La double menace du protectionnisme et du relâchement de la vigilance politique sont parmi les plus grands risques auxquels s’exposent les économies canadienne, américaine et mondiale dans les années à venir. Elle découle en grande partie des craintes suscitées par le choc massif provoqué par l’essor des économies du Sud asiatique sur l’économie mondiale et un contexte politique qui donne des orientations incertaines au sujet de la politique future.

Il est utile, sur cette toile de fond, d’analyser les grandes leçons tirées de la performance de l’économie canadienne après l’adoption de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE) en 1989 et de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994. Peu de pays ont donné un exemple plus brillant que le Canada de comment s’adapter pour prospérer dans un marché libéralisé. Les critiques les plus mordantes de ces accords ont alimenté des craintes qui ont fini par être réfutées. Non seulement la vie a continué pour l’économie canadienne, mais les Canadiens ont aussi prospéré.

Il n’est même pas nécessaire de démontrer que tout cela était attribuable à l’ALE et à l’ALENA  » ce qui serait sûrement un peu exagéré. Après tout, de multiples influences concurentes se sont exercées pendant cette période  » notamment la récession au Canada et aux États-Unis au début des années 1990 et l’accroissement des forces de la mondialisation, pour n’en citer que deux. Il nous suffit de démontrer que les craintes les plus extrêmes ne se sont pas matérialisées. En outre, s’il y a certes eu des irritants dans des secteurs particuliers, autour de la question du bois d’œuvre par exemple, ou lors de la crise de la maladie de la vache folle (ESB), il faut considérer le tableau d’ensemble pour évaluer le succès global de l’ALE et de l’ALENA.

Des appréhensions du même ordre ressurgissent souvent dans les discussions actuelles autour de l’impact de la montée de l’Asie du Sud sur les entreprises canadiennes et américaines. Sous le double coup de l’essor économique de cette région et des craintes pour la sécurité provoquées par les attentats du 11 septembre 2001, les décideurs politiques américains et canadiens risquent d’éviter tout resserrement des liens avec le reste du monde, et la poursuite des réformes politiques à l’échelle mondiale et nationale resterait en plan. En particulier, les craintes en matière de sécurité aux États-Unis ont ajouté une nouvelle dimension qui se traduit par une ligne de partage floue entre le souci de sécurité et la création d’entraves à la libre circulation des capitaux, biens et services et de la main-d’œuvre.

Mais certains indices signalent qu’une poursuite des réformes politiques est nécessaire. Par exemple, même à l’intérieur de leurs propres frontières, les Canadiens n’ont pas encore réussi à assurer la pleine circulation des biens, des services, des capitaux et de la main-d’œuvre, ni à uniformiser la réglementation dans certains secteurs clés. À plus grande échelle, les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre de la conférence de Doha butent sur l’incapacité du monde industrialisé de briser l’impasse autour des subventions agricoles et sur la tendance des marchés émergents à protéger certains secteurs, comme les banques et les télécommunications.

Il faut reconnaître aux gouvernements du Canada le mérite d’un revirement radical de la situation au chapitre de l’inflation et du déficit budgétaire afin d’instaurer un environnement macroéconomique plus ordonné pour le commerce et l’industrie.

Il faut reconnaître aux gouvernements du Canada le mérite d’un revirement radical de la situation au chapitre de l’inflation et du déficit budgétaire afin d’instaurer un environnement macroéconomique plus ordonné pour le commerce et l’industrie. Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment réduire les obstacles à la compétitivité, tels des formes d’imposition des entreprises élevées et inappropriées, le manque d’infrastructures, des frontières mal intégrées, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la protection des droits de propriété intellectuelle.

Le message dominant dans le contexte politique nord-américain des prochaines années reste que les efforts visant à empêcher la libéralisation du commerce international ne serviraient pas grand monde. Et les Canadiens sont particulièrement bien placés pour le savoir.

