En tant que seul État francophone en Amérique du Nord, le Québec a une responsabilité particulière à l’égard du rayonnement du français partout au Canada. La vitalité du français au pays repose en partie sur son action et son lien avec les francophones vivant en contexte minoritaire. Au printemps 2019, le gouvernement du Québec annonçait qu’il allait réviser sa politique en matière de francophonie canadienne et organiser un Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes au mois de juin 2020 à Québec, en amont de la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne. À quoi ressemblera la nouvelle politique ? Quels principes guideront l’action du gouvernement, quels secteurs d’activités seront privilégiés et quel type de gouvernance sera mis œuvre ?

La politique du Québec en matière de francophonie canadienne

L’action du Québec en matière de francophonie canadienne s’inscrit dans une longue trajectoire de relations entre la province et la francophonie canadienne. Depuis les années 1960, tous les gouvernements au Québec ont pris des initiatives afin d’appuyer la francophonie au pays, dont la mise sur pied du Service du Canada français outre frontières (1960), la publication du Livre blanc pour une nouvelle politique culturelle (1965), la création du Secrétariat des peuples francophones (1976), l’adoption de la politique du Québec sur la francophonie canadienne (1985), suivies de la Politique du Québec à l’égard des communautés francophones et acadiennes du Canada (1995) et de la Politique du Québec en matière de francophonie canadienne (2006), ainsi que la mise sur pied du Centre de la francophonie des Amériques (2008) et la publication de la Politique d’affirmation du Québec et des relations canadiennes (2018). Ces initiatives visaient toutes à solidifier, d’une façon ou d’une autre, les liens entre le Québec et les communautés francophones partout au pays.

La Politique du Québec en matière de francophonie canadienne de 2006 s’inscrit dans la continuité, mais renouvelle le discours et les champs d’action relatifs à la francophonie. Elle repose sur deux principes : le renforcement des liens entre les francophones du Québec et ceux du reste du Canada, et le rôle rassembleur du Québec au sein de la francophonie canadienne. Cette politique privilégie l’action et l’innovation, la recherche de justice et d’équité, et la promotion de la diversité et de la solidarité. Elle cible les secteurs de la culture et des communications, ainsi que ceux de l’éducation, du développement économique et de la santé.

Le gouvernement du Québec appuie la francophonie canadienne par différents leviers, notamment les partenariats, le réseautage, les échanges d’expertise et les programmes de soutien financier. En 2012, il publie un plan d’action qui comprend par exemple la création d’un programme de mobilité étudiante, la consolidation des espaces culturels et économiques francophones du Canada, ainsi que l’échange d’expertise en entrepreneuriat et le réseautage dans le milieu de la santé.

À défaut de bilan de cette politique, presque 15 ans après son adoption, il est difficile de déterminer ses retombées concrètes. Pour en évaluer la portée sans disposer de données, les témoignages d’acteurs ayant reçu des subventions du gouvernement du Québec pour leurs projets constituent un bon point de départ. Nous avons recueilli ces témoignages lors de la journée d’étude sur la Politique du Québec en matière de francophonie canadienne en novembre 2019 à Ottawa. Ils permettent de tirer des enseignements utiles pour l’élaboration de la prochaine politique.

Les retombées de la politique de 2006

Trois organismes ont présenté des témoignages très éloquents des retombées positives qu’a eues l’appui du Québec à leurs projets. L’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF) a souligné le rôle du Québec dans la mise sur pied de programmes d’échange et de stages en enseignement, ainsi que la création de nouvelles ressources pédagogiques pour l’ensemble de la francophonie. De son côté, Tournée Québec Cinéma a expliqué que les subventions du Québec permettent de créer des occasions d’élargir la distribution des films québécois, de créer des espaces de professionnalisation et de rassemblement, d’utiliser le cinéma comme outil pédagogique et de susciter de nouvelles vocations. Enfin, la Société Santé en français de la Saskatchewan a pu compter sur des prêts de services d’employés du réseau de la santé du Québec pour élaborer son programme de santé en français et acquérir de nouvelles expertises.

Tous ont souligné que les partenariats et les projets subventionnés par le gouvernement du Québec ont contribué à conscientiser les partenaires québécois aux difficultés rencontrées par les francophones ailleurs au Canada. Les projets ont permis de mobiliser des ressources et de faire du transfert de connaissances dans les domaines respectifs. Ils ont aussi servi à élaborer des solutions et à imaginer des programmes qui répondent aux besoins particuliers des francophones vivant en milieu minoritaire. De plus, ils ont donné aux différents groupes des moyens d’intégrer l’expérience acquise et de contribuer à former la relève.

