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La pandémie de COVID-19 a mis les institutions du Canada à rude épreuve. Les gouvernements, les médias et les experts de la santé, entre autres, ont été appelés à réagir à une pandémie qui évoluait rapidement. Cette réponse a été compliquée par l’évolution des connaissances sur le virus au fil du temps, ce qui a aussi fait évoluer les stratégies employées pour en atténuer l’impact. La population a pu observer en temps réel la nature autocorrective de la science et la capacité d’adaptation des institutions.
Comment les Canadiens ont-ils évalué les performances de leurs institutions?
Les acteurs institutionnels ont joué de nombreux rôles essentiels pendant la pandémie, mais nous nous concentrons ici sur un rôle en particulier : fournir au public des informations fiables sur la COVID-19.
Au début de la pandémie, les questions se sont accumulées rapidement. Comment le virus se transmet-il? Quand et où dois-je me faire dépister? Que puis-je faire pour me protéger et protéger mes proches? À mesure que la pandémie se prolongeait, de nouvelles questions sont apparues. Comment rouvrir les entreprises et les écoles en toute sécurité? Où puis-je me faire vacciner? Quand tout cela sera-t-il terminé? De nombreux Canadiens se sont tournés vers leurs gouvernements, les responsables publics et les médias pour obtenir des réponses.
Pour faire le point sur la manière dont les Canadiens évaluent la performance des institutions en tant que fournisseurs d’informations, nous nous sommes concentrés sur deux questions en particulier : à quelles institutions les Canadiens ont-ils fait confiance, et comment cette confiance a-t-elle évolué dans le temps?
Pour trouver les réponses, nous nous sommes tournés vers le COVID-19 Monitor – un partenariat entre Vox Pop Labs et le Digital Society Lab de l’Université McMaster. Il s’agit d’une enquête en ligne autogérée qui a sondé les Canadiens en 47 vagues distinctes entre mars 2020 et février 2022. Chaque vague consistait en une enquête transversale auprès d’environ 2000 Canadiens. Comme c’est souvent le cas dans les enquêtes en ligne modernes, l’échantillonnage n’était pas aléatoire; les participants ont plutôt été stratifiés au préalable en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur niveau d’éducation, de leur région, de leur revenu et de leur appartenance partisane. Une fois l’enquête terminée, les réponses ont été pondérées en fonction de ces mêmes caractéristiques, afin de simuler un échantillon représentatif.
Pour notre première question – quelles sont les institutions auxquelles fait-on confiance ? – nous avons regroupé toutes les vagues disponibles dans le COVID-19 Monitor, puis nous nous sommes concentrés sur huit acteurs institutionnels : l’Organisation mondiale de la santé, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux, les administrations municipales, les responsables de la santé publique, les prestataires de soins de santé locaux, les médias d’information et les médias sociaux.
(Pour la plupart de ces institutions, les données s’étendent de mars 2020 à février 2022, à l’exception des médias sociaux, qui ont été inclus pour la première fois dans l’enquête en mai 2020.).
On a demandé aux participants dans quelle mesure ils faisaient confiance à chacune de ces institutions pour fournir des informations factuelles et objectives sur COVID-19. Ils avaient le choix entre quatre réponses : une grande confiance, une confiance modérée, une faible confiance ou aucune confiance. Les résultats sont présentés dans la figure 1.
En général, la population a fait confiance aux experts en santé. Les trois principaux acteurs institutionnels auxquels le public accorde une « grande confiance » sont les responsables de la santé publique, les prestataires de soins de santé locaux et l’Organisation mondiale de la santé. Inversement, à l’autre bout de l’échelle, peu de Canadiens ont exprimé une « grande confiance » envers les médias sociaux – une institution où les commentaires profanes l’emportent facilement sur les voix des experts, et qui a servi de canal pour diffuser des informations erronées et de la désinformation.
De façon notable, les Canadiens n’ont généralement pas eu tendance à faire plus confiance à un niveau de gouvernement qu’à un autre. Par exemple, le pourcentage de Canadiens ayant déclaré avoir « très confiance » était similaire pour le gouvernement fédéral (23 %), les gouvernements provinciaux ou territoriaux (24 %) et les gouvernements municipaux (19 %).
Maintenant, comment la confiance des individus envers les institutions a-t-elle évolué dans le temps? Pour répondre à cette question, la figure 2 montre les niveaux de confiance pour chacune des vagues d’enquête disponibles dans le COVID-19 Monitor. Les résultats montrent que l’évaluation publique de la performance des institutions n’était généralement pas statique.