L’Accord de libre-échange Canada-États-Unis a été un enjeu farouchement débattu lors des élections fédérales canadiennes de 1988. Puis, le projet d’accord de libre-échange nord-américain entre le Canada, les États-Unis et le Mexique a suscité un sentiment de déjà-vu lors de celles de 1993. L’histoire a depuis eu raison de certaines des craintes les plus exagérées, notamment celles de l’assèchement de nos lacs et de nos rivières pour assouvir les besoins d’eau des États-Unis, de la perte de notre identité culturelle et de l’impossibilité d’avoir des politiques intérieures et étrangères indépendantes. De plus, huit grands mythes soulevés à l’époque éclatent carrément sous la loupe de l’analyse économique.

Premier mythe, l’exode de la production vers le Sud : Lors des pourparlers sur l’ALE, un des arguments souvent avancés était que, le Canada étant un petit marché, la seule raison motivant une entreprise mondiale à s’y installer était de contourner les barrières commerciales comme les tarifs douaniers, les restrictions volontaires à l’exportation et les quotas d’importation, en produisant sur place des produits destinés à ce marché. En corollaire, on craignait que l’élimination de ces barrières ne provoque un reflux de la production au Sud, où il aurait suffi aux sociétés américaines d’augmenter un peu leurs cadences pour exporter sur un marché qui n’équivaut qu’à un onzième du leur.

En fait, comme le graphique 1 l’illustre, cela ne s’est pas produit. Au cours des 12 dernières années, l’économie canadienne a surpassé celle des États-Unis la moitié du temps et l’a devancée pendant quatre années de suite de 1999 à 2002. Cela démontre une capacité d’expansion de la production de biens et de services au moins égale entre le Canada et les États-Unis. Même le secteur canadien de la fabrication, en difficulté, a su braver la tempête avec des résultats semblables à ceux des fabricants américains si on le considère en proportion de l’économie (graphique 2) et l’emploi manufacturier en proportion de l’emploi total (graphique 3). Pendant cette période, l’emploi et la production dans le secteur des services ont pris le relais dans les deux pays. En fait, d’autres preuves ont démontré que le Canada reste un bénéficiaire net de l’importation d’outre-mer et de l’exportation outre-mer des activités, alors que cela demeure davantage une pomme de discorde aux États-Unis. Cela démontre que, lorsqu’on élimine ou diminue les barrières commerciales, l’activité économique ne consiste pas simplement à se partager un gâteau aux dimensions fixes où les gains d’un pays se font au détriment d’un autre. En fait, les accords commerciaux donnent à chaque pays la liberté de se concentrer sur les secteurs dans lesquels il est le plus performant.

Deuxième mythe, l’évaporation des exportations : À la crainte de l’exode de la production se greffait directement celle d’une forte contraction des exportations du Canada et d’une crise possible de la balance des paiements. Les graphiques 4a et 4b dissipent largement cette crainte. Après l’ALE et l’ALENA, les exportations sont devenues une source puissante et nécessaire de croissance, alors que le marché intérieur piétinait au début des années 1990. En raison de la place de la fabrication dans leurs économies respectives et de leur proximité des États-Unis, l’Ontario et le Québec ont été les premières provinces à bénéficier de la libéralisation du commerce dans les années 1990, mais dans la décennie qui a suivi, toutes les autres provinces ont pris le train en marche.

On a constaté une poussée de toute l’activité du commerce international de toutes les marchandises au Canada, à la fois à l’importation et à l’exportation, après la signature de l’ALE, en 1989, et une nouvelle accélération du commerce international à la suite de la signature de l’ALENA, en 1994 (voir les graphiques 4a à 4d). Le ralentissement récent des exportations est probablement la preuve que le

Canada a pratiquement entièrement exploité l’impact initial de cette expansion du marché de ses biens, alors que les forces cycliques d’un dollar canadien plus élevé exercent une influence plus grande. Cependant, le Mexique subit actuellement beaucoup plus directement que le Canada ou les États-Unis la réalité de l’essor des pays de l’Asie du Sud, puisqu’il perd le privilège d’être le premier choix pour les marchandises produites en masse et à faible marge nécessitant des coûts de main-d’œuvre peu élevés.

