L’Accord de Paris sur le climat est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Quatre jours plus tard, les Américains ont élu Donald Trump à la présidence, dont une des promesses électorales était notamment le retrait des États-Unis de cet accord. Selon certaines informations, son équipe de transition étudie actuellement cette possibilité, mais avant son assermentation le 20 janvier 2017 et avant que son cabinet soit en place, personne ne sait si Trump pourra mettre sa menace à exécution rapidement et sans se heurter à des obstacles politiques et législatifs.

Le dossier des changements climatiques a toujours été un facteur de division aux États-Unis, et ce même sous la présidence de Barack Obama. Depuis son élection en 2008, Obama a été en conflit ouvert avec le Congrès sur cette question. Il a été obligé d’abandonner l’ambitieux programme législatif poursuivi au cours de son premier mandat et de prendre plusieurs décrets présidentiels au cours des dernières années. Il a aussi subi un revers devant les tribunaux : la Cour suprême américaine a suspendu le Clean Power Plan, qui visait à limiter les émissions de carbone des centrales thermiques, pour cause d’inconstitutionnalité.

Mais quelle que soit la position des Américains sur les changements climatiques, le premier ministre Justin Trudeau entend poursuivre son projet de tarification du carbone, annoncé en octobre 2016. Les provinces devront soit imposer une taxe, soit adopter un système de plafonnement et d’échange. Le prix minimum sur la pollution au dioxyde de carbone sera de 10 dollars par tonne en 2018 et augmentera de 10 dollars par année pour atteindre 50 dollars par tonne en 2022. Les 14 prochains mois risquent d’être difficiles, les objectifs du Canada étant désormais incompatibles avec ceux de son principal partenaire commercial.

La position canadienne sur les changements climatiques sera toujours délicate dans la mesure où notre économie reste largement tributaire des industries primaires, très gourmandes en énergie, et d’une base industrielle qui affiche des taux de croissance économique parmi les plus élevés du monde développé. Dans les grandes industries, relativement récentes, les possibilités de réduire les émissions de carbone sont très limitées. De plus, en raison de l’immensité de notre pays et du climat froid qui y règne, les distances à parcourir sont plus grandes et les besoins en chauffage, plus élevés.

Certes, le Canada peut et doit réduire ses émissions, mais le défi politique consiste à y parvenir sans abaisser le niveau de vie des Canadiens. On a souvent tendance à l’oublier, mais les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont une mesure de la consommation énergétique, elle-même une mesure directe de notre niveau de vie. Et les questions éthiques concernant les émissions de GES relèvent de choix personnels. Il est de bon ton aujourd’hui d’attaquer les entreprises du secteur énergétique parce qu’elles incarnent l’économie des hydrocarbures, mais la vérité, aussi dérangeante soit-elle, est que la majorité des émissions de carbone proviennent de notre consommation d’énergie personnelle (transport, consommation d’électricité et de biens manufacturés).

Si les émissions de GES du Canada ne représentent qu’un très faible pourcentage des émissions mondiales, soit moins de 2 %, nous ne sommes pas moins l’un des plus gros émetteurs de GES par habitant au monde (avec l’Australie et les États-Unis), en raison notamment de la superficie du pays, de notre climat et de notre structure industrielle. Selon le Deuxième rapport biennal du Canada sur les changements climatiques (2016), récemment publié par Environnement Canada, les émissions totales du Canada se chiffraient en 2013 à 726 mégatonnes (Mt) d’équivalent en dioxyde de carbone, ou de 20,7 tonnes par habitant.

Il ne faut pas oublier que la majorité des émissions de carbone proviennent de notre consommation d’énergie personnelle.

Les émissions de GES totales du Canada reflètent la composition de notre économie nationale. Le secteur minier et les secteurs du pétrole et du gaz représentent 25 % de nos émissions, les industries à forte intensité d’émissions (comme la fusion, l’affinage, les pâtes et papiers, et le ciment), 11 %. Le secteur des transports, principalement les automobiles et les camions, est responsable de 23 % des émissions (un chiffre comparable à celui des États-Unis), tandis que l’impact de l’agriculture se chiffre à 10 %.

