AÌ€ la Suite de l’annonce du Premier ministre Jean Chrétien que le Parlement canadien devrait se prononcer sur la ratification du protocole de Kyoto avant la fin de l’année, nous assisterons cet automne aÌ€ plusieurs débats sur l’ampleur des couÌ‚ts qu’entraiÌ‚neront les réductions des émissions de gaz aÌ€ effet de serre (GES) exigées dans ce Protocole. Bien que ces couÌ‚ts soient tré€s difficiles aÌ€ estimer, ils seront fort dépendants de la façon dont le Protocole est appliqué, c’est-aÌ€-dire du choix des instruments que le Canada effectuera pour réduire les GES. Nous croyons donc qu’il est important que les débats portent immédiate- ment sur le choix de ces instruments de sorte que les couÌ‚ts liés aÌ€ l’application du Protocole soient les plus faibles possi- bles. En effet, le meilleur moyen d’assurer un support aÌ€ long terme au protocole de Kyoto est sans nul doute d’en minimiser les impacts sur l’économie canadienne.

En mai dernier, le gouvernement fédéral, dans le Document de discussion sur la contribution du Canada aÌ€ la lutte contre les changements climatiques (www.changementsclima- tiques.gc.ca), proposait quatre façons, appelées « options », d’atteindre les objectifs canadiens de réductions des GES. Ces quatre options ont été discutées par tous les intervenants intéressés, soit essentiellement des représentants du monde des affaires, des gouvernements et des groupes environ- nementaux, lors des ateliers nationaux des intervenants sur les changements climatiques (www.nccp.ca). Tant la présentation des options par le gouvernement fédéral que leur discussion au sein des ateliers ont eu peu d’écho dans le grand public si l’on considé€re l’importance de la question. C’est pourquoi nous désirons aÌ€ la fois informer le public du contenu de ces options et apporter nos commentaires sur leurs mérites respectifs.

En principe, les quatre options proposées permettraient de respecter l’engagement pris par le Canada, celui de réduire ses émissions de GES de 6 p.100 par rapport aÌ€ leur niveau en 1990. Les émissions actuelles dépassent déjaÌ€ de 17 p. 100 le niveau de 1990 et, sans intervention, il est estimé que les émissions en l’an 2010 excéderont de 30 p. 100 le niveau de 1990. La taÌ‚che du Canada consiste donc aÌ€ réduire de 36 p. 100 ses émissions en l’an 2010 par rapport aÌ€ leur niveau projeté si aucune mesure spécifique n’était introduite en ce sens.

Pour accomplir cette taÌ‚che, les quatre options recourent essentiellement aÌ€ deux instruments d’intervention, soit un ensemble de « mesures ciblées », qui sont des interventions directes du gouvernement aupré€s des consommateurs ou des producteurs pour les inciter aÌ€ réduire leurs émissions, et un systé€me de droits d’émission échangeables en vertu duquel les entreprises devraient posséder un permis pour chaque tonne de GES qu’elles émettent annuelle- ment. Les quatre options se distinguent par la façon de combiner ces instruments et par les modalités d’application du systé€me de droits d’émission.

Ainsi, l’option 1 repose essentiellement sur l’utilisation des droits d’émission. Ces droits seraient vendus aux enché€res aux fournisseurs de combustibles fossiles, comme les raffineurs ou les distributeurs de gaz naturel et d’électricité. Ces fournisseurs devraient détenir un nombre de per- mis équivalant aux émissions de GES résultant de la consommation des produits qu’ils vendent. En controÌ‚lant ainsi les émissions en amont de la consommation, ce systé€me toucherait la majeure partie des émissions totales des GES.

AÌ€ l’opposé, l’option 2 ne s’appuierait que sur des mesures ciblées. Elle consisterait en une liste de projets identifiés par le gouvernement, comme le lancement de nouveaux programmes d’efficacité énergétique, l’investissement dans l’infrastructure du transport en commun, l’établissement de normes plus sévé€res en matié€re d’isolation des baÌ‚timents, etc. Ces projets pourraient é‚tre entre- pris directement par le gouvernement, subven- tionnés ou imposés par ré€glements.

