
Dans son discours de Québec en décembre 2005 et dans dif- férentes déclarations par la suite, Stephen Harper s’est engagé aÌ€ « encadrer le pouvoir fédéral de dépenser ». Depuis quelques mois, des négociations discré€tes seraient en cours entre le gouvernement fédéral et les provinces afin de donner un contenu aÌ€ cette promesse. Peu de choses ont filtré de ces négociations, mais les princi- paux paramé€tres sont déjaÌ€ apparents. Le gouvernement Harper s’engage en effet sur une route plusieurs fois empruntée, et ses intentions de départ ont été clairement annoncées.
Le document Rétablir l’équilibre fiscal au Canada, rendu public avec le budget fédéral de mai 2006, est particulié€rement révélateur aÌ€ cet égard. On y lit que, « con- formément aÌ€ l’Entente-cadre sur l’union sociale signée en 1999 », le gouverne- ment du Canada « limitera le recours au pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines de compétence provinciale », afin de faire en sorte « que les nouveaux programmes aÌ€ couÌ‚ts partagés lancés dans des domaines de responsabilité provin- ciale fassent au préalable l’objet du con- sentement d’une majorité de provinces » et que les provinces et territoires aient un « droit de retrait avec compensation » pour ces programmes, « aÌ€ condition que des programmes similaires comportant des structures de reddition de comptes équivalentes soient offerts ».
Sauf pour la référence aÌ€ l’Entente- cadre sur l’union sociale de 1999 (ECUS), cet énoncé de principe est tout aÌ€ fait conforme au programme électoral des conservateurs. Celui-ci, en effet, ne prenait en compte que les nouveaux programmes aÌ€ couÌ‚ts partagés.
L’orientation du budget 2006 n’en est pas moins étonnante. D’abord, elle engage le gouvernement aÌ€ respecter une entente signée par les libéraux, entente qui s’est avérée peu fructueuse et qui est plus ou moins tombée en désuétude. Ensuite, elle n’est pas véritablement conforme aÌ€ ce que prévoyait l’ECUS, qui concernait toutes les « nouvelles initia- tives pancanadiennes […] qu’il s’agisse de financement fédéral ou de pro- grammes aÌ€ frais partagés », mais n’offrait pas en revanche de véritable droit de retrait avec compensation. Et, surtout, il semble étrange que, pour répondre aÌ€ une demande de réforme qui vient principalement du Québec, les conserva- teurs s’inspirent d’une entente que le gouvernement du Québec n’a jamais acceptée.
En février 1999, le gouvernement de Lucien Bouchard avait refusé de signer l’ECUS précisément parce qu’elle recon- naissait au gouvernement fédéral un pouvoir de dépenser dans les champs de compétence des provinces sans accorder un véritable droit de retrait avec com- pensation. L’Entente offrait tout au plus aÌ€ une province la possibilité de réinvestir différemment « les fonds non requis ».
La proposition Harper fait un peu mieux en ce qui concerne le droit de retrait, mais elle limite ce droit aux nou- veaux programmes aÌ€ couÌ‚ts partagés. Or, ceux-ci sont devenus des espé€ces en voie de disparition dans le paysage intergou- vernemental canadien. Depuis quelques années, le recours au pouvoir fédéral de dépenser prend plutoÌ‚t la forme de trans- ferts conditionnels, de dépenses fédérales directes ou de dépenses fiscales.
La discussion est donc mal engagée. Mais, aussi maladroite soit-elle, la référence fédérale aÌ€ l’entente de 1999 n’en est pas moins utile puisque, indi- rectement, elle nous rappelle que le gouvernement du Québec avait alors précisé ce qui, de son point de vue, constituerait une bonne façon d’encadrer le pouvoir fédéral de dépenser.
AÌ€ l’époque, il avait en effet fait savoir qu’il pourrait se rallier dans la mesure ouÌ€ les autres gouvernements acceptaient « un droit de retrait inconditionnel avec pleine compensation financié€re » pour toute nouvelle initiative fédérale, « cofi- nancée ou non», dans un champ de compétence provinciale. Québec ajoutait qu’une telle proposition ne devait pas é‚tre « interprétée comme une reconnais- sance directe ou indirecte d’un pouvoir fédéral de dépenser ou d’un quelconque roÌ‚le du gouvernement fédéral en matié€re de politique sociale ». AÌ€ Saskatoon, en aouÌ‚t 1998, Lucien Bouchard avait assou- pli un peu cette position en convenant, aÌ€ la demande des autres provinces, d’af- fecter les fonds obtenus aÌ€ la suite de l’u- tilisation du droit de retrait aux « mé‚mes champs d’activité prioritaires que les pro- grammes pancanadiens ».
Une formule existe donc, qui permet- trait de rallier le gouvernement du Québec tout en obtenant, comme aÌ€ Saskatoon, l’assentiment de toutes les provinces. Dans la pratique, cette formule ne serait pas simple aÌ€ mettre en œuvre puisqu’elle couvrirait un grand nombre d’initiatives fédérales potentielles, allant des dépenses directes aux crédits d’impoÌ‚ts, en passant par les transferts sociaux. Mais avec le pouvoir fédéral de dépenser, un pouvoir qui n’est reconnu ni dans les textes constitutionnels ni dans la jurisprudence, on se situe de toute façon dans une zone grise, ouÌ€ les pratiques, les gestes unilatéraux, les négociations et les compromis déterminent en définitive ce qui peut ou ne peut pas se faire.
L’obstacle principal risque d’é‚tre le gouvernement Harper. Pour réussir, celui-ci devra aller plus loin que ce qu’il a annoncé jusqu’ici et laisser de coÌ‚té sa référence inadéquate aÌ€ l’ECUS. Il devra surtout faire preuve, en accord avec ses engagements, d’ouverture dans sa con- ception du fédéralisme.