Malgré 50 ans de politiques visant à freiner l’étalement urbain et à transformer la banlieue, celle-ci a toujours la cote. Les familles s’y installent ; les personnes âgées désirent y vieillir, que ce soit chez elles ou dans des copropriétés, ou alors dans des résidences offrant des services. La préférence pour l’habitat suburbain entraîne le développement des deuxième, troisième et quatrième couronnes, selon le principe « drive until you qualify » cher à nos voisins du Sud, en raison d’un manque de logements abordables plus proches dans des secteurs centraux. La pandémie semble avoir accéléré ces tendances sans avoir réussi à les infléchir.

La banlieue de Montréal s’étend maintenant à plus de 60 kilomètres au nord du centre-ville (allant jusqu’à Saint-Jérôme) et à plus de 50 kilomètres au sud (comprenant Saint-Jean-sur-Richelieu). Loin de s’essouffler, son développement est quasi continu, peu importe les conditions économiques, les gouvernements successifs ou les préoccupations environnementales de plus en plus nombreuses. L’augmentation de la valeur foncière dans les banlieues proches ne fait qu’accentuer l’étalement urbain.

Toutefois, les banlieues ne sont plus ce qu’elles étaient. Dans les premières couronnes, les familles avec un ou plusieurs enfants ne sont plus majoritaires. On y voit plutôt une grande mixité de ménages : personnes seules, couples sans enfant, couples de retraités, ménages multiples ou intergénérationnels… La diversification est également fonctionnelle. On trouve dans la banlieue 75 % des emplois métropolitains de la région de Montréal. La croissance y est soutenue et supérieure à celle du centre-ville : l’activité économique est notamment stimulée par des pôles commerciaux, des établissements culturels et d’enseignement, et des infrastructures de transport (REM et prolongement du métro).

Si les projets résidentiels des familles la structuraient jadis, la banlieue occupe désormais une place centrale dans l’espace fonctionnel de métropoles comme Montréal. Vues comme des espaces-dortoirs résidentiels au moment de leur création, les banlieues sont aujourd’hui des milieux de vie à part entière. À chaque élection, les partis politiques se disputent leur faveur et n’hésitent pas à s’engager dans leur mise en valeur ou leur développement.

L’accélération du temps de développement

Jusqu’à tout récemment, les temps de développement de la banlieue dans l’espace métropolitain étaient relativement longs. Ils dépendaient des dynamiques démographiques et macroéconomiques, du renouvellement des activités commerciales et industrielles, de l’adaptation des cadres institutionnels et de l’évolution du marché immobilier. Cependant, la pandémie vient de changer la donne en accélérant le mouvement.

En raison du télétravail imposé et généralisé, les ménages envisagent aujourd’hui leurs projets d’habitation à plus court terme. Si les retraités et les gens plus âgés sont portés à mettre en pause leurs plans de déménagement, les ménages plus jeunes, avec ou sans enfant, ont plutôt le comportement inverse et devancent leur projet d’accession à la propriété. La possibilité de s’affranchir des contraintes de mobilité entre le domicile et le travail semble cruciale dans cette décision, mais les conditions difficiles du confinement et les bas taux hypothécaires peuvent également jouer un rôle.

Nous observons que la pandémie a mis entre parenthèses les avantages urbains de proximité et d’urbanité. L’exode vers les banlieues s’est doublé d’un exode vers les régions.

Ces ménages ont donc relativisé la valeur de leur vie dans la métropole. Sans remettre en question leurs choix, pour eux comme pour l’environnement, nous observons que la pandémie a mis entre parenthèses les avantages urbains de proximité et d’urbanité. L’exode vers les banlieues s’est doublé d’un exode vers les régions, comme en témoigne le nombre de transactions immobilières à plus de 100 km du centre-ville, en Montérégie, en Estrie, dans les Laurentides et dans Lanaudière.

Ce questionnement sur l’avantage urbain a accentué plusieurs inégalités sociospatiales qui évoluaient selon des durées beaucoup plus longues. Les ménages mobiles, ceux qui possèdent une résidence secondaire ou qui disposent d’un pouvoir d’achat suffisant pour en acquérir une, ont pu vivre le confinement en périphérie. Les ménages qui sont demeurés confinés en ville ont vécu des expériences diverses, selon l’espace qu’ils pouvaient occuper. Certains, disposant de peu d’endroits privés extérieurs (jardin, balcon), ont cédé à l’attrait de la banlieue. La fermeture des commerces, le couvre-feu, l’interruption de certains services urbains, la pauvreté, l’isolement et l’itinérance ont aussi accentué l’attrait des proches banlieues, comme Longueuil ou Laval. Par contre, les ménages plus pauvres, surtout ceux qui vivent dans des immeubles surpeuplés et dans des quartiers qui manquent de parcs et d’espaces verts (à l’instar de Saint-Michel ou de Montréal-Nord) n’ont pas eu le choix : ils sont restés dans leurs quartiers.

Comment, alors, aborder l’attrait de plus en plus puissant de la banlieue ? Comment revisiter des tendances contre lesquelles les politiques d’aménagement luttent depuis plusieurs décennies ?

