Aux trois dernières élections fédérales, les Québécois ont chaque fois donné une majorité de sièges à un parti différent : en 2008, le Bloc québécois (BQ) a obtenu sa dernière victoire ; en 2011, le Nouveau Parti démocratique (NPD) l’a remporté en profitant de la vague orange ; en 2015, le Parti libéral du Canada (PLC) a su (re)conquérir le Québec. De toute évidence, les électeurs québécois sont plus volatils que par le passé.

Il faut donc s’attendre à ce que de multiples facteurs jouent un rôle dans l’élection canadienne en octobre 2019. Si la partisanerie, l’idéologie des partis, la personnalité des chefs ou encore la question de la souveraineté du Québec restent des éléments importants (et qui ont permis d’expliquer plusieurs élections par le passé), il faut néanmoins tenir compte du contexte politique actuel. Aucune formation prétendant au pouvoir ne ménagera ses efforts pour gagner des sièges au Québec, notamment parce qu’il constitue une province « pivot ».

Dès janvier 2019, le premier ministre du Québec François Legault a présenté sa liste de revendications au gouvernement fédéral. Parmi ses demandes importantes figure la réclamation de 300 millions de dollars pour l’accueil des migrants en provenance des États-Unis qui ont traversé la frontière de manière irrégulière. De plus, en droite ligne avec la visée « autonomiste » de la Coalition avenir Québec (CAQ), le premier ministre veut que certains pouvoirs actuellement détenus par Ottawa soient dévolus à Québec. Il souhaite avant tout obtenir une plus grande marge de manœuvre dans la sélection des nouveaux arrivants (dans les catégories de la réunification familiale et des réfugiés), puisqu’il a promis d’abaisser les seuils d’immigration de 20 %.

Si certains groupes ou journalistes ne cessent de ramener ces exigences sur le tapis (pensons notamment aux débats des chefs), ils pourraient mettre à mal le PLC de Justin Trudeau, puisque le Parti conservateur (PC) d’Andrew Scheer et le BQ ont des positions plus proches de la CAQ à ce chapitre. Selon des sondages de différentes firmes, les Québécois sont majoritairement favorables à l’idée de mieux contrôler, voire de restreindre l’immigration.

Un autre sujet, qu’on peut rattacher à l’immigration, risque de revenir à l’avant-scène : le projet de loi 21 sur la laïcité que le gouvernement québécois s’apprête à adopter avant l’été. Les partis fédéraux voudront probablement éviter cette question litigieuse, car elle fait apparaître, une fois de plus, la division entre francophones et non-francophones. De nouveau, les libéraux sont assez loin de la position de la majorité des Québécois : Justin Trudeau condamne le projet de loi. Andrew Scheer le dénonce lui aussi, mais les conservateurs québécois ne semblent pas nécessairement sur la même longueur d’onde que leur chef. Parmi les partis fédéraux, seul le BQ défendra manifestement la position de la CAQ.

Il est donc tout à fait possible que la campagne fédérale au Québec ait des airs de déjà-vu au sens où elle devrait tenir compte de thèmes récurrents comme le partage des pouvoirs et la volonté du Québec d’affirmer un modèle de politiques publiques différent du reste du Canada.

Mais la question de l’économie alimentera certainement aussi la campagne fédérale.

Tout d’abord, l’économie se porte très bien si on regarde des indicateurs comme le taux de chômage ou le PIB, et les libéraux ne manqueront pas de le rappeler. Mais cette bonne performance ne suffira pas pour conquérir l’électorat — pensons à Denis Coderre au niveau municipal et à Philippe Couillard au provincial, qui ont été défaits malgré des contextes économiques favorables. Andrew Scheer s’attaquera sans aucun doute au déficit, qui a fortement augmenté sous les libéraux. Justin Trudeau aura la tâche difficile d’expliquer de quelle manière ses politiques économiques ont contribué au bien-être général des Canadiens, mais aussi comment elles ont diminué la pauvreté et les écarts de richesse. Il soulignera certainement que sa politique a permis de réduire considérablement la pauvreté chez les enfants.

