Quand on parle de suicide, la plupart des gens pensent à une jeune personne aux prises avec des troubles de santé mentale. Bien que cela puisse être la première cause de décès chez les jeunes de moins de 20 ans, les personnes les plus susceptibles de mourir par suicide sont des hommes d’âge moyen. Or personne ne semble vouloir parler de cette question de santé publique.

Les statistiques sont invraisemblables. Trois suicides sur quatre sont commis par des hommes, et sept hommes meurent chaque jour par suicide au Canada. Le risque pour les hommes homosexuels et bisexuels est encore plus élevé. De plus, le risque augmente chez les hommes à mesure qu’ils vieillissent. La mort par suicide est en effet plus élevée chez les hommes dans le groupe d’âge compris entre 40 et 59 ans.

Au cours des cinq dernières années, le taux de suicide chez les hommes qui ont servi dans l’armée est aussi un sujet de préoccupation. Selon le gouvernement fédéral, il y a eu au cours des cinq dernières années une hausse du taux de suicide, en particulier chez les « jeunes hommes affectés à un poste d’une section des armes de combat au sein du commandement des forces terrestres (par opposition aux autres unités). Ce groupe était davantage exposé aux traumatismes psychologiques, surtout dans le cadre des opérations de combat en Afghanistan. »

Il est toutefois difficile d’avoir un portrait global des taux de suicide chez les militaires, car les Forces armées ne tiennent pas compte des hommes qui se suicident après avoir quitté le service. Selon un rapport du Globe and Mail, 158 hommes sont morts au combat en Afghanistan, et 54 autres se sont enlevés la vie à leur retour à la vie civile.

La mort par suicide est un domaine d’étude complexe. Les analyses démontrent que les femmes sont plus susceptibles de faire des tentatives de suicide, tandis que les hommes sont plus susceptibles de mourir de leurs tentatives, en grande partie parce qu’ils utilisent des méthodes beaucoup plus draconiennes. En conséquence, comprendre les facteurs qui conduisent à une tentative de suicide est difficile puisque les hommes sont moins susceptibles d’y survivre.

On sait que la solitude et l’isolement jouent un rôle prépondérant dans les pensées suicidaires chez les hommes. De fait, les hommes mariés affichent un taux de suicide plus faible que les autres. Les rôles sociétaux et sexospécifiques considérés comme culturellement acceptables pour les hommes peuvent également avoir une influence. On s’attend à ce que les hommes soient forts et cachent leurs sentiments. Les hommes ont été éduqués à ne pas demander de l’aide.

Qui plus est, il y a une stigmatisation associée aux problèmes de santé mentale. De nombreuses personnalités ont tenté de rompre le silence autour de la dépression et du suicide, mais elles sont alors très jeunes ou féminines. Qui s’adresse au père divorcé de deux enfants qui, à l’âge de 55 ans, ne trouve pas de sens à sa vie ?

Au Canada, le suicide a été décriminalisé en 1973 et est alors devenu le point focal d’une politique de santé publique. Toutefois, les batailles entre les provinces et le gouvernement fédéral ont freiné les progrès réalisés dans la création d’une politique nationale de prévention. Puisque la santé est de ressort provincial, le débat sur la prévention du suicide est devenu une question d’ordre constitutionnel.

À cet obstacle s’ajoute la réticence de l’armée canadienne à s’attaquer au problème croissant du suicide chez les vétérans. Anciens Combattants Canada établit actuellement un système pour recueillir, auprès d’organismes extérieurs, des données statistiques sur le suicide chez les anciens combattants, mais un portrait de la situation n’est pas prévu avant la fin de l’année.

Entretemps, Ottawa a publié en décembre 2016 un rapport d’étape sur le cadre fédéral de la prévention du suicide, ayant comme objectifs de réduire l’incidence du suicide et la stigmatisation entourant les problèmes de santé mentale. Les libéraux prévoient lancer une initiative nationale de prévention du suicide avec un service d’écoute 24 heures pour personnes en détresse et fournir un soutien confidentiel sans frais aux personnes, par téléphone, texto et clavardage.

Toutefois, ces stratégies ne comportent pas d’analyse de genre s’adressant aux besoins particuliers des hommes. Elles tiennent souvent compte des aspects culturels et raciaux du suicide (parmi les jeunes autochtones, par exemple, le risque de faire une tentative ou de se suicider est plus élevé), mais font fi des besoins des hommes qui ne répondent pas bien à la thérapie par la parole et qui ne vont pas chercher de l’aide.

Certaines étapes importantes que les gouvernements provinciaux et fédéraux devraient envisager incluent la création d’un registre national pour les hôpitaux afin de suivre les comportements autodestructeurs, notamment l’abus de drogues et d’alcool. De plus, une recherche menée par le groupe de recherche sur la santé mentale de la population du Manitoba a démontré qu’un accès restreint aux moyens létaux, dont les armes et les petits emballages pour médicaments sur ordonnance et en vente libre, décourage les tentatives de suicide.

La crise de la quarantaine chez les hommes devrait habituellement se traduire par des comportements stéréotypés comme envisager l’achat d’une voiture décapotable rouge brillant, le renouvellement de la garde-robe ou encore une greffe de cheveux, mais certainement pas par la mort par suicide. Une approche gouvernementale fondée sur le genre pour prévenir le suicide chez les hommes est absolument nécessaire.

Photo : Shutterstock


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Shannon Sampert
Shannon Sampert a été rédactrice en chef d’EvidenceNetwork.ca et rédactrice de Perspectives and Politics à la Winnipeg Free Press. Récemment retraitée de l’Université de Winnipeg, où elle a enseigné la politique canadienne, elle poursuit des recherches sur les médias et les femmes avec son équipe à l’Université de l’Alberta. Elle vient de lancer son entreprise de conseils médias MediaDiva.ca.  

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