L’après-pandémie : une occasion de voir les banlieues autrement

De toute évidence, la banlieue a la cote et il est difficile, tant pour le gouvernement que pour les urbanistes, de se placer en porte-à-faux. Même si le centre-ville de Montréal continue d’être le pôle dominant en matière d’emplois, il partage aujourd’hui ce rôle avec des banlieues — Brossard, Saint-Hubert, Longueuil et Mirabel, entre autres. Les ménages qui s’éloignent du centre-ville pour accéder à la propriété peuvent donc se rapprocher en même temps d’un pôle d’emploi suburbain. Cette situation nous amène à une vision différente de l’aménagement du territoire.

La région de Montréal est toujours vue sous l’angle centre–périphérie, la ville-centre et les banlieues étant présentées de manière antinomique. Or, si l’amélioration du transport collectif au centre-ville de Montréal est une intention louable, on ignore les défis d’accès des autres centres (sub)urbains, ce qui les laisse à la merci de l’automobile. La dernière enquête origine–destination de l’Autorité régionale de transport métropolitain montre qu’entre 2013 et 2018, les déplacements vers les banlieues pour des motifs de travail ont augmenté de 12 % en période de pointe matinale, confirmant donc « l’accentuation du développement économique à l’extérieur de l’île de Montréal ».

À première vue, la stratégie qui consiste à aménager des quartiers en fonction des transports collectifs (transit-oriented development, ou TOD), que préconise le Plan métropolitain d’aménagement et de développement, semble être une solution intéressante. Le développement se ferait alors autour de points d’accès au transport collectif, ce qui réduirait la dépendance à l’automobile. Toutefois, cette stratégie ne considère pas les quartiers TOD comme des points de destination à part entière, tout particulièrement en matière d’emploi ; elle reste enfermée dans l’approche centre–périphérie. Ce type de planification ne convient donc pas à une véritable vision de ce qu’est une métropole.

Il est inutile de continuer à attribuer le mauvais rôle à la banlieue. Une approche de la métropole plus inclusive socialement et géographiquement s’impose.

Il est inutile de continuer à attribuer le mauvais rôle à la banlieue. L’échec manifeste des condamnations réitérées des couronnes depuis sept décennies ne laisse guère le choix : une approche de la métropole plus inclusive socialement et géographiquement s’impose. Il faut trouver les moyens de faire fonctionner de façon optimale, notamment en matière de mobilité spatiale et de configuration fonctionnelle, un environnement urbain dont l’essentiel des caractéristiques physiques (zones de développement, voiries, infrastructures, etc.) de ce qui le composera dans 30 ou 40 ans existe déjà. Dans un contexte de croissance démographique modeste, la marge de manœuvre est mince, et le prix à payer pour les demi-mesures et le laisser-faire est déjà élevé.

De ce point de vue, il faut revoir la densification en cours, qui se fait de manière éparpillée dans les diverses couronnes métropolitaines et dont les avantages sont souvent médiocres au chapitre de la mixité sociale et fonctionnelle ou de la mobilité durable. Il faut corriger le développement actuel autrement qu’en imposant une définition du territoire fondée sur une approche à la pièce et, plus fondamentalement, sur une municipalité à la fois.

Dans la ville d’après-pandémie, la réorganisation des modes de vie semble nous éloigner collectivement d’une vision du territoire métropolitain qui répondait à des défis de mobilité quotidienne présents déjà au siècle dernier. L’émergence de nouvelles manières de vivre nous permet néanmoins de voir sous un nouvel éclairage plusieurs défis, dont celui des rapports entre les personnes et leur milieu, et de concevoir différemment les relations entre les parties constituantes du territoire métropolitain. La pandémie nous a montré avec force des tendances décriées depuis plusieurs décennies et que le Plan métropolitain d’aménagement et de développement envisage d’infléchir sans réelle gouvernance métropolitaine.

Plusieurs des solutions visant à créer un espace métropolitain cohérent et plus performant sur les plans économique, social et environnemental sont déjà connues. Mentionnons la vision et la gestion véritablement métropolitaines de la mobilité collective qu’ont adoptées l’Autorité régionale de transport métropolitain et la CDPQ Infra, la gouvernance municipale métropolitaine cohérente en fonction des espaces d’activités des ménages, et la meilleure prise en compte de la concurrence entre les municipalités pour le développement urbain à la limite des territoires agricoles. Il reste maintenant à trouver l’aplomb nécessaire pour véritablement les mettre en œuvre.

Nous tenons à remercier Gérard Beaudet, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, qui est également coauteur de cet article.

Cet article fait partie du dossier Réinventer nos villes après l’onde de choc de la pandémie.

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Sébastien Lord
Sébastien Lord est professeur agrégé à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la Faculté de l'aménagement de l’Université de Montréal. Il est directeur de l’Observatoire Ivanhoé Cambridge sur le développement urbain et immobilier.
Juan Torres
Juan Torres est professeur agrégé à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la Faculté de l'aménagement de l’Université de Montréal et vice-doyen à la recherche et aux partenariats de la même faculté.
Paula Negron-Poblete
Paula Negron-Poblete est professeure agrégée à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la Faculté de l'aménagement de l’Université de Montréal et vice-doyenne aux affaires académiques de la même faculté.

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