L’Assemblée nationale du Québec a, en date du 19 avril 2006, sanctionné le projet de loi sur le développement durable. Selon le nouveau ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Claude Béchard, ceci représenterait «une étape extré‚mement importante, charnié€re, […] dans l’histoire du développement durable et de l’environnement au Québec ». Malgré cet enthousiasme, l’ensemble de la démarche du gouvernement du Québec nous invite aÌ€ demeurer prudent sur l’impact aÌ€ long terme de cette nouvelle législation.

Le projet de loi institutionnalise le concept de développement durable en obligeant des organismes et mi- nisté€res prédéfinis aÌ€ déposer des stratégies de développement durable afin de permettre au gouvernement du Québec d’at- teindre ses objectifs en la matié€re, lesquels seront ultérieure- ment définis et évalués aÌ€ l’aide d’indicateurs précis. La loi prévoit aussi la création d’un fonds vert et la création d’un poste de commissaire au développement durable, lequel sera chargé de suivre les progré€s de l’administration publique et du gouvernement dans l’établissement d’une nouvelle approche du développement au Québec. Ces outils devront donc permettre au gouvernement d’agir de manié€re aÌ€ mieux refléter les préoccupations sociales et environnementales de la population. La taÌ‚che est énorme.

L’expérience du gouvernement fédéral peut é‚tre instruc- tive aÌ€ cet égard. Il y a de cela un peu plus de dix ans, Ottawa adoptait son propre plan de développement durable. Celui-ci reposait sur une logique de stratégies mi- nistérielles devant é‚tre analysées par un commissaire au développement durable aÌ€ laquelle s’ajoutait un processus de pétitions en matié€re d’environnement. Il ne prévoyait pas la création d’un fonds vert ou d’un droit aÌ€ un environnement sain comme le fait le plan québécois, mais il s’agit laÌ€ de mesures complémentaires qui, de toute manié€re, ne changeront pas directement les processus gouverne- mentaux de prise de décision. Ce sont ces processus qui devraient é‚tre la cible premié€re de tout projet de loi sérieux en ce domaine.

Ce plan n’a pas eu les effets escomptés. La commissaire aÌ€ l’environ- nement et au développement durable, Johanne Gélinas, constatait ainsi, dans son rapport présenté au Parlement en 2005, que : « Le gouvernement fédéral souffre d’une incapacité chronique aÌ€ mener ses propres initiatives aÌ€ terme. Il prend le départ, mais traverse rarement, sinon jamais, la ligne d’arrivée. »

Selon la commissaire, deux pro- blé€mes seraient aÌ€ la source de cet échec. Premié€rement, Ottawa n’a pas de stratégie gouverne- mentale pouvant guider avec cohésion et efficacité les efforts de tous ses ministé€res. Deuxié€mement, il n’a pas dégagé les ressources suffisantes et mis en place les structures organisationnelles nécessaires. Ainsi, le suivi des sous- ministres quant aux projets de développement durable n’est pas adéquat et le Cabinet n’affiche pas la volonté nécessaire pour que ce suivi s’effectue correctement. D’ailleurs, en 2004, l’ancien ministre d’Environnement Canada, Stéphane Dion, déclarait, devant le comité sénatorial permanent responsable de l’Énergie, de l’Environnement et des Ressources naturelles : « Je m’occupe d’affaires environnementales depuis huit ans et je ne me souviens pas d’une seule situation ouÌ€ l’environnement a fait partie des discussions, si ce n’était lors d’une réunion des ministres de l’Environnement. » Dans ce contexte, on ne sera pas surpris des conclusions d’une étude menée en 2005 par l’École de gestion des ressources et de l’envi- ronnement de l’Université Simon Fraser selon lesquelles le gouverne- ment fédéral serait, en matié€re de dura- bilité, vingt-huitié€me sur trente pays membres de l’OCDE et terminerait dernier ou avant-dernier dans presque chaque catégorie d’évaluation.