S’il est clair que les échanges internationaux ont augmenté, il est néanmoins important de reconnaître l’effet potentiel du double comptage dans les statistiques du commerce international. En raison de la spécialisation de la production, divers produits intermédiaires peuvent en effet faire des allers-retours de part et d’autre de la frontière avant de devenir des produits finis. Ainsi, les chiffres des exportations canadiennes peuvent être gonflés par ce double comptage. Cependant, les études qui ont essayé de mesurer cet impact ont quand même constaté une solide croissance de l’activité d’exportation nette dans de nombreux secteurs.

Troisième mythe, pourquoi investir au Canada? Si l’on craignait pour la production et les exportations, pourquoi allait-on investir au Canada plutôt que directement dans le marché américain? Les deux premiers mythes ayant éclaté, le rejet de ce troisième va de soi. Même si les entreprises n’avaient plus besoin d’être implantées au Canada pour combler la demande de ce pays, l’investissement étranger direct (IED) en biens d’équipement, usines et matériel, a continué d’affluer, confirmant la capacité du Canada d’attirer et de retenir les investissements étrangers. Alors que les IED en proportion du PIB stagnaient pratiquement à 20 p. 100 avant la signature de l’ALENA, les graphiques 5 et 6 révèlent que, depuis, ces injections de capitaux au Canada ont grimpé à 32 p. 100. Une croissance économique forte, une demande intérieure favorable, des coûts de main-d’œuvre directs et indirects concurrentiels et un climat d’investissement favorable ont continué d’attirer les investisseurs au Canada. L’aptitude du pays à retenir ces investissements malgré une concurrence internationale accrue témoigne de sa capacité de livrer concurrence sur un marché ouvert, sans protection.

Quatrième mythe, un huard fort serait politiquement nécessaire : Un dollar canadien fort par rapport au dollar américain, ce n’est pas nouveau pour les entreprises. En 1991 déjà, le dollar avait culminé à 89 cents US, même s’il a fait un tour de montagnes russes par la suite. À l’époque, on prétendait qu’une des conditions tacites pour que les États-Unis libéralisent le commerce avec le Canada était que les autorités monétaires canadiennes maintiennent une devise forte afin de réduire la compétitivité des exportations du pays.

Si c’était vrai — et il n’existe aucune raison connue crédible de le croire —, on a souvent raillé la réalisation de cette politique pour son ineptie. Il n’a pas fallu longtemps pour que, après avoir culminé, la devise plonge pendant toute une décennie, descendant jusqu’à 62 cents US en février 2002. En fait, preuve de la malléabilité de cet argument, certains commentateurs américains ont souvent affirmé que le gouvernement du Canada pratiquait une politique du dollar plus faible pour stimuler les exportations. La devise allait ensuite remonter en flèche, presque à parité aujourd’hui.

Il n’y a aucun doute, à notre avis, que c’est sous l’effet des forces du marché que le dollar canadien a évolué de la sorte. Autant les économistes que les grands argentiers connaissent parfaitement la futilité de toute tentative de réguler les taux dans des régimes de libre fluctuation des changes, à long terme. Les prix des matières premières, l’écart des taux d’intérêt, la domination du dollar US sur toutes les autres grandes devises pendant la bulle d’investissement des États-Unis et les politiques budgétaires relatives étaient les facteurs fondamentaux les plus forts des oscillations du dollar canadien pendant cette période.