Pour sa part, le BQ reviendra sans doute sur l’achat du pipeline Trans Mountain en soutenant que les Québécois doivent financer des projets inacceptables à leurs yeux et qui n’ont pas ou peu de retombées pour la province. Cet argument pourrait faire mouche, surtout dans un contexte où François Legault ne ménage pas ses efforts pour vendre de l’hydroélectricité aux États du Nord-Est américain et pour se poser en leader d’une économie plus verte.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral semble peu disposé à accroître sa contribution aux coûts de plusieurs projets auxquels tiennent les Québécois, tels que le transport en commun à Québec.

Enfin, François Legault — fort de l’appui unanime de l’Assemblée nationale — exige l’instauration d’une déclaration de revenus unique, qui serait gérée par Québec. Encore une fois, les libéraux s’y opposent, alors que les conservateurs se montrent favorables à cette proposition très concrète, qui faciliterait la vie des Québécois. Les libéraux fédéraux invoquent notamment la perte de milliers d’emplois, mais François Legault y voit plutôt un transfert d’emplois, qui n’aurait pas d’impact économique négatif.

Qu’en est-il du NPD ? Par rapport aux points soulevés, il est souvent difficile de voir en quoi il se distingue du PLC, dont il peut paraître une pâle copie. Il serait plus facile pour le parti de Jagmeet Singh de se démarquer par ses positions sur l’environnement ou la réforme des institutions démocratiques. Le NPD est non seulement perçu comme étant plus compétent dans ces domaines qu’en économie par exemple, mais il lui sera aussi assez aisé d’attaquer le bilan du gouvernement sortant dans ces sphères. Les Québécois le verront volontiers dénoncer l’achat de l’oléoduc Trans Mountain ou la promesse non tenue des libéraux de réformer le mode de scrutin.

Toutefois, on voit mal comment le contexte provincial pourrait aider le NPD à mettre en avant et à médiatiser ces enjeux. Un seul élément lui semble favorable : la progression de Québec solidaire (QS). Même si ce parti souhaite rester officiellement neutre durant la campagne, il pourrait avoir une influence indirecte en faisant valoir que la priorité devrait être l’environnement et que c’est sur cet enjeu que les électeurs devraient se prononcer. De plus, ses militants pourraient soutenir le NPD dans certaines circonscriptions de Montréal. Il sera aussi intéressant de voir si les figures d’autorité de QS, passées ou présentes (Amir Khadir, Françoise David, Gabriel Nadeau-Dubois, Manon Massé), indiqueront publiquement une préférence, en se disant favorables au NPD ou non.

Les questions de l’immigration et de l’économie sont donc susceptibles de s’inscrire à l’ordre du jour de la campagne fédérale. Elles ont de nombreuses facettes, pour la plupart complexes. Actuellement, les positions du PC et du BQ semblent plus proches des souhaits d’une majorité de Québécois. Il faut aussi souligner que bien des aspects des débats sur l’immigration et sur l’économie renvoient aux relations intergouvernementales et au partage des pouvoirs entre le Québec et le fédéral, comme s’il s’agissait d’une question clé de la prochaine campagne.

Chose certaine, le contexte politique canadien rend le Québec incontournable pour tous les partis politiques fédéraux. Un gouvernement qui exclut la vaste majorité des Québécois — comme sous le dernier gouvernement de Stephen Harper — ne semble pas possible, ce qui force les partis à redoubler d’efforts au Québec. Les partis fédéraux devront proposer une vision équilibrée qui concilie les intérêts du Québec avec ceux du reste du Canada, ce qui ne sera pas une tâche simple puisqu’ils sont parfois divergents. Les conservateurs doivent faire des gains au Québec, et les libéraux doivent maintenir leurs appuis au Québec sans s’aliéner le reste du Canada.

Cet article fait partie du dossier Dynamique provinciale et élection fédérale 2019.

Photo : Le premier ministre Justin Trudeau, entouré des premiers ministres provinciaux Stephen McNeil de la Nouvelle-Écosse, Blaine Higgs du Nouveau-Brunswick et François Legault du Québec, à la conférence de presse de clôture après la réunion des premiers ministres du pays, à Montréal, le 7 décembre 2018. La Presse canadienne / Ryan Remiorz.


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Jean-François Daoust
Jean-François Daoust est professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke (École de politique appliquée) et professeur honoraire à l’Université d’Edimbourg.

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