Au Québec, ouÌ€ le phénomé€ne du vieillissement de la population est plus marqué qu’ailleurs au Canada, on estime que la proportion des gens aÌ‚gés de 65 ans et plus va passer de 12 p. 100 en 2000 aÌ€ 24 p. 100 en 2025. Il s’agit laÌ€ d’une tendance démographique lourde qui résulte, d’une part, de l’augmentation de l’espérance de vie ; et, d’autre part, de la diminution du taux de natalité. Le por- trait qui s’en dégage est le suivant : de plus en plus de per- sonnes aÌ‚gées et de moins en moins de travailleurs et travailleuses pour les supporter.
Selon les projections de la Régie des rentes du Québec, le ratio du nombre de travailleurs (20-64 ans) sur le nombre de retraités (65 ans et plus) va passer de 4,7 en 2000 aÌ€ seule- ment 2 en 2030. Il va sans dire que cela représente une aug- mentation importante des couÌ‚ts que l’EÌtat devra assumer pour la sécurité du revenu aÌ€ la retraite ainsi que pour le sy- sté€me de santé. Selon les projections de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette augmentation serait de l’ordre de 10 p. 100 du produit intérieur brut pour la période allant de 2000 aÌ€ 2050, au Canada. Alors que ces couÌ‚ts ne représentaient qu’environ un dixié€me du produit intérieur brut en 2000, ils seraient de l’ordre de un cinquié€me en 2050. Ainsi, les dépenses additionnelles générées par le vieillissement accéléré de la population vont réduire de façon drastique la marge de manœuvre de nos gouvernements déjaÌ€ aux prises avec un fardeau fiscal important. Selon les projections de l’OCDE, le ratio d’endettement (i.e., ratio de la dette nette sur le pro- duit intérieur brut) pour un pays comme le Canada pourrait s’accroiÌ‚tre de 200 aÌ€ 400 p. 100 pour la période allant de 2000 aÌ€ 2050.
Pour contrer ces effets il y a bien suÌ‚r les solutions démo- graphiques comme augmenter le taux de natalité ou le taux d’immigration chez les jeunes. Mais, bien que ces solu- tions ne soient pas aÌ€ exclure, on ne peut s’attendre aÌ€ ce qu’elles compensent, aÌ€ elles seules, la diminution de la po- pulation active qui va s’amorcer au Québec aÌ€ partir de 2010. Une autre façon de compenser pour cette diminution serait d’accroiÌ‚tre la productivité des travailleurs et tra- vailleuses. Une autre encore serait d’accroiÌ‚tre le taux de par- ticipation au marché du travail. Mais cela pourrait s’avérer difficile aÌ€ faire dans le contexte d’une population vieillissante. Par contre, cela est peut-é‚tre possible pour les futures générations de travailleurs et travailleuses, en rehaussant dé€s main- tenant le niveau de santé de la popu- lation des enfants d’aÌ‚ge préscolaire. Le rationnel pour une telle approche est le suivant : un enfant qui connaiÌ‚t un développement harmonieux a plus de chance de développer son plein potentiel, et ainsi tirer profit d’une éducation de qualité et acquérir les compétences nécessaires pour contri- buer, entre autres, au développement économique de son pays.
C’est ce rationnel qui a donné lieu aÌ€ l’Enqué‚te longitu- dinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) com- mandée par Développement des ressources humaines Canada et menée par Statistique Canada. BientoÌ‚t, l’ELNEJ pourra fournir des données probantes quant aÌ€ ce postulat de base.
En s’attaquant aux pro- blé€mes émotionnels et de com- portement qui sont tré€s fréquents dans la population des enfants d’aÌ‚ge préscolaire, nous pourrions accroiÌ‚tre de façon substantielle leur bien-é‚tre et santé. Au Canada, on estime qu’environ 20 p. 100 des enfants de 2 aÌ€ 11 ans présentent au moins un des six problé€mes considérés dans l’ELNEJ (i.e., l’anxiété, la dépression, l’hyperactivité/ impulsivité, l’inattention, l’agression physique et l’agression indirecte). AÌ€ eux seuls, ces problé€mes représentent un potentiel d’exclusion sociale énorme. Par exemple, com- ment un enfant qui ne tient pas en place est-il censé réussir aÌ€ l’école? Ces problé€mes compromettent l’actualisa- tion du plein potentiel et le bien-é‚tre des enfants qui les présentent entraiÌ‚- nant potentiellement, aÌ€ plus ou moins long terme, des problé€mes plus sérieux tels la maladie mentale, l’abus de drogues et d’alcool, la délinquance juvénile et la criminalité. En s’attaquant aÌ€ ces problé€mes avant l’en- trée aÌ€ l’école, on pourrait espérer non seulement augmenter la productivité de nos futurs travailleurs et tra- vailleuses ainsi que le taux de partici- pation au marché du travail mais aussi, du mé‚me coup, réduire les couÌ‚ts énormes associés aÌ€ ces problé€mes pour le systé€me de la santé.