Cinquième mythe, le tarissement de l’emploi : Les craintes canadiennes pour l’emploi suscitées lors du débat autour de l’ALE ont trouvé un écho aux États-Unis pendant la discussion autour de l’ALENA. À la crainte que cesse la production, tel qu’on le craignait du côté canadien, s’ajoutait l’annonce d’une vague massive de pertes d’emplois permanents. En outre, les salaires étant plus bas au Mexique qu’au Canada et aux États-Unis, on supputait qu’après la signature de l’ALENA, beaucoup d’emplois seraient délocalisés du Canada et des États-Unis au Mexique et que cela aurait un effet de compression sur les salaires. Cette idée n’a jamais été exprimée plus clairement que dans les propos du candidat à l’élection présidentielle américaine de l’époque, Ross Perot, qui disait que les États-Unis entendraient un « énorme bruit d’aspiration » provenant du sud de la frontière américaine alors que les sociétés s’expatrieraient en quête de main-d’œuvre meilleur marché.

L’histoire démontre que ces craintes étaient infondées, comme l’illustre le graphique 7. Certes, certains secteurs se sont enrichis alors que d’autres se sont appauvris. Par exemple, des études démontrent que la baisse des tarifs douaniers canadiens a accéléré la disparition d’entreprises à faible productivité, avec les emplois correspondants. Néanmoins, le bilan net est très largement positif. Les États-Unis ont connu une vague sans précédent de création d’emplois qui a fait descendre leur taux de chômage aux niveaux les plus bas d’après-guerre au cours de la dernière décennie. Au Canada, l’évolution a été semblable ; le taux de chômage y est descendu au plus bas en 32 ans. Cela laisse penser que d’autres facteurs positifs affectant le marché du travail, comme la mutation vers les services et la grande demande de travailleurs qualifiés, ont largement contrebalancé les effets négatifs de la réduction des entraves au commerce international. La demande soutenue de travailleurs mieux formés a même provoqué une pénurie de main-d’œuvre qualifiée ces dernières années, faisant monter les salaires pour les consommateurs et émoussant le caractère concurrentiel des entreprises.

Sixième mythe, le Canada est à vendre : Le débat autour de l’ALE était en grande partie centré sur l’élimination des restrictions à la propriété étrangère. On craignait alors que les sociétés américaines ne fassent main basse sur leurs contreparties canadiennes abordables, détournant les profits et les intérêts hors du Canada. Cependant, une analyse des opérations de fusion et d’acquisition au Canada révèle un tableau fort différent, malgré les manchettes des journaux qui ne portaient que sur les mégafusions. En toute équité, il n’est pas possible de réfuter entièrement ces craintes, puisque beaucoup de nos plus grandes sociétés sont tombées entre les mains d’étrangers, particulièrement ces deux dernières années. Mais l’activisme des petites et moyennes entreprises a rétabli l’équilibre général.

Si l’on considère le nombre global de fusions et d’acquisitions depuis que l’ALENA est entré en vigueur en 1994, on constate que plus de sociétés étrangères ont été achetées par des Canadiens que de sociétés canadiennes l’ont été par des étrangers.

Si l’on considère le nombre global de fusions et d’acquisitions depuis que l’ALENA est entré en vigueur en 1994, on constate que plus de sociétés étrangères ont été achetées par des Canadiens que de sociétés canadiennes l’ont été par des étrangers. Cela se vérifie que l’on considère toutes les sociétés étrangères ensemble ou seulement les opérations impliquant des entreprises américaines (graphique 8). Dans les deux cas, les acquisitions étaient plus souvent le fait de sociétés canadiennes, et la tendance s’est largement accentuée depuis la signature de l’ALENA.

Pour avoir une idée de la taille des sociétés en cause, il est utile aussi d’examiner l’ampleur de ces opérations en termes monétaires. Comme le Canada a tendance à avoir plus de petites entreprises, il est probable qu’une grande partie des activités de fusion et d’acquisition soit concentrée sur ces sociétés-là. Lorsqu’on considère l’orientation des opérations entre le Canada et toutes les sociétés étrangères, le bilan net des transactions en dollars marque un exode du Canada au cours des deux dernières années, mais il est positif pour 2007 au milieu de l’année (graphique 9).

