Le Bloc québécois a été créé en 1990 par Lucien Bouchard dans la foulée de l’échec de l’entente Meech-Langevin et du rejet par le Canada des divers principes guidant cet accord. Depuis lors — six élections plus tard — ce parti continue d’obtenir la majorité des sièges au Québec (voir le tableau 1). À chaque élection, la stratégie des partis fédéraux est de mettre en doute la pertinence du Bloc dans l’antre même de la fédération canadienne : la Chambre des communes. Mais il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau. Depuis dix ans, les Québécois donnent inlassablement leur confiance au chef le plus expérimenté et qui connaît le mieux l’humeur des Québécois : Gilles Duceppe. Les résultats du dernier scrutin n’ont fait que confirmer cette tendance. La performance du Bloc québécois a surpris bien des observateurs qui avaient déjà enterré le parti souverainiste. Pourtant, celle-ci s’explique assez facilement : les immenses qualités du chef ; un message simple et clair ; un allié inattendu.

La force du Bloc se résume en premier lieu au leadership de son chef. Celui-ci a mené une campagne exceptionnelle en sachant bien surfer sur la vague de mécontentement à l’endroit des politiques conservatrices, tout comme en 2004 et 2006, il avait su tirer parti du scandale des commandites. Grâce à une présence constante au Québec, à une équipe de députés aguerris, à une maîtrise exceptionnelle des dossiers et surtout à la constance de son chef, le Bloc québécois a su gagner la confiance de l’électorat québécois. Son succès peut aussi être attribué à la piètre performance des autres chefs et leur mauvaise habitude de sous-estimer le chef des forces souverainistes à Ottawa et les citoyens du Québec.

Gilles Duceppe a même réussi à conquérir le cœur de certains Canadiens ! Le meilleur exemple de la campagne 2008 fut sans doute l’appui qu’il a obtenu de l’écrivaine Margaret Atwood. Le 3 octobre dernier, elle affirmait devant le parterre des membres de l’Economic Club que, si elle vivait au Québec, elle n’hésiterait pas un instant à voter pour le Bloc. Pour l’écrivaine, Gilles Duceppe a été durant la campagne de 2008 le grand défenseur de la culture… québécoise autant que canadienne. Alors que les conservateurs n’avaient rien à offrir de concret cette fois-ci et que les libéraux de Stéphane Dion s’enlisaient dans leur taxe verte sur fond de crise économique, le Bloc a su saisir la balle culturelle au bond et en faire la principale clef de sa campagne.

Lors de la campagne de 2006, Stephen Harper avait parlé d’un « fédéralisme d’ouverture » en proposant aux Québécois de reconnaître la nation québécoise et de donner au gouvernement du Québec plus de place sur la scène internationale (reconnaissance de la doctrine Gérin-Lajoie) en lui offrant entre autres un siège à l’UNESCO.

Le débat sur la reconnaissance de la nation québécoise avait été amorcé par le Bloc qui avait insisté pour que le Parti conservateur traduise ses engagements en gestes concrets. Gilles Duceppe a été fort habile en rappelant qu’au-delà de la symbolique du discours sur la nation — et sans présumer des intentions réelles de M. Harper —, la reconnaissance devait impliquer également des actions concrètes, si ce n’est que d’accepter les cinq conditions minimales de l’entente Meech-Langevin. Le Bloc a poussé plus loin la logique conservatrice en insistant sur le fait que les fonctionnaires fédéraux travaillant au Québec devraient tous pouvoir s’exprimer en français. Gilles Duceppe et le Bloc ont su dans ces deux cas faire ressortir la spécificité des demandes québécoises.

Au moment du discours du Trône d’octobre 2007, Gilles Duceppe a aussi insisté pour souligner que l’appui du Bloc québécois au gouvernement conservateur reposait sur un engagement ferme de ce dernier à résoudre cinq dossiers importants : le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ; la mission canadienne en Afghanistan ; les engagements pris par le Canada en matière d’environnement lors de la signature du protocole de Kyoto ; l’aide aux secteurs forestiers et manufacturiers ; le maintien de la gestion de l’offre en agriculture.

Le succès du Bloc durant la dernière campagne électorale repose en bonne partie sur une stratégie et un message clairs : les conservateurs n’ont pas tenu leurs promesses et ils n’ont pas répondu aux demandes du Bloc.

