population sur les conflits internes et les politiques litigieuses en Asie. 
Dimitrios Panagos
Dimitrios Panagos est un théoricien politique de l'Université Memorial, spécialisé dans les politiques autochtones. Il est l'auteur de Uncertain Accommodation. 
Louis-Charles Vaillancourt
Louis-Charles Vaillancourt est un étudiant diplômé de l'Université Memorial qui étudie l'acceptation sociale des énergies renouvelables. 

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