Si l’on considère uniquement les sociétés américaines, cependant, même s’il y a eu plus de fluctuations, le solde net révèle que, monétairement, le bilan a été positif pour le Canada entre 1994 et 2006. Jusqu’à présent, 2007 a été l’exception, quoique très importante, largement attribuable à une poignée de très grosses opérations impliquant des acquéreurs des États-Unis, notamment des sociétés de capital-investissement qui ont augmenté leur activité de manière exponentielle ces dernières années. Néanmoins, les preuves à long terme corroborent l’argument selon lequel le Canada a résisté à la transformation de son économie en succursale des États-Unis et qu’il a lui-même acheté très activement des sociétés étrangères. Et clairement, le retournement du bilan net des opérations avec des pays étrangers non américains ces trois dernières années n’est cependant pas relié à l’ALE ou à l’ALENA.

Septième mythe, la restructuration forcée des entreprises canadiennes : L’ALENA a peut-être contribué à amplifier les forces du marché, mais il a surtout accéléré une refonte nécessaire du commerce et de l’industrie canadiens. Comme d’autres recherches réalisées en 2006 par la RBC l’expliquent plus en détail, les années 1990 ont été caractérisées par une forte multiplication des petites entreprises au Canada, alors que cette décennie-ci semble être celle d’une maturation caractérisée par une phase de croissance plus puissante. Des orces de destruction créative sont à l’œuvre dans l’économie canadienne.

Comme le graphique 14 le montre, l’augmentation de la productivité des microentreprises, petites entreprises et entreprises moyennes dépasse maintenant celle des grandes sociétés et elle découle en partie d’un ralentissement du rythme de création de nouvelles entreprises accompagné d’une croissance des effectifs, d’un rééquipement et d’améliorations de l’efficacité. Cela représente une maturation ouvrant un nouveau cycle de croissance à partir des bases jetées pendant la vague de démarrages d’entreprises des années 1990, même si le dérapage des grandes entreprises représente un risque.

Huitième mythe, la diminution de l’assiette fiscale canadienne : Puisqu’on s’attendait à ce que la production, les exportations, l’investissement étranger direct et les emplois refluent au sud de la frontière, on craignait pour la situation financière du Canada. Sur ce plan, le Canada était effectivement acculé au pied du mur au milieu des années 1990, mais cela traduisait des forces en jeu bien avant l’avènement du libre-échange. Le plus remarquable est le renversement de tendance marqué depuis le milieu des années 1990, puisque le gouvernement fédéral a présenté une longue série d’excédents budgétaires consécutifs.

Au Canada, le ratio de la dette fédérale au PIB est descendu en dessous de celui des États-Unis en 2003-2004 pour la première fois en 25 ans. La dette étrangère nette du Canada en proportion de l’économie est passée de plus de 40 p. 100 au milieu des années 1990 à environ un quart aujourd’hui. Ces vastes améliorations budgétaires ont renforcé notre crédibilité financière internationale et prouvé que notre assiette fiscale demeure un soutien solide pour l’économie canadienne. Le Canada fait l’envie de beaucoup d’autres pays ; c’est le seul pays du G7 à afficher un excédent, sur une base consolidée, tous paliers de gouvernement confondus (graphique 10), et il est actuellement le seul pays du G7 qui ait dégagé un excédent au cours de chacune des trois dernières années.

Malgré des progrès louables dans sa façon de relever les défis du libre-échange, certains indices restent mitigés et appellent des politiques complémentaires qui débrideraient le potentiel d’un commerce plus libre au Canada.

