Pour la 12e année consécutive, le gouvernement fédéral a présenté un budget équilibré. Hormis cette continuité dans l’équilibre financier, le budget fédéral 2008 contraste avec les précédents budgets. Plusieurs analystes ont souligné que l’essentiel avait déjà été dit lors de l’énoncé économique d’octobre 2007 où des allégements fiscaux totalisant 60 milliards de dollars ont été annoncés pour les années 2007 à 2012.
Malgré ces allégements, une fois prises en compte les nouvelles initiatives, un surplus de 10,2 milliards de dollars se dégage pour l’exercice se terminant le 31 mars 2008. Or, ce surplus crée une illusion d’abondance, comme quoi les surplus fédéraux seraient inépuisables.
Mais, en jumelant les allégements fiscaux accordés l’au- tomne dernier au ralentissement de l’économie canadienne qui point à l’horizon, la situation va pourtant bientôt changer.
À court terme, les surplus chutent à 2,3 milliards de dollars en 2008 et à 1,3 milliard de dollars en 2009. Ces montants sont en deçà de l’habituelle réserve de 3 milliards de dollars dont le gouvernement se servait comme mesure de prudence. Pour la première fois depuis 10 ans, le gouvernement fédéral se trou- verait avec une marge de manœuvre réellement inexistante pour exécuter le plan budgétaire des deux prochaines années.
Les données budgétaires corroborent donc l’étude du Fonds monétaire international (FMI) sur l’économie canadienne parue la veille du budget fédéral, où il était mentioné qu’une croissance économique de 1 p. 100 en deçà de la prévision du gouvernement canadien le conduirait en situa- tion déficitaire pour le prochain exercice financier.
En moins d’un an, la croissance économique réelle anticipée pour l’année 2008 a été significativement revue à la baisse. Alors qu’initialement, lors du budget de mars 2007, le gouvernement fédéral prévoyait une croissance économique réelle de 2,9 p. 100, en octobre dernier, lors de l’énoncé économique, il la diminuait à 2,4 p. 100, et le récent budget vient de réduire sa prévision pour 2008 à 1,7 p. 100.
En faisant une analyse régionale de la croissance économique prévue pour l’année 2008, les économistes du Mouvement Desjardins estiment, quant à eux, une croissance économique réelle nettement plus faible au Québec (1,1 p. 100) et en Ontario (0,5 p. 100) qu’en Alberta (3,0 p. 100).
Le budget fédéral 2008 pouvait-il faire fi des grands ajustements frappant le secteur industriel, singulièrement concentré en Ontario et au Québec? C’est encore plus vrai lorsque l’ombre d’un ralentissement économique ou mé‚me d’une récession plane sur les États-Unis, le principal marché d’exportations de ces provinces.
Dans ce contexte, sans vouloir critiquer l’idée d’appli- quer les surplus fédéraux à la dette, mais en considérant le remboursement de 27 milliards de dol- lars réalisé au cours des deux dernières années et en tenant compte du fait que son poids en pourcentage du PIB a déjà diminué de 68,4 p. 100 à 32,3 p. 100 en à peine 10 ans, une question se pose : Le gouvernement fédéral fait-il, tout bien considéré, le meilleur choix pour soutenir la croissance économique en versant l’entièreté de son surplus de 10,2 milliards de dollars pour l’année qui s’achève au rem- boursement de la dette?
Sur le plan de l’emploi, l’économie canadienne va bien, il n’y a jamais eu autant de Canadiens au travail. Notons qu’entre janvier 2005 et jan- vier 2008, il s’est créé 1 285 000 emplois hors du secteur de la fabrica- tion au Canada. Toutefois, la création nette d’emplois s’est élevée à un peu plus de 1 000 000, puisqu’elle cache une perte de plus de 280 000 emplois dans le secteur de la fabrication.
En fait, de ces emplois perdus, plus de 160 000 étaient en Ontario et près de 100 000 au Québec. Ainsi donc, c’est environ 92 p. 100 des 280 000 emplois manufacturiers perdus qui se trouvaient dans ces deux provinces.