Il convient de signaler que les émissions au Canada varient sensiblement d’une province à l’autre. L’Alberta est la plus grande émettrice de GES au pays en termes absolus et, avec la Saskatchewan, également en termes d’émissions par habitant (voir le Deuxième rapport biennal du Canada sur les changements climatiques, tableau A25, p. 42). Bien sûr, cette situation est attribuable en grande partie à l’exploitation du pétrole et du gaz, mais aussi à la production d’électricité qui est assurée principalement par des centrales au charbon dans les deux provinces. Le gouvernement Trudeau vient d’annoncer une nouvelle politique « d’accélération de l’élimination progressive de la production d’électricité à partir du charbon » et vise à fermer les centrales au charbon d’ici 2030, soit 10 ans plus tôt que le prévoyait la politique du gouvernement Harper mise en place en 2012. Le gouvernement assure de collaborer « avec les provinces et les organisations syndicales afin que les travailleurs touchés par l’accélération de l’élimination progressive de la production d’électricité à partir du charbon prennent part à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone ».  Ottawa prévoit que cette politique réduira les émissions de GES de 5 Mt. Or, rappelons-le, le Canada émet 726 Mt de GES. Cette politique suscite la controverse en Alberta et surtout en Saskatchewan, car la fermeture prématurée des installations au charbon coûtera cher aux contribuables. Il faudra dédommager les actionnaires et soutenir les résidents des municipalités qui perdront leur emploi à cause de ce changement de politique.

La question qui se pose est la suivante : peut-on réduire les émissions de GES et lutter contre le changement climatique sans handicaper notre économie ni abaisser notre niveau de vie ?

Lors de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, nous devrons d’abord éviter les erreurs de Kyoto. Le protocole de Kyoto a été signé par le Canada en 1997 et ratifié par le Parlement en 2002. Cet accord était ambitieux — et imparfait. En effet, son caractère juridiquement contraignant ne concernait qu’une poignée de pays riches énumérés à l’annexe 2. Les États-Unis, qui avaient refusé de ratifier le protocole et d’assumer leurs obligations de réduction des GES, ne figuraient donc pas dans le calcul des réductions de GES. Des pays comme le Canada s’étaient engagés à respecter des cibles de réduction très ambitieuses, alors qu’aucune obligation ne pesait sur les plus gros pollueurs du monde, comme les États-Unis, la Chine et l’Inde.

De surcroît, le Canada avait pris les engagements les plus ambitieux de tous les signataires, proposant de diminuer ses émissions de GES de 6 % par rapport au niveau de 1990 (qui était alors de 461 Mt) au cours de la période de 2008 à 2012. Étonnamment, cette cible aurait été choisie par l’ex-premier ministre Jean Chrétien, sans fondement scientifique, comme le notent Jeffrey Simpson, Mark Jaccard et Nic Rivers dans leur livre Hot Air: Meeting Canada’s Climate Change Challenge, publié en 2008. Dans les faits, les émissions du Canada avaient augmenté de 24 % entre 1990, année de référence, et 2008.

À mon avis, la position du Canada comme signataire du protocole de Kyoto a toujours été intenable, les objectifs de réduction fixés par le gouvernement étant tout simplement inatteignables. J’utilise le terme « inatteignables » en sachant que tout le monde n’est pas d’accord. Mais au fil des années, on a dû admettre que les cibles du protocole de Kyoto reflétaient des ambitions et des coûts qui dépassaient largement les sacrifices que les Canadiens et leur gouvernement (libéral ou conservateur) étaient prêts à accepter. De fait, nous savons aujourd’hui que le gouvernement libéral de l’époque était conscient au moment de signer le protocole que les engagements de Kyoto étaient impossibles à tenir.