Le sous-investissment : Le Canada a toujours eu tendance à investir moins en machines et matériel que les États-Unis, et peu de choses indiquent que cela a changé. Toutes proportions gardées, les investissements en biens d’équipement au Canada ont eu tendance à être inférieurs à ceux des États-Unis (graphique 11), et ce, malgré une convergence de facteurs qui devrait soutenir des investissements beaucoup plus forts qu’outre-frontière. La montée du dollar canadien, les trésoreries records des sociétés du Canada qui dépassent les besoins d’une prévoyance raisonnable, les faibles ratios dette/capitaux propres et l’excellente couverture des intérêts apportent un soutien sous forme de bilans sains dans beaucoup de secteurs.

La productivité : Alors que les petites et moyennes entreprises du Canada réussissent à orchestrer une vague de destruction créative, les grandes prennent du retard. La croissance annuelle composée de la productivité de la main-d’œuvre dans les établissements employant plus de 500 travailleurs se situe à 0,5 p. 100 par an à peine depuis le début de la décennie. La croissance plus forte de la productivité des PME a permis aux entreprises plus petites de talonner les grands producteurs.

Investissement étranger direct : Le Canada a connu une recrudescence du rythme de l’investissement étranger direct par rapport à la taille de son économie après la signature de l’ALENA ; mais nous n’avons pas soutenu le rythme de l’expansion mondiale généralisée de ce type d’investissements. Des forces dépassant l’ALENA, comme l’émergence de la Chine, ont amené des sociétés du monde entier à investir davantage à l’étranger, et le fait demeure que la part canadienne des IED mondiaux continue de baisser, quoiqu’à un rythme plus lent, ce qui révèle que nous avons su maintenir une relative stabilité par rapport au total mondial ces dernières années, après les fortes détériorations des années antérieures.

Malgré les réalisations de l’économie canadienne, les autorités politiques ne peuvent pas rester inactifs et croire qu’ils ont donné aux entreprises tout ce qu’il leur fallait pour dégager toute la prospérité que leur permettait la libéralisation du commerce extérieur.

L’imposition des sociétés : Le Canada a actuellement le cinquième taux effectif marginal d’imposition sur le capital le plus élevé des 36 premiers pays industriels et en développement étudiés selon un rapport récent de l’Institut C.D. Howe. Cela traduit les désincitations fiscales à investir par l’addition des impôts sur le bénéfice des sociétés, des taxes de vente sur les achats de biens d’immobilisations qui représentent une double imposition lorsque les bénéfices sont ensuite à nouveau imposés, et de l’impôt sur le capital des grandes sociétés.

Les impôts sur le capital sont particulièrement désavantageux parce qu’ils représentent aussi une double imposition des sociétés une fois que celles-ci ont déjà payé les impôts sur leurs bénéfices. Les impôts sur le capital ne sont pas non plus sensibles au profit. Ils ne représentent cependant qu’une petite partie d’un problème plus vaste de compétitivité fiscale, particulièrement en Ontario qui, si elle était un pays, occuperait avec son fardeau fiscal la tête du palmarès international au détriment de sa compétitivité (graphique 13). En outre, le recours croissant à des prélèvements non liés au bénéfice, notamment les impôts fonciers des sociétés qui montent en flèche au niveau municipal, constitue un facteur décourageant l’investissement.

Les frontières : Comme plus d’un milliard de dollars de biens traversent la frontière canado-américaine chaque jour, l’économie canadienne a un besoin crucial de frontières fiables et efficaces. Mais les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont déclenché un important signal d’alarme qui a fait ressortir la vulnérabilité du Canada à la porosité des frontières. Depuis, l’augmentation de la vigilance combinée à une infrastructure et à une dotation en personnel aux frontières inadéquates a accentué l’engorgement et perturbe les déplacements transfrontaliers. De plus, la gestion des stocks à flux tendu laisse peu de marge de tolérance dans tous les secteurs pour des retards de production. Le Canada doit prendre davantage de mesures, y compris la concentration sur l’amélioration de son infrastructure, la création d’autres sites d’accès à la frontière et le perfectionnement des programmes comme FAST et NEXUS qui sont centrés sur le prédédouanement.