Toutefois, des défis subsistent. Un premier tient au fait que les ressources et la relève sont de plus en plus rares en milieu minoritaire francophone. Il y a un risque que certains partenaires ne puissent plus s’engager si la tendance ne s’inverse pas. Un deuxième défi est lié à la nature trop ponctuelle des projets subventionnés. Il est difficile de bâtir des relations solides et de créer des partenariats quand il n’y a pas de continuité et que les organismes doivent soumettre de nouveaux projets chaque année. Il faut que les partenariats reposent sur un engagement du milieu, une volonté politique et une structure institutionnelle qui facilite les relations à long terme, au lieu de se baser sur des projets à court terme. Le troisième défi, ce sont les aléas politiques. La francophonie canadienne a besoin de champions pour faire progresser ses dossiers, qui relèvent souvent des domaines de compétence des provinces. Malheureusement, ces personnes peuvent perdre leur poste après un changement de gouvernement ou d’administration. La triste réalité est que les services en français dans les provinces sont souvent à la merci des changements dans les priorités gouvernementales.

Un « devoir d’avenir »

Les actions du gouvernement du Québec mettent en lumière les points communs entre le Québec et la francophonie canadienne, à savoir l’amour de la langue française, mais aussi « la conviction que cette langue ne doit pas se limiter au territoire du Québec », comme le rappelait l’ancien ministre Benoît Pelletier lors de la journée d’étude de 2019 à Ottawa. Tous sont d’accord que bien que le français soit une langue officielle au pays, il doit aussi être protégé afin qu’il ne soit pas déclassé par rapport à l’anglais. Comme l’a souligné l’ancienne ministre Louise Harel lors de la même rencontre à Ottawa, les francophones de partout au pays ont un « devoir d’avenir » à l’égard de leur langue. Ils doivent s’assurer qu’ils pourront continuer à écrire leur propre histoire.

Malgré l’engagement des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux à l’égard de la solidarité entre francophones du Québec et de l’extérieur du Québec, le fédéralisme canadien constitue parfois un obstacle à leur rapprochement. À titre d’exemple, il arrive que la Loi sur les langues officielles, fondée sur les droits individuels, et la Charte de la langue française (la loi 101), qui est de portée publique et territoriale, s’entrechoquent et s’opposent. La loi canadienne postule une symétrie entre les anglophones du Québec et les francophones du reste du Canada, alors que les situations ne sont pas comparables. Par le passé, la conviction que cette symétrie constitue un problème a poussé le Québec à intervenir devant les tribunaux pour protéger ses compétences, en particulier dans le domaine de l’éducation, lorsque certains citoyens ont contesté sa loi 101.

Lorsqu’il a recours aux tribunaux, le Québec se trouve à appuyer des provinces qui peinent à reconnaître les droits de leur propre minorité de langue officielle. Par contre, quand le Québec prend un rôle plus actif dans la défense du français au pays, le gouvernement fédéral peut avoir l’impression qu’il cherche à se substituer à lui dans ses relations avec les communautés francophones minoritaires. Ce conflit est apparu lorsque le Québec a intégré la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne en 2006. Le Québec est ainsi invité à exercer son leadership par le moyen de la diplomatie et des relations intergouvernementales.

Dans un contexte où la dualité linguistique canadienne est mise à mal dans certaines provinces et qu’elle perd aussi du terrain au sein du gouvernement fédéral, il est important que le Québec et les francophones ailleurs au Canada travaillent de concert pour renforcer le dynamisme du français partout au pays. Les politiciens, les groupes de la société civile, les chercheurs et les citoyens sont appelés à trouver les moyens de pallier les défis pour que le rapprochement entre francophones au pays soit durable. Il est important que le Québec et la francophonie canadienne prennent acte de la convergence de leurs intérêts. Seule leur collaboration permettra de renforcer la francophonie partout au pays.

Photo : Les Franco-Ontariens manifestent contre les coupes des services en français annoncées par le gouvernement de l’Ontario, le 1er décembre 2018, à Ottawa. La Presse canadienne / Lars Hagberg.


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Linda Cardinal
Linda Cardinal est professeure et membre de l’équipe rectorale de l’Université de l’Ontario français (Toronto). Elle est aussi membre du Centre d’études en gouvernance de l’Université d’Ottawa et professeure émérite à l’École d’études politiques. Elle a notamment publié « Les politiques linguistiques du Canada sont bien établies mais susceptibles d’amélioration » (2022) en collaboration avec Miranda Huron, dans le cadre de la nouvelle série sur les politiques linguistiques dans les pays fédéraux du Forum des fédérations.
Martin Normand
Martin Normand est stagiaire postdoctoral et professeur à temps partiel à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Il est coordonnateur du Groupe de recherche interdisciplinaire sur les politiques d’offre active de services en français.

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