En Alberta, le gouvernement néodémocrate de Rachel Notley a fait avancer ce dossier, et c’est tout à son honneur, avec la publication de son Climate Leadership Plan à la fin de 2015, juste à temps pour la conférence de Paris sur le climat, qui vise à renforcer les règles provinciales en matière d’émissions industrielles. Il ne faut pas oublier que l’Alberta a été le premier gouvernement en Amérique du Nord qui a imposé un prix sur le carbone industriel. Il a promulgué en 2007 la Specified Gas Emitters Regulation, qui obligeait les grandes installations industrielles rejetant plus de 100 000 tonnes de CO2 par an de réduire l’intensité de leurs émissions de 12 %. Les mécanismes de conformité comprenaient notamment la réduction des émissions des usines, l’achat de compensations ou de crédits de réduction des GES ainsi que le paiement d’une taxe sur le carbone de 15 dollars par tonne. Cette taxe était versée à un fonds de technologie ayant pour mission de réduire les émissions de GES ou d’améliorer la capacité de la province à s’adapter aux changements climatiques.

Le nouveau plan climatique prévoit que les gros émetteurs industriels resteront assujettis aux dispositions en vigueur jusqu’à la fin de 2017. À partir de 2018, la province passera à des normes de rendement par produit et par secteur. Les mesures prises par le gouvernement néodémocrate pour renforcer les obligations et augmenter le prix du carbone avaient été précédées de plusieurs années de concertations entre le gouvernement précédent de l’Alberta et l’industrie. L’engagement le plus controversé reste toutefois le plafonnement des émissions totales produites par l’industrie des sables bitumineux à 100 Mt par an (les émissions annuelles s’élèvent actuellement à 62 Mt). Sans ce plafonnement, le gouvernement fédéral estime que les émissions de GES de l’exploitation des sables bitumineux augmenteraient jusqu’à 115 Mt d’ici 2030.

La décision prise en 2015 par Suncor, Canadian National Resources, Cenovus Energy et Shell Canada d’appuyer l’annonce du gouvernement de l’Alberta sur les changements climatiques, et de soutenir ainsi le plafonnement des émissions de GES liées aux sables bitumineux, continue de diviser le secteur énergétique canadien. Ces sociétés ont probablement jugé que cette approche offrait une prévisibilité et rassurerait les investisseurs. Or aucun autre pays producteur de pétrole au monde n’a accepté de limiter sa production de pétrole ou les émissions qui y sont associées. Les défenseurs de cette initiative font valoir que le plafonnement ne s’applique qu’aux émissions, pas à la production. Mais pendant ce temps, les États-Unis, notre principal client et concurrent, n’ont toujours pas fixé de prix sur les émissions de carbone industriel, et encore moins décidé de plafonner leur production.

Le vrai défi consistera désormais à faire avancer le dossier de la réduction des GES sans nuire à la compétitivité du secteur pétrolier et gazier canadien, qui est responsable non seulement de la plus forte croissance des émissions de GES, mais représente aussi près de 10 % de notre produit intérieur brut.

Les objectifs de réduction fixés par le Canada doivent s’accompagner d’un accord avec les États-Unis et le Mexique en vue d’imposer une taxe ou d’harmoniser les politiques sur le carbone des trois pays pour ne pas nuire à l’un d’entre eux. Pour bien protéger l’environnement tout en préservant la compétitivité du Canada, notre production doit faire partie d’un système continental équitable. Le Canada se trouve aujourd’hui dans une position inconfortable après avoir fixé un prix sur les émissions de carbone industrielles de l’Alberta et accepté de plafonner les émissions, alors que notre principal concurrent et plus ardent détracteur, les États-Unis, n’a fait ni l’un ni l’autre.

La collaboration avec le président désigné Trump s’annonce compliquée. Si le Canada continue de prendre des décisions économiques difficiles pour réaliser son ambitieux programme climatique alors que les États-Unis font trois pas en arrière, la situation risque de s’aggraver dans les secteurs canadiens les plus exposés à la concurrence étrangère, à savoir le pétrole et le gaz, et les autres secteurs de l’énergie. Espérons que le premier ministre Trudeau et le président Trump sauront conclure de bons accords sur la question du changement climatique.

Photo : Nattawadee Supchapo/Shutterstock.com

 


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Jean-Sébastien Rioux
Jean-Sébastien Rioux est professeur agrégé à la School of Public Policy à l’Université de Calgary. Ses recherches portent sur la politique étrangère du Canada, et sur les politiques énergétiques du Canada et des provinces.

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