Le plan québécois se distingue du plan fédéral sur un point impor- tant. Il prévoit que la « premié€re ver- sion de la stratégie de développement durable est adoptée par le gouverne- ment dans l’année suivant celle de la sanction de la présente loi ». La perti- nence de la stratégie dépendra bien évidemment des objectifs qu’elle con- tiendra. Toutefois, le gouvernement restreint considérablement l’étendue de sa loi lorsqu’il spécifie que « la mise en place d’un nouveau cadre législatif [sur le développement durable] ne devrait pas nécessiter l’injection de ressources financié€res supplémentaires substantielles dans les ministé€res et organismes ». Le gouvernement prévoit plutoÌ‚t réaliser les objectifs de sa stratégie « en réorientant certains de ses budgets actuels, en modifiant ses façons de faire et en devenant plus per- formant dans la gouvernance de l’État ». On peut identifier ici deux problé€mes en ce qui concerne cette approche. D’abord la question des ressources et ensuite la structure orga- nisationnelle soutenant le plan de développement durable.

Le texte de loi prévoit en effet, aÌ€ l’article 36, que la charge d’appliquer la loi sur le développement durable revient au ministé€re du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Or, il est hautement ques- tionnable d’assumer que ce ministé€re aura les moyens et les ressources nécessaires pour accomplir avec succé€s toutes les taÌ‚ches que lui prescrit l’article 13 de la loi. En effet, depuis le début des années 1990, le ministé€re de l’Environnement a vu sans cesse ses moyens décliner, aÌ€ un point tel que le budget actuel du ministé€re représente aÌ€ peine environ 0,3 p. 100 du budget total de l’État québécois. Plus précisé- ment, d’apré€s des données présentées par Glen Toner dans Implementing Sustainable Development. Strategies and Initiatives in High Consumption Societies (2000), le budget du ministé€re de l’Environnement aurait été réduit de 65 p. 100 entre 1994 et 1998. Ces coupures seraient parmi les plus dras- tiques aÌ€ travers toute la fédération cana- dienne au cours de cette période. AÌ€ ce sujet, on peut également noter que, en 2002, les participants au Colloque sur l’innovation et le développement durable orga- nisé par le Conseil de la science et de la technologie concluaient que les « budgets et le personnel affectés aÌ€ la gestion et aÌ€ la coor- dination de la politique de développement durable sont insuffisants ». Étant donné que le gouvernement n’avait mé‚me pas, alors, de véritable politique de développement durable et que ces ressources étaient déjaÌ€ jugées insuffisantes, on peut se ques- tionner sur le sérieux du gouvernement dans sa volonté de voir cette nouvelle loi solidement mise en œuvre main- tenant que les responsabilités qui lui incombent en ce domaine sont plus claires et, surtout, imputables.

Du reste, les sommes émanant du Fonds vert ne peuvent sérieusement é‚tre brandies pour suppléer au manque aÌ€ gagner puisque ce ne sont pas des montants stables et prévisibles. Par ailleurs, selon Jean Piette, représen- tant du Barreau du Québec aux Consultations particulié€res sur le projet de loi sur le développement durable, l’aspect tré€s large de la formulation des mandats du Fonds vert pourrait per- mettre au ministre du MDDEP d’af- fecter les sommes du fonds aÌ€ « n’importe quelle activité faisant partie du mandat du ministé€re », ce qui risque d’avoir pour effet de diminuer les crédits annuels du ministé€re en propor- tion. Une éventualité qui peut é‚tre envisagée puisque, questionné aÌ€ ce sujet lors de l’étude des crédits en 2005, le ministre Thomas Mulcair avait semblé y é‚tre favorable en affirmant : « C’est une evidédence que si je veux financer des organismes de bassin ver- sant aÌ€ travers le Fonds vert, je n’ai pas besoin de prévoir le mé‚me poste budgé- taire aÌ€ l’intérieur du ministé€re. »

Quant aÌ€ la structure organisation- nelle soutenant le plan de développe- ment durable du Québec, il est possible de la comparer sous plusieurs aspects aÌ€ celle du plan du gouverne- ment fédéral. En revanche, le plan québécois est politiquement plus astucieux. Comme au niveau fédéral, la taÌ‚che du développement durable incombe au ministé€re de l’Environne- ment. Cependant, le gouvernement du Québec a eu, en 2005, l’idée de changer le nom de ce ministé€re pour celui de ministé€re du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Malgré ce nouveau dossier ajouté aux responsabilités du mi- nisté€re, on a de nouveau réduit son budget quelques semaines plus tard. Il est vrai que le développement durable faisait déjaÌ€ partie des mandats du ministé€re de l’Environnement préa- lablement au remaniement mi- nistériel de 2005, mais le caracté€re de ces responsabilités était moins con- traignant. Par conséquent, si la loi sur le développement durable doit chan- ger quoi que ce soit au mandat du ministé€re de l’Environnement en ce domaine, les ressources nécessaires auraient duÌ‚ suivre.

