Au plus fort de la pandémie, le Canada a peiné à se procurer suffisamment d’équipements de protection individuelle (EPI) – y compris des ventilateurs et des masques. Ces difficultés ont mis en lumière la dépendance du Canada envers d’autres pays pour certaines fournitures essentielles.

Les pénuries qui en ont découlé ont entraîné des appels à réduire les chaînes d’approvisionnement mondiales pour les EPI et d’autres articles en demande, allant des vaccins aux fauteuils, en passant par toutes sortes de bien de consommation. La logique voulant que si nous fabriquons tous ces produits au Canada, ils seraient plus facilement disponibles au moment opportun.

Si de tels appels devaient être entendus, des files d’attente virtuelles, composées de toutes les entreprises qui espèrent une plus grande protection de leur industrie au nom de l’intérêt national – et de la possibilité d’augmenter leurs profits –, vont se former à la porte du ministre de l’Innovation, de la Science et de l’Industrie.

Le protectionnisme coûte cher

L’idée de mettre en place une politique d’achats exclusifs au Canada pour les produits manufacturés peut sembler séduisante. À long terme, cela va finir par coûter plus cher aux consommateurs canadiens et nuire encore plus à notre économie. Nous avons beaucoup appris des conséquences néfastes du protectionnisme dans d’autres industries, et le Canada ne doit surtout pas mettre en œuvre des politiques aussi malavisées dans de nouveaux secteurs. De plus, une fois ces politiques implantées, il est très difficile d’y mettre fin .

As global protectionism grows, Canada must look for new ways to operate

Trade is among the casualties in the COVID-19 pandemic

L’économie du Canada est déjà caractérisée par d’importants niveaux de protectionnisme. Des études provenant d’un large éventail de sources, incluant la Banque du Canada, ont montré les coûts importants que des mesures protectionnistes font subir à l’économie.

Le résultat final est souvent des prix plus élevés, qui sont ensuite transférés aux consommateurs par des entreprises appartenant à des secteurs protégés. Il suffit de penser aux télécommunications, aux banques, au transport aérien et à la gestion de l’offre dans le secteur agricole, qui font l’objet d’importantes restrictions à la concurrence étrangère. Les mesures protectionnistes dans ces industries ont entraîné une offre plus restreinte, une variété réduite de produits et services, et des prix nettement plus élevés.

Ces restrictions ralentissent également la croissance de la productivité, freinant notre économie. Puisque ces industries fournissent des services essentiels à pratiquement toutes les entreprises opérant au Canada, lorsqu’elles ne fonctionnent pas efficacement, ces problèmes sont amplifiés dans toute l’économie du pays.

Et puisque la concurrence est artificiellement limitée, les entreprises d’autres industries qui ont besoin de ces produits essentiels doivent donc s’approvisionner auprès d’une gamme limitée de producteurs nationaux, qui demandent des prix plus élevés, et offrent une qualité, une variété et une sophistication moindres.

Ces restrictions freinent la productivité et l’innovation, diminuent l’emploi au Canada et limitent la capacité des entreprises canadiennes à soutenir la concurrence internationale. Et elles coûtent cher. Les recherches menées à la Rotman School of Management montrent que de telles barrières pour les produits étrangers coûtent à l’économie canadienne 10 milliards de dollars chaque année.

Dans le cas des EPI en particulier, l’utilisation d’un instrument aussi grossier que le protectionnisme est une erreur. Exiger que la production ait lieu au Canada entraînera des coûts importants pour un événement relativement rare. Le comportement économique dicte que, sans restrictions, les institutions et les individus canadiens achèteront des masques et d’autres produits similaires aux prix les plus bas disponibles sur le marché, en contrôlant bien sûr pour la qualité.

Dans ce domaine, l’avantage comparatif de firmes étrangères fait en sorte que les entreprises canadiennes et américaines ne peuvent concurrencer les produits importés.

Par exemple, des données américaines montrent que le coût des importations d’équipements de protection est nettement inférieur à celui des équipements fabriqués dans le pays. Si les Canadiens n’achètent que des masques fabriqués au pays, ils finiront par payer plus cher. Lorsqu’on pense aux immenses quantités d’équipement de protection utilisé chaque jour au Canada, cela représenterait des dizaines de milliards de dollars pour les entreprises et les consommateurs.

Pour mettre en œuvre une politique favorisant l’achat local d’équipements de protection, le gouvernement fédéral devrait taxer les importations, imposer des quotas ou, dans certains cas, carrément restreindre les importations. Autrement dit, Ottawa devrait forcer les Canadiens à acheter des produits fabriqués au Canada. Les fabricants en place récolteraient alors les bénéfices aux dépens des consommateurs canadiens, et une industrie de plus serait à l’abri de la concurrence.

Pour des chaînes d’approvisionnement vraiment résilientes

Au lieu d’élaborer des politiques aussi néfastes pour l’économie, il serait préférable de penser de manière plus stratégique en développant des chaînes d’approvisionnement vraiment résilientes.

La résilience est la capacité à se remettre rapidement des difficultés. Et on peut en effet soutenir que les chaînes d’approvisionnement des entreprises canadiennes ont bien résisté au choc pandémique. En quelques mois, des manufacturiers situés au Canada ont reconverti leurs sites de production pour fabriquer des produits dont nous avions grandement besoin, et ont fourni des EPI aux établissements de santé du pays. La question devrait donc plutôt être : peut-on faire mieux dans une situation semblable ? Oui, et sur deux aspects en particulier.

Secure Canada’s critical drug supply with domestic manufacturing

Is this Canada’s last chance to revive manufacturing and long-term prosperity?

Premièrement, la résilience nécessite une flexibilité intégrée aux processus de production, qui permettra aux fabricants de se réorienter rapidement et efficacement en cas de crise. Les gouvernements devraient travailler avec les fabricants pour élaborer des plans d’urgence afin de reconvertir leurs installations dans ces rares moments d’urgence nationale. La mise en place de ces plans permettra une réorganisation plus fluide, plus rapide et bien plus efficiente.

Deuxièmement, les gouvernements pourraient constituer des réserves de produits jugés essentiels. Ces réserves doivent être suffisantes pour couvrir le temps nécessaire à la réorientation de la fabrication ou à l’identification de nouveaux fournisseurs. De plus, en s’approvisionnant pour constituer ces réserves, les gouvernements ne devraient pas favoriser les entreprises canadiennes, mais chercher plutôt à combiner la meilleure valeur disponible sur le marché et la diversification des fournisseurs. Bien qu’une telle diversification n’aurait pas résolu toutes les pénuries causées par la COVID, elle aidera certainement à surmonter des défis futurs.

Nous devons miser sur la résilience dont les Canadiens et l’économie du pays ont fait preuve au cours des 18 derniers mois, et non imposer des mesures protectionnistes. Si le gouvernement veut que l’économie canadienne soit mieux préparée pour faire face à la prochaine crise, il devrait favoriser le développement de chaînes d’approvisionnement véritablement résilientes. Elles doivent pour cela arriver à s’adapter lorsqu’elles sont touchées de façon imprévue.

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Bernardo Blum
Bernardo Blum est directeur de l’Institute for International Business et professeur d’analyse et de politique économique à la Rotman School of Management.
Walid Hejazi
Walid Hejazi est professeur associé d’analyse et de politique économique, de même que fellow au Michael Lee-Chin Family Institute for Corporate Citizenship à la Rotman School of Management.

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