L’option 3 combinerait un nombre plus restreint de mesures ciblées aÌ€ un systé€me de droits d’émission. Le systé€me de droits différerait de l’option 1 car les permis seraient détenus par les grands émetteurs des GES, comme les produc- teurs de pétrole, de gaz naturel ou d’électricité. Par exemple, le systé€me de permis controÌ‚lerait les GES émis lors de la production du pétrole en Alberta, mais non les GES émis lors de son utili- sation, comme ce serait le cas sous l’option 1. Pour nuire le moins possible aÌ€ la compétitivité des producteurs sur le marché des exportations, les permis seraient initialement distribués gratui- tement aux producteurs.

Finalement, l’option 4 apporte deux modifi- cations aÌ€ l’option 3. D’abord, les industries dont les activités croissent plus rapidement que les autres industries visées par le systé€me de droits verraient leur attribution annuelle augmenter dans le temps au détriment de celles dont les activités croissent moins rapidement. Ensuite, les entreprises visées par le systé€me pourraient acheter des crédits d’émission provenant de programmes de réduction effectués par des entreprises non soumises au systé€me de droits. Il s’agit de l’option qui semble é‚tre privilégiée par le gouvernement fédéral. Il est aÌ€ noter que les options faisant intervenir un systé€me de permis (soit les options 1, 3 et 4) prévoient l’achat de permis sur le marché international en conformité avec le protocole de Kyoto. Par ces achats, le Canada pourrait réaliser moins de réductions que celles prévues dans le Protocole, mais atteindre quand mé‚me ses objectifs, puisque l’effort moin- dre du Canada serait compensé par un effort sup- plémentaire des pays « vendeurs » de permis.

Le rapport sommaire des ateliers nationaux des intervenants sur les changements clima- tiques constate que « dans l’ensemble, les inter- venants ont exprimé un appui substantiel envers les mesures ciblées dans tout le pays, un mélange d’un certain degré d’appui et de préoccupations précises envers l’échange des droits d’émission intérieurs (EDEI) et une opposition générale aux achats internationaux nuancée d’un appui aux mécanismes des projets internationaux en vertu du protocole de Kyoto””les mécanismes de développement propre / l’application conjointe (MDP/AC) ».

Cette réaction nous surprend et est tout aÌ€ fait contraire aÌ€ la noÌ‚tre : par souci de rendre le couÌ‚t de l’application du protocole de Kyoto le plus faible possible, nous favorisons le systé€me de droits d’émission et croyons important qu’il soit appuyé par la possibilité d’acheter des permis sur les marchés internationaux.

Nous avons de fortes réserves quant aÌ€ l’usage exclusif des mesures ciblées mis de l’avant dans l’option 2. Une approche fondée principalement sur les mesures ciblées pourrait ouvrir la voie aÌ€ une intervention gouvernementale massive comme nous l’avons observée avec le Programme énergétique national en 1980. Or, ce programme a duÌ‚ é‚tre abandonné en 1985 aÌ€ cause de ses couÌ‚ts élevés et de ses pié€tres résultats.

Le recours aÌ€ cette option est souvent justifié par les bénéfices connexes qu’elle entraiÌ‚ne. L’investissement dans les transports en commun, par exemple, permettrait de réduire la congestion automobile et le smog urbain. Il est clair que les mesures qui engendrent effectivement des béné- fices nets doivent é‚tre réalisées. Toutefois, nous pensons qu’il est dangereux de justifier le recours systématique aux mesures ciblées par les béné- fices potentiels engendrés par certaines d’entre elles. Les bénéfices connexes doivent d’abord é‚tre estimés et uniquement les mesures dont les béné- fices totaux excé€dent les couÌ‚ts doivent é‚tre réa- lisées. Notons que l’adoption d’un systé€me de droits d’émission n’est pas en soi incompatible avec la réalisation de ces mesures ciblées.

