Au cours des dernières décennies, l’évolution du monde, la remise en cause de l’ordre établi, la montée en puissance de la Chine, le terrorisme et la criminalité de plus en plus omniprésente, les grandes crises climatiques dénoncées mais aussi niées suscitent une nouvelle forme d’émotion : un sentiment d’insécurité diffus, confus, permanent. Le Canada et les Canadiens n’en sont pas exempts.
C’est dans ce contexte que se pose la question de la place du Canada sur la scène internationale. Même si nous avons été de toutes les guerres internationales dites justes des 20e et 21e siècles, membre fondateur de la seule grande alliance militaire contemporaine, défenseur acharné du multilatéralisme, parrain de la sécurité humaine et de la responsabilité de protéger, ces dernières années ont vu notre panache décliner au rythme du début d’effondrement des assises du système international et de l’essoufflement de notre imagination.
Mais nous ne sommes pas seuls : avec les échecs des interventions soi-disant humanitaires en Afghanistan, en Irak et particulièrement en Libye, le caractère exemplaire de l’Occident et de ses valeurs est apparu de moins en moins convaincant. À cela s’est ajoutée la crise économique de 2008, qui a eu un impact considérable, tant économique que politique. La popularité du modèle de l’économie de marché en a pris un coup, qui s’avère d’autant plus grand que les deux pays les plus atteints étaient précisément la Chine et la Russie. Cette perturbation les a conduits à transformer le modèle occidental en un système économique dirigiste coiffant une pseudo-économie de marché qui est sous-tendu par un système politique autocratique, auquel se sont ralliés la plupart des pays d’Asie pour qui la Chine est le principal partenaire commercial.
À l’instar des États-Unis de Barack Obama annonçant que le pivot de leur politique sera l’Asie sans vraiment parvenir à établir cette réorientation à cause des bourbiers afghan et irakien, le Canada a prétendu se tourner vers l’Asie sans vraiment y mettre les ressources nécessaires. Torturés par les contraintes et obligations stratégiques de trois océans, quand bien même que ceux-ci lui offriraient une profondeur stratégique dont peu de pays disposent, nos gouvernements se sont entichés à divers degrés de l’Arctique, mais là aussi, sans y mettre l’effort qu’un terrain expéditionnaire exigerait. La Russie, qui puise dans son territoire arctique plus de 20 % de son PIB, y déploie une machine de guerre redoutable. En revanche, nous nous complaisons dans le confort de l’Alliance atlantique que les rodomontades russes nous poussent à cultiver, alors que le Pacifique devient le centre de gravité de la planète.
Surtout après les quatre années folles sous Donald Trump et les prétentions américaines actuelles d’un retour à la normale, la vraie question pour le Canada, c’est la survie du multilatéralisme et des diverses institutions qui le sous-tendent.
En d’autres termes, surtout après les quatre années folles sous Donald Trump et les prétentions américaines actuelles d’un retour à la normale, la vraie question pour le Canada, c’est la survie du multilatéralisme et des diverses institutions qui le sous-tendent. Nous avons vécu l’horreur de la césure américaine qui nous a fait prendre conscience de notre inanité quand les États-Unis nous ignorent ou, pire encore, nous attaquent tant sur le plan des valeurs que des relations commerciales (la réunion du G7 de La Malbaie en 2018 en fut un bel exemple).
L’Accord économique et commercial Canada-Union européenne est une balise stabilisatrice, mais non une vraie rampe de lancement. Le Partenariat transpacifique n’est rien sans l’entrée des États-Unis. Le délitement institutionnel du système multilatéral touche pratiquement toutes les organisations internationales, créées depuis 1945, à commencer par les Nations unies et les mécanismes issus des accords de Bretton Woods dans le domaine économique et financier.
Le récent G7 au Royaume-Uni― réunissant le Canada, les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon, l’Italie, le Royaume-Uni et ses invités ―, la réunion de l’OTAN et le prochain G20 représentent-ils véritablement un retour à une certaine normalité pour le Canada ? Y a-t-il un espoir qu’il puisse lui-même contribuer à l’enchâssement de ce retour, notamment en stimulant la ferveur démocratique dans le monde ? Par exemple, le Canada peut-il jouer un rôle majeur au sein du projet franco-allemand d’Alliance pour le multilatéralisme ?
La réunion du G7 a été assez fondamentale pour ce qui est de l’ère après-Trump. Mais en dépit des expressions de satisfaction devant l’annonce du réengagement américain par le président Joe Biden (« America is back »), l’enthousiasme reste circonspect face aux incertitudes de la politique intérieure américaine. La rencontre a été marquée par un signe de générosité pour ce qui est de l’aide vaccinale internationale. Le Canada s’est joint à l’effort d’engagement financier, mais pas comme chef de file, compte tenu de l’absence de laboratoire pertinent pour un pays frisant les 40 millions d’habitants.
L’accent mis sur une reprise économique partagée a au moins contré les instincts en faveur d’un retranchement individuel du « chacun pour soi ». L’environnement continue à s’accréditer comme l’enjeu mondial par excellence, mais, en dépit des engagements au G7, le Canada reste déchiré entre un présent carbone et un avenir vert par absence de véritable plan stratégique de transition. Il demeure un pôle d’attraction pour les réfugiés que nous traitons certainement mieux que ne le font nos voisins du Sud. Les questions de genre restent « à la mode », mais la mode ne suffit pas. Par ailleurs, les découvertes de tombes d’enfants sur les sites des anciens pensionnats pour Autochtones sabrent la réputation de notre pays.
En revanche, avec la participation des dirigeants des deux tiers de la population mondiale vivant dans des démocraties (en plus des membres du G7, l’Inde, l’Australie, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud), la Déclaration sur les sociétés ouvertes envoyait un signal fort à la Chine et à la Russie. Le Canada s’y retrouvait.
Pour le Canada, la réunion de l’OTAN dans la foulée du G7 a conforté l’importance symbolique de notre pays comme deuxième pays d’Amérique du Nord au sein de l’Alliance. Par contre, sa contribution financière à l’effort de défense reste largement en deçà des attentes des autres pays membres, notamment ceux qui atteignent l’objectif de 2 % du PIB consacrés à la défense. D’ailleurs, c’est au plan financier que le bât canadien blesse. Notre aide extérieure demeure l’une des plus faibles des pays riches. Outre un manque d’imagination en politique étrangère par rapport aux contributions antérieures à la sécurité humaine, à la responsabilité de protéger, au traité sur les mines antipersonnel, à la condamnation des diamants entachés de sang, à la création de la Cour pénale internationale et bien d’autres innovations, les moyens mis à la disposition de notre politique extérieure continuent de faire peau de chagrin.
Les beaux discours ne sont pas des substituts à des investissements réels comme on l’a vu aux Nations unies où nos contributions ont été d’une faiblesse qui est en partie responsable de l’échec de notre candidature à un siège non permanent au Conseil de sécurité. L’appartenance à des instances multilatérales exige des engagements. Quand ceux-ci sont pris au sein d’instances comme le G7, le G20, l’OTAN et bien d’autres, ils doivent être assis sur une vision à long terme et sur des modalités de financement fiables, que reconnaissent tant nos alliés que nos adversaires. Mais il faut aussi une diplomatie inspirée par la confiance qu’on a dans ses représentants. De nos jours, la diplomatie canadienne semble sans âme, sans idées, sans fierté…, surtout sans direction.