Le 13 décembre 2004, une motion sans préavis était présentée aÌ€ l’Assemblée nationale, afin de souligner l’adoption aÌ€ l’unanimité, deux ans auparavant, de la Loi visant aÌ€ lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale (loi 112). La motion a donné lieu aÌ€ une longue intervention de Camil Bouchard, le porte-parole de l’opposition en la matié€re, et aÌ€ de nombreuses questions. Mais le ministre responsable du dossier, Claude Béchard, n’est pas intervenu et s’est contenté de demander l’ajourne- ment du débat. Ainsi se rompait l’una- nimité difficilement réalisée en 2002, en grande partie graÌ‚ce au travail du Collectif pour un Québec sans pauvreté.
Quoique précaire, cette unanimité constituait tout de mé‚me un moment fort, un point de repé€re qui permettait de penser que le climat était muÌ‚r pour une réorientation des politiques publiques québécoises touchant la pauvreté. Elle faisait aussi du Québec une exception en Amérique du Nord, une société ouÌ€ la lutte contre la pau- vreté pouvait devenir un « impératif national », susceptible de mobiliser l’ensemble de la collectivité.
Les premié€res bré€ches aÌ€ ce fragile consensus sont apparues avec les hési- tations du gouvernement Charest, qui a mis beaucoup de temps aÌ€ produire le Plan d’action prévu par la Loi et qui a joué dé€s le départ avec l’idée d’une ges- tion plus dure de l’aide sociale.
Le Plan d’action présenté en avril 2004 s’est finalement avéré surprenant, notamment parce qu’il confirmait l’abo- lition des pénalités aÌ€ l’aide sociale. Le plan prévoyait aussi une hausse des allo- cations pour les personnes participantaÌ€ des mesures de formation ou d’insertion en emploi, ainsi que de nouvelles mesures de soutien du revenu pour les travailleurs pauvres. En contradiction avec la loi 112, le plan libéral ne propo- sait cependant aÌ€ peu pré€s rien pour améliorer l’offre de mesures de forma- tion ou d’insertion, et il ne créait ni comité consultatif, ni observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
Au minimum, on pouvait trouver dans ce premier développement des mesures qui amélioraient le revenu de nombreux ménages. Un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, les gouvernements cherchent aÌ€ « rendre le travail payant ». On peut le faire soit en pénalisant davantage ceux qui ne tra- vaillent pas, soit en soutenant mieux le revenu de ceux qui travaillent, ou encore en faisant un peu des deux. En avril, le gouvernement Charest sem- blait opter pour l’approche généreuse. Pour un gouvernement de droite, il s’agissait d’un choix plutoÌ‚t audacieux, qui s’expliquait probablement par la forte mobilisation sociale qui existait autour de la question de la pauvreté.
Mais « chassez le naturel, il revient au galop. » Le Plan d’action lais- sait déjaÌ€ voir un biais aÌ€ l’encontre des personnes aptes au travail en annonçant que, dans leur cas, les prestations d’aide sociale ne seraient que partiellement indexées au couÌ‚t de la vie. Ce biais allait se confirmer avec le dépoÌ‚t en juin du projet de loi 57.
Ce projet de loi confirme la volonté de n’indexer que partiellement les prestations des personnes aptes au tra- vail, ce qui implique un appauvrisse- ment inexorable, planifié en fait, pour celles-ci. Il mise tout sur le retour aÌ€ l’em- ploi, sans prévoir d’investissements neufs aÌ€ cet égard. Le projet évoque par ailleurs de nouveaux programmes pour lesquels les droits et recours habituels ne s’appliqueraient pas.
En commission parlementaire, le Protecteur du citoyen a déploré l’ab- sence d’un observatoire et, surtout, l’in- dexation partielle des prestations qui crée « une inégalité de traitement pour des catégories de personnes qui, somme toute, connaissent les mé‚mes difficultés financié€res ». La Commission des droits de la personne et de la jeunesse et le Barreau du Québec ont abondé dans le mé‚me sens, en critiquant une approche encore mal définie, qui semble davan- tage basée sur des «préjugés et des stéréotypes » que sur une analyse rigoureuse des droits et des besoins.
Loin de s’en émouvoir, le gou- vernement du Québec en a rajouté aÌ€ la fin décembre en suggérant, dans son projet de politique du médicament, de rétablir la gratuité pour les personnes aÌ‚gées recevant le supplément de revenu garanti et pour les personnes ayant des contraintes sévé€res aÌ€ l’em- ploi, mais pas pour les prestataires de l’aide sociale qui sont aptes au travail.
Pas aÌ€ pas, le gouvernement du Québec prend donc ses distances face aÌ€ une loi qui faisait l’unanimité lors de son adoption, pour s’inscrire plutoÌ‚t dans la mouvance des gouvernements qui pensent « rendre le travail payant » en faisant payer ceux qui n’en ont pas.
Ce gouvernement a beaucoup vanté les possibilités d’asymétrie dans la fédération canadienne, en se fiant aÌ€ un compromis limité, qui au plus lui per- met de produire ses propres indicateurs de santé publique. Or, la véritable autonomie, la seule qui compte en définitive, consiste plutoÌ‚t aÌ€ aller de l’avant avec des politiques originales, qui reflé€tent les valeurs et les choix des Québécois. La loi 112 représentait un pas important dans cette direction. Il serait dommage d’en gaspiller le potentiel.