L’approche préventive présentement privilégiée est de type tertiaire. Elle consiste aÌ€ diagnostiquer ces problé€mes lors de l’entrée aÌ€ l’école, rarement avant, et aÌ€ traiter les cas un aÌ€ un en clinique.
Une des approches thérapeutiques utilisées pour traiter le jeune atteint du trouble déficit de l’attention/hyperac- tivité (TDAH) est l’usage de stimulants du systé€me nerveux central comme le méthylphénidate (Ritalin). Ce médica- ment agit aÌ€ court terme pour atténuer les symptoÌ‚mes hyperactifs, impulsifs et inattentifs, mais il ne guérit pas. Or, on assiste aÌ€ une augmentation fulgu- rante de la consommation de Ritalin. Par exemple, mes travaux et ceux de mes collaborateurs ont permis de démontrer qu’il y a eu, entre 1994-1995 et 1996-1997, une augmentation de 36 p. 100 du nombre d’enfants de 2 aÌ€ 11 ans dans la population canadien- ne qui consommaient du Ritalin sur une base régulié€re. Ce phénomé€ne ne semble pas se résorber, au contraire. Il devient de plus en plus évident que l’approche de prévention tertiaire n’ar- rivera pas aÌ€ elle seule aÌ€ enrayer les problé€mes émotionnels et de com- portement chez les enfants.
Au Québec, s’ajoute l’approche préventive de type primaire avec des centres de la petite enfance (CPE) pour les enfants d’aÌ‚ge préscolaire. On aurait pu espérer que, dans ce con- texte, les enfants qui présentent des problé€mes émotionnels et/ou de comportement soient référés pour des soins. Mais, aÌ€ la lumié€re des données de l’EÌtude longitudinale sur le développe- ment des enfants du Québec (ELDEQ) menée par Santé Québec, il appert que ce ne soit pas le cas. Par exemple, j’estime qu’environ 38 p. 100 de garçon- nets et 28 p. 100 de fillettes de 41 mois manifestent de façon fréquente un ou des comporte- ments hyperactifs/impulsifs (i.e., remue sans cesse ; ne peut rester en place, est agité ou hyperactif ; a de la difficulté aÌ€ attendre son tour dans un jeu). Cependant, moins de 7 p. 100 des parents de ces enfants, dont plusieurs manifestent ces com- portements depuis l’aÌ‚ge de 17 mois, ont consulté un psychia- tre ou un psychologue dans l’année qui a suivi.
Tout cela laisse croire que beaucoup d’enfants vont faire leur entrée aÌ€ l’école aux prises avec des problé€mes émotionnels et/ou de comportement, et possiblement, connaiÌ‚tre de sérieuses difficultés scolaires. C’est seulement alors qu’on interviendra (avec du Ritalin ou autrement) pour contrer les répercussions négatives de ces pro- blé€mes. D’ouÌ€ le besoin de compléter les approches actuellement en place par une approche préventive de type secondaire qui consisterait aÌ€ dépister les enfants susceptibles d’entrer aÌ€ l’é- cole avec un problé€me émotionnel et/ou de comportement.
Les résultats qui émanent de mon programme de recherche suggé€rent la pertinence d’une telle approche préventive, aÌ€ tout le moins pour les problé€mes de comportement dits dis- ruptifs tels l’hyperactivité/impulsivité, l’opposition et l’agression physique. En effet, contrairement aÌ€ la croyance po- pulaire, les comportements disruptifs chez les enfants d’aÌ‚ge préscolaire ne tiennent pas seulement de l’immaturité de l’enfant, mais sont dans certains cas des signes de réels problé€mes.
Par exemple, environ 5 p. 100 des garçonnets et 1 p. 100 des fillettes de 17 mois dans la population québécoise manifestent de façon fréquente des comportements agressifs (i.e., frappe, morde, donne des coups de pieds ; se bat ; se bagarre). Ces enfants démon- trent une propension aÌ€ manifester de tels comportements qui est beaucoup plus élevée que celle des autres enfants du mé‚me aÌ‚ge et du mé‚me sexe dans la population. De plus, une majorité des enfants ayant un problé€me disruptif aÌ€ 17 mois continuent de manifester des comportements disruptifs de façon fréquente un an plus tard. En effet, environ 51 p. 100 des enfants qui sont agressifs aÌ€ 17 mois le sont encore 12 mois plus tard. Et la continuité des comportements agressifs entre 29 et 41 mois semble plus marquée chez les enfants qui étaient agressifs aÌ€ 17 mois.
AÌ€ partir d’un suivi continu de la po- pulation des enfants, et cela dé€s la naissance, il pourrait s’avérer possible de mettre au point une grille de dépistage des enfants susceptibles de présenter des problé€mes disruptifs lors de l’entrée aÌ€ l’école. Dans ce contexte, des études comme celles de l’ELNEJ et de l’ELDEQ pourraient s’avérer une pié€ce maiÌ‚tresse de l’effort de recherche en petite enfance. La recherche et développement en petite enfance devrait constituer un investissement prioritaire pour nos gouvernements. Ceci est d’autant plus pressant étant donné les défis de taille que pose le vieillissement accéléré de la population.