Du coÌ‚té des comités dédiés au développement durable, les deux gouvernements sont comparables. Afin de répondre aÌ€ ses propres obligations en matié€re de développement durable, le gouvernement du Canada a créé le Comité de coordination de l’environnement et du développement durable. Ce dernier était formé de sous-ministres et devait préparer un plan pour s’assur- er que le gouvernement du Canada respecte les engagements pris lors du Sommet mondial sur le développement durable qui s’est tenu aÌ€ Johannesburg en 2002. Mais, dans son rapport de 2005, la commissaire aÌ€ l’environ- nement et au développement durable notait que « le Comité n’a pas livré le plan attendu» et que les «sous- ministres n’ont pas donné suite aÌ€ un bon nombre des attentes du greffier du Conseil privé ». Ce comité a cessé ses activités en 2004 mais, depuis, Ottawa a créé un autre comité de sous-ministres.

AÌ€ Québec, le Comité intermi- nistériel du développement durable (CIDD) a été créé en 1991 afin de « favoriser la concertation et la cohé- sion au sein du gouvernement du Québec en matié€re de développement durable ». Tout comme au niveau fédéral, ce comité est censé é‚tre un lieu ouÌ€ se rencontrent les hauts fonction- naires. Cependant, l’évaluation de la performance de ce comité par la vérifi- catrice générale n’a pas été que posi- tive. Si la vérificatrice affirme que le CIDD a joué « un roÌ‚le important dans la promotion du développement durable au sein du gouvernement », elle affirme aussi que son efficacité est réduite par l’absence de fonctionnaires en poste d’autorité aux rencontres et la faible fréquence de ces rencontres.

Outre les comités parlementaires, on retrouve aussi aux deux paliers de gouvernement des instances au bureau du premier ministre devant aborder le thé€me du développement durable. Au bureau du Conseil privé aÌ€ Ottawa, Stephen Harper a créé au Cabinet le Comité des Affaires écono- miques, présidé par James Flaherty. Parmi les enjeux qui y sont rattachés, on retrouve le développement durable.

AÌ€ Québec, le gouverne- ment a créé le Comité mi- nistériel de la prospérité économique et du développe- ment durable. Tout comme au niveau fédéral, le mandat du comité est assez large et englobe plusieurs enjeux économiques, parmi lesquels se trouve la protection de l’environnement.

Il est hautement significatif de constater que le gouvernement a décidé d’attacher aÌ€ ce comité l’ancien Secrétariat aÌ€ la déréglementation, créé par le gouvernement de Lucien Bouchard, et de lui donner le titre de Secrétariat du Comité ministériel de la prospérité économique et du développement durable. Compte tenu de tout le soutien que le ministé€re du Conseil exécutif (MCE) a décidé d’oc- troyer au dossier de « l’allégement réglementaire et administratif », on peut se demander si ce dossier ne constituerait pas l’activité la plus importante de ce comité au dépend du développement durable.

Il est donc peu surprenant de constater que le sens du concept de développement durable circulant au MCE diffé€re passablement de celui que proposait le Rapport Brundtland. Alors que ce dernier nous présentait le développement durable comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », le MCE a adopté une variante aÌ€ saveur plus économique. Selon ce dernier, sa démarche « d’allége- ment réglementaire et administratif » créera pour les Québécois « un environ- nement propice aÌ€ la création d’emplois et de la richesse en mé‚me temps que l’assurance d’un développement économique durable au profit des générations futures ». AÌ€ cet égard, le Secrétariat du Comité ministériel de la prospérité économique et du développement durable se range parmi les instances de déréglementation des autres provinces canadien- nes répertoriées par l’initia- tive de la Réglementation intelligente du Canada du gouvernement fédéral.

