En octobre dernier, le Vérificateur général du Québec a publié un rapport d’audit de performance sur l’accessibilité aux services de garde éducatifs à l’enfance, dans lequel il a formulé plusieurs recommandations à l’intention du ministère de la Famille. Une de celles-ci est de veiller à ce que les enfants qui vivent dans un contexte de précarité socioéconomique ou qui ont des besoins particuliers aient accès à un service de garde abordable répondant à leurs besoins. En tant que commissaire au développement durable, j’aimerais présenter certaines de mes observations en complément à ce rapport afin de faire ressortir différentes raisons liées au développement durable qui appuient cette recommandation.

Un service crucial pour les enfants vulnérables

L’un des objectifs de la création du réseau des services de garde à contribution réduite était que ces services aident au développement et à l’égalité des chances des enfants, notamment de ceux qui subissent les effets néfastes de la pauvreté.

Cependant, le rapport d’audit met en évidence des lacunes à cet égard. Entre autres choses, il révèle que les enfants issus de familles à faible revenu sont sous-représentés dans les centres de la petite enfance (CPE) des régions administratives de Laval et de Montréal. Pourtant, plusieurs études démontrent que les enfants de ces familles sont ceux qui ont le plus à gagner à fréquenter un service de garde en bas âge. À ce sujet, la Commission sur l’éducation à la petite enfance (2017) se faisait d’ailleurs cinglante dans la conclusion de son rapport : « Si l’on doit mettre en évidence un échec dans l’application de la politique familiale, c’est de ne pas avoir réussi à rejoindre davantage, comme on le souhaitait, les familles vulnérables. »

« Si l’on doit mettre en évidence un échec dans l’application de la politique familiale, c’est de ne pas avoir réussi à rejoindre davantage, comme on le souhaitait, les familles vulnérables. »

Selon les données de l’Enquête montréalaise sur l’expérience préscolaire des enfants de maternelle réalisée en 2012, les enfants de familles à faible revenu qui ont fréquenté de façon exclusive un CPE durant la période préscolaire sont 3,3 fois moins susceptibles d’être vulnérables dans un ou plusieurs domaines de leur développement, comparativement à leurs pairs qui n’ont fréquenté aucun service éducatif. Ces enfants sont également 2,5 fois moins susceptibles d’être vulnérables dans un domaine de leur développement que leurs pairs qui ont fréquenté un autre type de service de garde reconnu.

Le rapport de la Commission sur l’éducation à la petite enfance fait aussi valoir que la fréquentation de services de garde de qualité par des enfants en situation de vulnérabilité permet de réduire à la fois les inégalités sociales de santé des enfants et le stress toxique chez certains d’entre eux qui ont des effets délétères sur le développement du cerveau. Le rapport souligne que les services de garde de qualité fournissent une alimentation saine qui influence favorablement le développement global et la santé des enfants.

De plus, comme je l’ai indiqué en 2019 dans mes observations sur les interventions des directeurs de la protection de la jeunesse, une étude américaine a même montré que des services de garde de qualité pouvaient contribuer à diminuer la maltraitance des enfants d’âge préscolaire.

Les avantages des services de garde sont donc indéniables. Pourtant, comme la Commission l’indique, les enfants issus d’un milieu défavorisé sont moins susceptibles de fréquenter un service de garde que leurs pairs mieux nantis. Dans la même veine, le rapport d’audit montre que plusieurs places en service de garde réservées aux enfants jugés vulnérables restent vacantes.

Un élément essentiel pour l’accès des femmes au marché du travail

Des services de garde de qualité à faible coût sont également essentiels pour faciliter l’accès des femmes au marché du travail. Cet accès est important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il peut permettre à une famille d’éviter la pauvreté et ses conséquences. À cet effet, une étude de 2019 rappelle qu’un retrait prolongé du marché du travail suivant l’accouchement augmente le risque de conséquences financières fâcheuses en cas de séparation des conjoints, non seulement pour la mère seule, mais aussi pour ses enfants. De plus, si les mères interrompent leur carrière trop longtemps, elles perdent inévitablement une grande partie des sommes et des efforts investis dans leur éducation. 

Comme le montre la figure ci-dessous, le taux de participation à la population active des mères québécoises ayant des enfants de 0 à 5 ans a connu une croissance significative entre 1988 et 2018, qui est supérieure à celle enregistrée dans les autres provinces canadiennes pendant la même période. Notons également que le taux au Québec a dépassé celui des autres provinces peu de temps après 1997, soit l’année de la création du réseau des services de garde et des CPE.

Selon plusieurs études, la création du réseau des services de garde a joué un rôle déterminant dans l’augmentation importante de la participation des mères québécoises au marché du travail. Les auteurs de ces études ont également constaté, dans une publication de 2013, que cette augmentation était à peu près la même chez toutes les mères, qu’elles détiennent ou non un diplôme d’études postsecondaires, et que les mères restent sur le marché du travail après l’entrée à l’école de leurs enfants.

En 2018, constatant les différences décrites ci-dessus entre le Québec et les autres provinces, Stephen Poloz, alors gouverneur de la Banque du Canada, s’est exprimé en faveur d’une augmentation du taux d’emploi des femmes grâce à des programmes de garde d’enfants similaires au programme du Québec. Plus récemment, le gouvernement du Canada a estimé, dans le budget fédéral 2021, qu’avec un plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, inspiré du modèle québécois, 240 000 femmes de plus pourraient se trouver sur le marché du travail.

Aux termes de mes observations, il m’apparaît qu’une question devrait retenir l’attention des décideurs : quelles mesures faut-il mettre en œuvre pour permettre à davantage d’enfants vulnérables ou issus d’un milieu défavorisé de fréquenter un service de garde de qualité ?

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Paul Lanoie
Paul Lanoie est commissaire au développement durable au bureau du Vérificateur général du Québec depuis septembre 2016.  Auparavant, il était professeur titulaire d’économie à HEC Montréal.

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