Pour mieux comprendre cette évolution, nous avons comparé – pour chacune des institutions – les réponses des quatre premières vagues d’enquête disponibles avec les réponses des quatre dernières vagues d’enquête disponibles. Nous nous sommes concentrés en particulier sur l’évolution de la proportion des participants déclarant avoir « une grande confiance ».
Les responsables de la santé publique, qui ont bénéficié d’un des niveaux de confiance les plus élevés, ont subi l’une des baisses les plus marquées au fil de la pandémie. L’OMS et les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux ont également connu des baisses importantes. Les prestataires de soins de santé locaux constituent une exception importante : ils ont commencé la pandémie avec un niveau de confiance relativement élevé, et qui a peu baissé au cours des deux années qui ont suivi.
Ce tableau, qui dresse un portrait global, ne révèle toutefois qu’une partie de l’histoire. De par sa nature, le COVID-19 a posé des défis différents à différents groupes de Canadiens. Par exemple, les personnes plus âgées tendent à présenter un risque plus élevé de complications liées à la COVID que les plus jeunes. Les citadins, eux, tendent à présenter un risque plus élevé d’exposition à la COVID et, en cas de hausse des cas, à être confrontés à des restrictions sanitaires plus strictes que leurs homologues ruraux. Les parents d’enfants d’âge scolaire (sans parler des enfants eux-mêmes) ont subi des perturbations importantes liées à l’apprentissage à domicile.
Comment la confiance institutionnelle a-t-elle évolué au sein de ces groupes en particulier? Nous avons aussi étudié ces groupes dans le cadre de notre enquête. L’opinion de certains groupes a évolué différemment au fil du temps. Malgré tout, certaines tendances se dégagent.
La confiance envers les responsables de la santé publique et les prestataires de soins locaux a diminué moins fortement chez les personnes âgées que chez les plus jeunes. Chez les personnes âgées de 65 ans et plus, elle a même augmenté. La confiance envers les administrations municipales a baissé davantage chez les citadins que chez les ruraux. Enfin, la confiance envers les responsables de la santé publique a davantage baissé chez les personnes ayant des enfants de moins de 15 ans que chez celles qui n’en ont pas.
D’importants enseignements politiques
Les Canadiens ont généralement fait confiance à des institutions publiques, comme les responsables de la santé publique, pour leur fournir des informations pour les aider à faire face aux circonstances exceptionnelles de la pandémie. À l’inverse, les Canadiens ont eu tendance à se montrer sceptiques à l’égard d’institutions qui proposaient un mélange d’opinions d’experts et d’inconnus sur la COVID-19, comme c’est le cas sur les médias sociaux. C’est rassurant – jusqu’à un certain point.
Au fil du temps, la confiance s’est érodée pour chacune des huit institutions étudiées ici. Bien que les causes derrière ces baisses doivent être élucidées, l’une des implications potentielles est que les institutions et les responsables publics ont un rôle à jouer pour aider les individus à naviguer à travers l’incertitude. Nous avons tous le devoir – les institutions comme les citoyens – d’agir sur la base des meilleures informations disponibles, mais nous devons également reconnaître que ces informations disponibles peuvent changer, en particulier si nous sommes confrontés à des défis de politique nouveaux ou rares.
Un aspect positif est que la confiance des Canadiens dans la capacité des prestataires de soins de santé locaux à fournir des informations crédibles s’est avérée relativement stable et durable. Bien que les causes de cette stabilité relative méritent, elles aussi, d’être approfondies, nous pouvons suggérer un certain nombre d’explications potentielles.
Par exemple, le travail des prestataires de soins de santé locaux les met davantage en contact personnel ou direct avec les individus que d’autres acteurs institutionnels. La place du système de santé dans l’identité canadienne peut également les avoir protégés contre l’érosion de la confiance observée ailleurs. En outre, alors que le personnel de la santé était en première ligne pour soigner et éduquer les gens à l’échelle individuelle, ils n’étaient pas soumis à un examen public aussi intense – par exemple, sous la forme de conférences de presse quotidiennes – que les politiciens et les responsables de la santé publique.
Quelles qu’en soient les raisons, les décideurs politiques peuvent tirer parti de ce réservoir de confiance et de crédibilité en améliorant les ressources et les outils grâce auxquels les prestataires de soins de santé locaux peuvent atteindre leurs patients et les communautés locales afin d’amplifier les messages de santé publique.
Cet article fait partie de la série Vers des institutions publiques plus résilientes : apprendre de la pandémie de COVID-19.
À lire dans cette série :
- Le test de résistance de la gouvernance canadienne
- La réponse de l’Ontario à la pandémie, vue de l’intérieur
- À qui le public a-t-il fait confiance pendant la pandémie?
- Peut-on régler les problèmes de gestion de la fonction publique fédérale?
- La « guerre totale » en politique menace la démocratie canadienne