Pour minimiser les couÌ‚ts de l’application du protocole de Kyoto, il faut que les efforts de réduction des émissions soient répartis de manié€re efficiente : les réductions doivent se faire laÌ€ ouÌ€ cela couÌ‚te le moins cher. Si cette proposition paraiÌ‚t évi- dente, sa mise en application l’est nettement moins, surtout si on adopte une approche central- isée telle que proposée dans l’option 2. Avec cette approche, ce sont les pouvoirs publics qui, ultime- ment, déterminent l’importance des efforts de réduction de chaque secteur. Or, les pouvoirs publics disposent généralement d’informations imparfaites sur les couÌ‚ts de réduction des GES, par- ticulié€rement dans le secteur industriel, et il est peu probable que les gestionnaires qui ont des informa- tions plus précises soient pré‚ts aÌ€ les révéler. Au con- traire, ceux-ci auront tout intéré‚t aÌ€ convaincre les pouvoirs publics que leurs couÌ‚ts de réduction sont élevés dans l’espoir de se voir imposer des efforts de réduction plus modestes (ou de se voir accorder des subventions plus importantes). En d’autres termes, avec l’option 2, la question de la répartition des efforts de réduction des GES est trop intimement liée aÌ€ celle de la répartition des couÌ‚ts et cette con- fusion risque d’augmenter les couÌ‚ts d’application.

La création d’un systé€me de droits d’émis- sion envisagée dans les options 1, 3 et 4 permet d’éviter cette difficulté. Le roÌ‚le des pouvoirs publics se limite alors aÌ€ fixer la quantité totale des droits d’émission (ce qui assure l’atteinte de l’ob- jectif environnemental), aÌ€ allouer les permis nécessaires et aÌ€ assurer le bon fonctionnement du marché des droits. Chaque organisation déter- mine ensuite de manié€re autonome ses efforts de réduction des émissions en tenant compte de l’obligation de détenir un permis valable pour toutes ses émissions de GES. Si elle veut émettre plus que son allocation initiale de permis, elle doit acheter des permis supplémentaires sur le marché, mais si elle produit moins de GES, elle peut vendre l’excédent. L’importance de ses efforts de réduction des GES va dépendre de la comparaison de ses couÌ‚ts de dépollution et du prix en vigueur sur le marché des permis : si elle peut réduire ses émissions aÌ€ un couÌ‚t inférieur au prix du marché, elle aura intéré‚t aÌ€ le faire (dépol- luer devient une activité profitable); par contre, si ses couÌ‚ts sont plus élevés, elle aura recours aÌ€ l’achat de permis. Les décisions sont donc prises par des agents qui ont une meilleure information sur les couÌ‚ts de réduction des émissions que les gouvernements. De plus, quelle que soit la répar- tition initiale des permis, les possibilités d’échanges assurent que les efforts de réduction se feront laÌ€ ouÌ€ leurs couÌ‚ts seront les moindres.

Ce systé€me permet donc de séparer la ques- tion de la répartition des couÌ‚ts, déterminée par la distribution initiale des permis, de celle des efforts de dépollution. Les expériences améri- caines avec les marchés de droits d’émission démontrent que l’usage de cet instrument peut abaisser considérablement les couÌ‚ts relativement aÌ€ une approche centralisée. Par exemple, le US Environmental Protection Agency, 2001 (https://yosemite.epa.gov/ee/epa/eed.nsf/pages/incentives) rapporte que l’Acid Rain Allowance Trading aurait diminué les couÌ‚ts de réduction des émissions de CO2 d’environ 50 p. 100.

Parmi les trois options qui incluent un marché de droits d’émission, l’option 1 est cer- tainement celle qui offre le plus d’opportunités de réduction des couÌ‚ts puisqu’elle couvre le pour- centage le plus élevé des émissions. De plus, la vente initiale des permis, bien que politiquement plus difficile aÌ€ faire accepter, respecte le principe du pollueur payeur et fournit aux agents l’incita- tion la plus grande aÌ€ développer de nouvelles technologies moins polluantes. Le recyclage dans l’économie des fonds récoltés lors de la vente des droits d’émission procure également une grande flexibilité. Ces fonds peuvent servir aÌ€ limiter l’im- pact négatif sur la position concurrentielle des industries les plus vulnérables en les aidant par exemple aÌ€ développer des technologies moins énergivores ou moins polluantes. Ils peuvent également servir aÌ€ assurer une répartition équili- brée des couÌ‚ts entre les provinces. Le gouverne- ment fédéral pourrait ainsi réduire l’opposition de l’Alberta.