Le prochain défi sera la date butoir qui approche de l’Initiative relative aux voyages en hémisphère occidental (IVHO). L’IVHO exigera que quiconque entre aux États-Unis possède un passeport ou un titre de voyage autorisé. Alors que seulement 40 p. 100 des Canadiens détiennent actuellement un passeport, le gouvernement doit assurer un accès facile et peu coûteux.

Poursuivre la libéralisation du commerce : Le commerce intérieur et les barrières réglementaires canadiennes empêchent la nécessaire mobilité qui permet une utilisation efficace des ressources et de la main-d’œuvre. Des mesures ont été prises pour réduire ces obstacles. Le nouvel accord sur le commerce, l’investissement et la mobilité de la main-d’œuvre de la Colombie-Britannique et de l’Alberta en est un exemple. Même si certains détails prêtant à controverse n’ont pas encore été réglés, l’objectif de l’accord est d’aider à rationaliser beaucoup de fonctions opérationnelles dans ces régions tout en assurant une circulation plus libre des biens, des services et des investissements entre les deux provinces. Les gouvernements de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario ont récemment aussi étudié les avantages d’une adhésion à l’accord C.-B.-Alberta, ce qui marque un pas crucial et apprécié dans la bonne direction.

Il reste beaucoup à faire cependant, notamment pour progresser vers une diminution des entraves à la propriété qui affectent plusieurs branches industrielles canadiennes. Selon l’OCDE, le Canada est un des premiers pays en ce qui concerne les restrictions à l’investissement étranger direct, sur la base de divers indicateurs, ce qui concorde avec la baisse relative du pouvoir d’attraction des IED mondiaux.

Selon l’OCDE, le Canada est un des premiers pays en ce qui concerne les restrictions à l’investissement étranger direct, sur la base de divers indicateurs, ce qui concorde avec la baisse relative du pouvoir d’attraction des IED mondiaux.

Au-delà des problèmes du commerce international canadien, il faut souligner aussi les pourparlers de l’OMC dans le cadre de la ronde de Doha qui sont en suspens au moins jusqu’à après l’élection présidentielle américaine de 2008 et même jusqu’à la fin de la décennie.

L’investissement en infrastructures : Malgré certains signes encourageants récemment, le Canada reste aux prises avec des déficits d’infrastructure. Comparativement aux villes américaines, les villes canadiennes consacrent des budgets beaucoup moins importants aux infrastructures, si bien qu’il est difficile de répartir du personnel ou des biens dans les villes et les régions environnantes. La difficulté tient en partie au fait que les villes ont une capacité limitée de mobiliser des fonds, ce qui nécessite un débat plus complet sur les options de financement municipales et les partenariats privé-public.

La main-d’œuvre qualifiée : Le Canada manque de plus en plus de main-d’œuvre qualifiée. Cette pénurie représente déjà une contrainte pour certains secteurs, et elle deviendra une source de difficultés encore plus grande dans les années à venir en raison du vieillissement de la population et du faible taux de natalité du pays. Pour cette raison, nous avons expliqué dans l’Avantage de la diversité (2005) que le Canada doit augmenter le nombre d’immigrants qu’il accueille présentement, soit 250 000 personnes, à 400 000. Le bilan du Canada est déjà un des meilleurs au monde, mais il peut faire mieux par ses politiques pour intégrer les immigrants.

Droits de propriété intellectuelle et droit contractuel : Enfin, à notre avis, les gouvernements canadien et américain doivent aussi se pencher sur la question du manque d’uniformité à l’échelle mondiale du droit contractuel et du droit de la protection de la propriété intellectuelle. Il n’est pas possible d’avoir un commerce entièrement libre sans une acception partagée des paramètres de base.

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