En l’espace de trois ans, c’est pra- tiquement un emploi manufacturier sur six qui a disparu au Québec et en Ontario. Pour bien prendre la mesure du choc, ça équivaut à l’annonce de la fermeture de plus de 235 usines de taille équivalente à l’ancienne usine de GM à Boisbriand (1 200 emplois).
Entre jeter son argent par la fené‚tre en tentant d’éviter l’inévitable et rester les bras croisés à regarder les fermetures d’usines, il y a sûrement une stratégie de soutien à mettre en place.
Mais avant d’aider, il faut, d’abord et avant tout, cerner le problème auquel est confronté l’économie canadienne. En 2006, la productivité par heure tra- vaillée représentait 50 dollars au Canada (44 dollars au Québec) compa- rativement à 57 dollars aux États-Unis.
Le plus préoccupant, ce n’est pas tant d’avoir une productivité plus faible que nos principaux partenaires économiques, mais de savoir que l’écart de productivité qui existe avec eux a eu tendance à s’aggraver au cours des 25 dernières années.
Les principaux déterminants de la croissance de la productivité sont l’inno- vation technologique, le capital humain et le capital physique. Ce dernier facteur, essentiellement les machines et équipements des entreprises, croît moins rapidement au Canada où le taux moyen d’investissement en machinerie entre 1989 et 2006 se situait 16 p. 100 en dessous de celui des États-Unis. La situa- tion est encore plus marquée au Québec.
Le nerf de la guerre est donc là : un déficit d’investissement qui freine la croissance de la productivité. Or, pour que notre productivité s’accélère, la bougie d’allumage reste l’investisse- ment des entreprises dans leurs machines et équipements.
En janvier 2008, le gouvernement fédéral annonçait une aide aux secteurs traditionnels. La mise en place d’un fonds en fiducie visait notamment des villes monoindustrielles confrontées à d’importantes difficultés économiques, des communautés ayant un taux de chô- mage chronique élevé et des régions touchées par des mises à pied.
Mé‚me si ce fonds constituait un nouvel engagement, représentant un montant d’un milliard de dollars, il est loin d’avoir reçu un accueil favo- rable. L’aspect qui mérite certainement le plus de critiques reste la formule de partage de l’aide entre les provinces, établie au prorata de leur population.
Or, si près de 92 p. 100 des emplois perdus dans le secteur canadien de la fa- brication au cours des trois dernières années se trouvaient au Québec et en Ontario, la formule de partage ne leur accorde que 56 p. 100 de l’enveloppe budgétaire (respectivement 22 p. 100 et 36 p. 100). Paradoxalement, avec une perte d’à peine 5000 emplois, représentant moins de 2 p. 100 des emplois perdus au Canada pendant la mé‚me période, l’Alberta a droit à 10 p. 100 de l’aide totale, soit 100 mil- lions de dollars.
Avec cette aide, pourtant destinée aux secteurs en difficulté, nous avons un des cas les plus frappants pour illustrer l’incohérence d’une formule de partage au prorata de la population. Cette aide fédérale équivaut à 2 275 dollars pour chaque emploi perdu entre janvier 2005 et janvier 2008 dans le secteur de la fa- brication au Québec, à 2 200 dollars en Ontario comparativement à 20 175 dol- lars en Alberta.
N’existant pas avant 1996, la for- mule au prorata de la population pour partager les transferts du gouvernement fédéral vers les provinces représente une nouvelle tendance, qui peu à peu tend à s’imposer comme la norme (éducation, santé, aide sociale, etc.). Dans plusieurs cas, dont celui de l’aide au secteur industriel, la simple répartition des transferts fédéraux au prorata de la po- pulation ne peut se justifier.
Or, malgré les critiques, le gou- vernement fédéral n’a pas profité du dépôt de son budget pour revoir le mécanisme d’attribution de cette aide.
L’énoncé économique d’octobre 2007, l’énoncé économique mettait en place un plan de réduction de l’im- pôt fédéral des sociétés où le taux d’im- position était réduit à 19,5 p. 100 en 2008,à19p.100en2009,à18p.100 en 2010, à 16,5p.100 en 2011 et à 15 p. 100 en 2012. En outre, depuis le 1er janvier 2008, la surtaxe frappant les sociétés a été éliminée.