Le succès du Bloc durant la dernière campagne électorale repose en bonne partie sur une stratégie et un message clairs : les conservateurs n’ont pas tenu leurs promesses et ils n’ont pas répondu aux demandes du Bloc. La promesse d’un « fédéralisme d’ouverture » s’est vite heurtée à des portes closes. Les controverses entourant les coupes ou le réaménagement du financement des programmes culturels, tout comme la participation militaire canadienne en Afghanistan et l’environnement, n’ont fait que renforcer l’impression que le gouvernement conservateur était davantage à l’écoute de ses partisans albertains et de ses amis à Washington.

Gilles Duceppe et le Bloc québécois se sont également découvert un allié insoupçonné : le premier ministre Jean Charest. Au cours de l’année 2008, le chef de l’État québécois a pris un « virage nationaliste » comprenant fort bien que s’il voulait former un gouvernement majoritaire, il se devait d’être davantage à l’écoute de cette tranche de l’électorat québécois qui, sans nécessairement être souverainiste, souhaite néanmoins voir le gouvernement québécois adopter des positions fermes pour défendre les intérêts du Québec. Ainsi, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a soutenu que malgré les efforts réels des conservateurs, le déséquilibre fiscal entre le gouvernement fédéral et les provinces n’était pas réglé. Pour plusieurs membres du Parti conservateur, Jean Charest aurait non seulement renié ses anciens amis conservateurs mais aussi un certain pacte de non-agression.

Mais le premier ministre n’a pas été plus tendre à l’endroit du chef du Parti libéral du Canada. Le legs de l’ère Chrétien et le scandale des commandites, sans compter l’incapacité du chef libéral à se choisir de bons lieutenants au Québec, ont contribué à son impopularité. Même si Stéphane Dion peut se réjouir d’avoir fait légèrement mieux que le Parti conservateur au Québec — 23,7 p. 100 contre 21,7 p. 100 selon les chiffres préliminaires —, les Québécois ont toujours l’impression que le leader libéral leur a sciemment tourné le dos depuis la dernière joute référendaire.

Clairement, les fédéralistes canadiens sont en panne sèche depuis 1995, ayant choisi la stratégie de l’immobilisme face aux revendications québécoises. Le premier ministre du Québec a voulu se placer au-dessus de la mêlée tout en étant conscient que son gouvernement minoritaire aurait à faire face sous peu aux clameurs de l’électorat québécois. La tentation de déclencher des élections au Québec a sans doute compté dans ce calcul politique.

De plus d’une manière, Gilles Duceppe est le meilleur ambassadeur du Québec. Et on souhaiterait le voir, davantage que les autres chefs, s’impliquer dans les dossiers chauds de l’heure : défendre la Convention sur la diversité culturelle auprès de l’UNESCO par exemple, négocier à l’OTAN la participation québécoise dans la résolution de grandes crises internationales, ou négocier un nouvel accord de libre-échange avec les ÉtatsUnis, si tel s’avérait être l’objectif de Barack Obama, du prochain Congrès américain et des démocrates.

Depuis qu’il est à Ottawa, et même durant l’épisode de la Loi sur la clarté, le chef du Bloc a toujours fait preuve de pragmatisme et d’ouverture. Et surtout, il a démontré plus d’une fois aux Canadiens que la négociation éventuelle de l’indépendance du Québec et d’une entente de partenariat économique avec le Canada se fera de manière responsable et respectueuse des valeurs de tous et chacun. Dans ce sens, Gilles Duceppe sera nul doute un négociateur en chef hors pair.

Alors que plusieurs politologues soutiennent que nous sommes à l’ère des « chefs jetables » et qu’après une défaite électorale il devient presque impossible de demeurer en poste – Stéphane Dion vient de démissionner —, il ne fait aucun doute que la continuité, la cohérence et la persévérance de Gilles Duceppe sont des outils majeurs pour le mouvement indépendantiste tant au Québec qu’au Canada. Son succès repose principalement sur sa capacité à bien saisir ce que veulent les Québécois, et on ne devrait pas s’étonner que depuis plus de dix ans, ceux-ci estiment qu’il est celui qui peut le mieux les représenter.

GL
Guy Lachapelle est professeur de science politique à l'Université Concordia.

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