Les appréhensions de cette province sont faciles aÌ€ comprendre. En effet, sa contribu- tion aux émissions canadiennes en l’an 2000 fut de 29,5 p. 100, soit une part excédant celle de l’Ontario (27,8 p. 100) et du Québec (12,8 p. 100), deux provinces ayant des niveaux d’activité économique plus élevés. Deux sources importantes d’émission sont l’extraction des matié€res fossiles comme le pétrole et le gaz naturel ainsi que la production d’électricité de source thermique. Ces deux facteurs expliquent en bonne partie la position désavantageuse de l’Alberta. L’utilisation d’un systé€me de droits d’émission permet d’introduire explicitement une compensation en faveur des provinces sur la base du couÌ‚t qu’elles ont aÌ€ supporter. Selon l’op- tion 1, le gouvernement fédéral détient initiale- ment les droits d’émission et perçoit les revenus de leurs ventes aux enché€res. Il baisserait alors les impoÌ‚ts sur le revenu des particuliers et cette subs- titution fiscale produirait un effet positif sur l’économie canadienne. Au lieu de baisser les impoÌ‚ts, le gouvernement fédéral pourrait partager une partie des revenus de la vente des droits d’émission avec les provinces. Il pourrait aussi partager les droits d’émission avec les provinces qui auraient alors la liberté d’en dis- poser selon leurs propres priorités. Il existe d’ailleurs des précédents pour ce type d’arrange- ment entre le gouvernement fédéral et les provinces. Dans le cadre du litige canado-améri- cain sur le bois d’œuvre qui perdure depuis plus de quinze ans, le gouvernement fédéral a déjaÌ€ perçu une taxe aÌ€ l’exportation sur le bois d’œuvre vers les États-Unis et retourné les sommes ainsi acquises aux provinces.

Toutes les options incluent l’achat de permis internationaux par les gouvernements. Bien que le fonctionnement du marché international de droits d’émission puisse poser des problé€mes réels, il serait, aÌ€ notre avis, tré€s risqué de se priver de cette soupape de sécurité. En effet, il existe encore beaucoup d’incertitude sur les couÌ‚ts liés aÌ€ l’atteinte des objectifs de Kyoto, surtout aÌ€ la suite du retrait des États-Unis. Si le Canada doit faire sa part dans la lutte aux changements climatiques, il ne doit pas le faire aÌ€ n’importe quel prix. L’achat de permis internationaux permettrait de réduire les risques de dérapage et de réaliser les réductions de GES qui ont un couÌ‚t raisonnable. Si le prix intérieur augmentait de manié€re déraisonnable, on peut tré€s bien imaginer un mécanisme par lequel les pouvoirs publics pourraient intervenir sur le marché intérieur en vendant des permis internationaux. Évidemment, l’achat de permis signifierait la sortie de capitaux du Canada, mais il en va de mé‚me chaque fois que nous importons un bien qui couÌ‚te moins cher aÌ€ produire aÌ€ l’étranger qu’au Canada. Dans une publicité parue récemment dans quelques quotidiens canadiens, la Chambre de Commerce du Canada a demandé que l’on octroie sous forme de subvention aux entreprises canadiennes les montants que le Canada pourrait débourser pour l’achat de permis internationaux. Cette proposition entre en contra- diction avec leur position généralement favorable au libre échange. Il est possible que le marché international des droits d’émission se développe au point de devenir un marché comme celui du pétrole, du blé ou du café. La croissance de cette nouvelle industrie au Canada devrait reposer sur ses atouts concurrentiels dans ce domaine et non sur les orientations identifiées par le gouverne- ment et imposées par l’intermédiaire de ses pro- grammes de subvention.

Pour la mise en application du protocole de Kyoto, le gouvernement canadien propose l’utili- sation de deux instruments, soit les échanges de droits d’émission et les mesures ciblées. Compte tenu de notre ignorance actuelle aÌ€ l’égard des couÌ‚ts associés aÌ€ la réduction des émissions de GES, il est tré€s important que le gouvernement adopte une stratégie flexible, c’est-aÌ€-dire qui s’ajustera aux développements des connais- sances. C’est pourquoi nous favorisons une approche qui fait une large place aÌ€ un systé€me d’échange de droits d’émission.

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