Alors que les demandes d’admission affluent dans les universités, une question se pose : les études supérieures sont-elles toujours un investissement avantageux ? Avec des coûts en hausse et un marché du travail en évolution, le jeu en vaut-il encore la chandelle ?

Une étude récente de l’Institut du Québec a examiné l’évolution de l’avantage salarial lié aux études dans le contexte des pénuries de main-d’œuvre observées entre 2017 et 2023. La recherche visait particulièrement à comprendre si ces pénuries, en créant une pression à la hausse sur les salaires des emplois moins qualifiés, ont pu décourager la poursuite des études.

L’analyse s’est concentrée sur les travailleurs québécois âgés de 40 à 49 ans. Nous avons choisi ce groupe d’âge, car il permet d’analyser des carrières établies, minimise les effets temporaires pouvant influencer les salaires en début de carrière et capture l’effet de l’expérience professionnelle.

Un écart salarial en déclin

L’analyse des données révèle que l’avantage salarial lié aux études postsecondaires, bien que toujours significatif, s’est considérablement réduit. Chez les travailleurs de 40-49 ans, l’écart de salaire entre les diplômés universitaires et les détenteurs d’un diplôme d’études secondaires est passé de 81% en 2017 à 60% en 2023. Cette diminution est encore plus marquée chez les hommes, où l’avantage a chuté de 81% à 55%.

Cette érosion de l’avantage salarial s’explique principalement par la croissance plus rapide des salaires des travailleurs moins scolarisés. Entre 2017 et 2023, le salaire ajusté pour l’inflation des détenteurs d’un diplôme d’études secondaires ou moins a augmenté de 10%, tandis que celui des diplômés universitaires a diminué de 3%.

Les pénuries de main-d’œuvre en cause

D’importantes pénuries de main-d’œuvre entre 2017 et 2023 ont marqué cette période, créant une forte concurrence entre le marché du travail et la poursuite des études. Cette situation a engendré une multiplication des occasions d’emploi et une hausse significative des salaires, particulièrement pour les postes requérant peu de qualifications.

Ainsi, la forte demande pour des travailleurs peu qualifiés (+7 % entre 2017 et 2023), conjuguée à une offre en baisse (-3%), a exercé une pression à la hausse sur les salaires.

La politique d’augmentation du salaire minimum au Québec a également joué un rôle, avec une hausse de 40% depuis 2017, comparativement à 34% pour le salaire horaire moyen.

Par ailleurs, les pénuries de main-d’œuvre ont favorisé une plus grande mobilité professionnelle : la proportion de travailleurs qui occupent un poste requérant un diplôme postsecondaire et qui n’en détiennent pas est passée de 28% à 33% entre 2017 et 2023.

La demande de travail dans l’industrie de la construction, entre autres, a exacerbé ce phénomène, en employant 17 % des hommes âgés de 40 à 49 ans détenant un diplôme d’études secondaires ou moins. Des salaires bien au-dessus de la moyenne québécoise pour ce niveau de qualification ont pu dissuader certains jeunes, surtout des garçons, de prolonger leurs études, l’avantage financier s’étant réduit.

Une tendance qui pourrait s’inverser

Malgré ce contexte, plusieurs indicateurs suggèrent que cette situation pourrait être temporaire. Le ralentissement économique a réduit la demande pour les emplois peu qualifiés (-5% entre 2023 et 2024), tandis que l’offre s’est accrue de 3% avec l’arrivée massive de travailleurs temporaires.

De plus, les avantages à long terme des études postsecondaires demeurent solides. Les diplômés universitaires voient leur avantage salarial passer de 25 % en début de carrière à 71 % entre 45 et 49 ans. Ils sont également mieux outillés pour saisir les opportunités liées aux innovations technologiques et résister aux contrecoups économiques.

Les pénuries de main-d’œuvre ont donc créé des conditions qui ont temporairement réduit l’attrait financier des études postsecondaires. Toutefois, cette situation ne remet pas en question la valeur fondamentale de l’éducation supérieure, tant pour le développement individuel que pour la prospérité collective du Québec.

Le Québec affiche un retard de diplomation

À ce titre, le niveau de scolarité au Québec a fait des progrès notables dans les dernières années. La proportion de travailleurs sans diplôme âgés de 40 à 49 ans a fondu de moitié en passant de 15% en 2007 à 7% en 2023. Pendant ce temps, la proportion des diplômés universitaires a augmenté de 22% à 36%.

Ces avancées cachent un taux de décrochage stable depuis 2016, préoccupant chez les garçons (20 % en 2021-2022), qui pourrait freiner la diplomation des travailleurs expérimentés.

Cette situation inquiète d’autant plus, car les compétences en littératie et numératie acquises au secondaire sont cruciales pour le développement professionnel. Le Québec compte également toujours moins de diplômés universitaires que plusieurs juridictions comparables en Amérique du Nord, toute proportion gardée. Dans un contexte de transformation technologique et économique, l’éducation doit demeurer une priorité pour l’avenir.

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Anthony Migneault
Anthony Migneault a rejoint l’Institut du Québec (IDQ) en 2023. Auparavant, il a occupé le poste d’adjoint de recherche en analyses économiques internationales pour la Banque du Canada. Il a également effectué différents stages d’analyses économiques à Statistique Canada et à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Anthony est détenteur d’un baccalauréat en sciences économiques de l’Université de Sherbrooke et d’une maîtrise en économie appliquée de HEC Montréal.
Simon Savard
Simon Savard est économiste principal et directeur adjoint de l’Institut du Québec (IDQ). Détenteur d’un baccalauréat en économie de l’Université Laval et d’une maîtrise en économie appliquée de HEC Montréal, il a œuvré en tant qu’économiste pendant plusieurs années à l’IDQ, où il a notamment traité des questions de main-d’œuvre, de finances publiques et de productivité. Simon a également occupé récemment le poste de conseiller aux politiques à l’Union des municipalités du Québec (UMQ) où il s’occupait des dossiers de finance, fiscalité et infrastructure.

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