Dans la mesure ouÌ€ le concept de développe- ment durable, tel que présenté par le rapport Brundtland, avait pour but de fournir un guide de survie pour le XXIe sié€cle, il faudra probablement s’attendre aÌ€ é‚tre déçu des résultats concrets découlant des plans fédéral et provincial. Certes, si le but du plan fédéral, et par ricochet celui du Québec, n’était que de rhabiller sous une forme plus socialement acceptable le type d’exploitation de notre environnement que les gouverne- ments soutiennent depuis leur création, ils ont peut-é‚tre réussi. Le plan du Québec diffé€re toutefois en ceci du plan fédéral qu’il mentionne explicitement la rédaction d’une stratégie gouverne- mentale. LaÌ€ ouÌ€ tout se jouera sera de voir quels seront les objectifs qui en résulteront. Et encore, si la stratégie est trop ambitieuse, il n’est pas dit que les objectifs seront atteints.

Les initiatives volontaires dans le domaine de l’environnement proÌ‚nées par Québec et Ottawa depuis plusieurs années, comme dans le cas de Kyoto, « ont amplement fait la preuve de leur inefficacité », comme le notaient une trentaine d’économistes de toutes les grandes universités canadiennes, si- gnataires d’une lettre ouverte envoyée au premier ministre Harper en juin 2006. La compétitivité économique étant ce qu’elle est, seule la réglementation peut permettre de provoquer des change- ments importants en contraignant le plus grand nombre possible d’acteurs aÌ€ se plier aÌ€ un objectif commun. Mais voilaÌ€, le gouvernement du Québec est depuis dix ans impliqué dans un proces- sus d’allégement réglementaire et administratif qui cherche aÌ€ limiter le recours aÌ€ ce type d’intervention étatique.

Lorsque le ministé€re du Conseil exécutif indique dans ses Ré€gles sur l’allégement des normes de nature lé- gislative ou réglementaire que les nou- velles exigences gouvernementales devront « demeurer compétitives, principalement au regard du contexte nord-américain et ne devraient pas é‚tre plus élevées que celles des princi- paux partenaires commerciaux du Québec, notamment l’Ontario et les États américains limitrophes », il sem- ble s’imposer lui-mé‚me des limites. Et l’adoption du décret 751-2004 habili- tant ces normes semble démontrer qu’un tel cadenas sur le processus lé- gislatif, réglementaire et administratif du gouvernement de Québec peut se faire par simple décret.

Les multiples décrets précisant la création et la composition des dif- férents groupes conseil aÌ€ l’origine des recommandations sur l’allégement réglementaire démontrent aussi que le gouvernement du Québec, malgré son plan de développement durable, ren- force la domination des secteurs économiques et financiers sur le cours des politiques publiques. Les acteurs des cercles environnemental et social n’ont, eux, au mieux, qu’un droit de contestation.

AÌ€ titre d’exemple d’un tel déséquilibre, on peut mentionner la volonté de Québec d’adopter une « réglementation qui rendra obligatoire l’activation des limiteurs de vitesse sur tous les camions ainsi que le réglage de la vitesse maximale de ces vitesses aÌ€ 105 km/h ». Partie intégrante du Plan d’action du Québec sur les change- ments climatiques, intitulé Le Québec et les changements climatiques, un défi pour l’avenir, cette réglementation permet- trait de réaliser des économies de car- burant de l’ordre de 10 500 litres par camion par année et contribuerait aÌ€ diminuer la pollution atmosphérique.

Cette proposition fut si bien reçue que le gouvernement Harper pense désor- mais aÌ€ s’inspirer du plan québécois sur les changements climatiques pour rédi- ger son propre Plan vert et aÌ€ y inclure une mesure semblable. Il est toutefois intéressant de remarquer que cette ini- tiative ne vient pas du gouvernement du Québec, mais plutoÌ‚t de l’industrie elle-mé‚me. En effet, y voyant une façon de faire des économies, en plus de pouvoir controÌ‚ler les transporteurs indépendants plus téméraires, l’Asso- ciation du camionnage du Québec (ACQ) réclama du gouvernement, au début de 2006, « l’adoption d’une loi qui rende obligatoire l’activation des limiteurs de vitesse sur tous les camions et le réglage de la vitesse maximale de ceux-ci aÌ€ 105 km/h ».

Personne ne peut nier les aspects environnementaux positifs d’une telle mesure. Il demeure en revanche hypothétique de supposer qu’un tel type de projet de ré€glement euÌ‚t pu avoir le mé‚me accueil aupré€s du gou- vernement s’il avait été proposé, di- sons, par un intervenant du milieu social ou environnemental. Ceci illus- tre bien que l’intégration des trois piliers fondamentaux du développe- ment durable demeure encore un objectif aÌ€ réaliser.

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