Nul ne peut nier qu’un taux d’im- position des sociétés plus faible favorise l’activité économique.
Mais, par définition, une réduction du taux d’imposition des bénéfices ne peut profiter qu’aux entreprises renta- bles. Pour les entreprises en difficulté, la réduction du taux d’impôt sur les profits ne signifie rien en l’absence de profit. Avec une baisse généralisée de l’imposition des sociétés, la valeur de l’aide offerte repose d’abord sur les résultats financiers de l’entreprise, sans égard au fait de se servir ou non de l’économie d’impôt pour investir.
De mé‚me, au printemps 2007, le gouvernement fédéral et celui du Québec ont, lors de leur budget, mis en place une mesure temporaire permet- tant d’amortir les investissements effectués dans les machines et le matériel acquis jusqu’au 31 décembre 2008 en appliquant un taux accéléré d’amortissement linéaire de 50 p. 100 sur deux ans. L’amortissement accéléré signifie simplement que le coût d’ac- quisition de l’actif peut é‚tre amorti plus rapidement que sa dépréciation économique réelle. Il faut bien com- prendre que l’amortissement accéléré n’augmente pas la valeur de l’amor- tissement accordé sur la durée de vie d’un bien, mais il en accélère son utilisation les premières années.
Les budgets 2008 d’Ottawa et de Québec viennent prolonger la date d’échéance de l’amortissement accéléré jusqu’à la fin 2011.
Contrairement à la réduction du taux d’imposition des sociétés, cibler l’aide fiscale à l’acquisition d’équi- pements assure que les entreprises auront nécessairement investi pour bénéficier d’économies d’impôt. Une bonne manière d’accroître leur pro- ductivité, mé‚me si deux éléments doivent é‚tre signalés.
D’une part, la prolongation de l’ap- plication de l’amortissement accéléré jusqu’en 2011 n’offre aucune aide addi- tionnelle aux entreprises ayant déjà prévu investir en 2008 dans de nou- veaux équipements, car la mesure exis- tait déjà jusqu’au 31 décembre 2008.
D’autre part, mé‚me si l’amortisse- ment accéléré affecte positivement la trésorerie de l’entreprise en réduisant son bénéfice imposable et l’impôt sur les profits s’y rattachant, cela n’est vrai que pour les entreprises rentables ; car passer plus rapidement à la dépense le coût d’acquisition d’un équipement ne procure pas d’avantage à une entreprise qui se trouve déjà en situation de pertes.
De par son fonctionnement, l’aide cible les entreprises à profits qui investissent sans pour autant é‚tre avantageuse pour les entreprises à pertes qui devraient pourtant investir pour redevenir rentables.
Dans son budget de mars 2007, le gouvernement fédéral a annoncé un incitatif financier provisoire pour aider les provinces à abolir à leur tour leurs impôts sur le capital.
Pour avoir droit à un paiement fédéral, une province doit abolir son impôt général sur le capital ou son impôt sur le capital des institutions financières, ou restructurer un impôt existant sur le capital des institutions financières pour le transformer en impôt minimum sur les institutions financières. Ces change- ments devront prendre effet au plus tard le 1er janvier 2011.
Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il agit de la sorte? D’abord, parce qu’il croît que l’imposition basée sur le capital est une forme nuisible d’imposi- tion. Par ailleurs, il faut comprendre que compte tenu de la déductibilité de la taxe sur le capital payée dans la déter- mination des impôts sur les bénéfices, une réduction de la taxe sur le capital d’une province a pour effet paradoxal d’accroître l’impôt sur les bénéfices que les entreprises bénéficiaires versent à Ottawa.
Par exemple, une société québécoise qui en 2008 voit sa taxe sur le capital diminuer de 50 000 dollars payera 9 750 dollars de plus en impôt fédéral sur ses bénéfices (50000dollars x 19,5p.100, taux pour les grandes entreprises). C’est pour prendre en compte cet effet que le montant de l’incitatif finan- cier offert aux provinces correspond au gain d’impôt fédéral sur le revenu des sociétés découlant des réductions admissi- bles de la taxe sur le capital d’une province.
L’incitatif est versé à l’égard de chaque exercice ou partie d’exercice compris entre le 19 mars 2007 et le 1er janvier 2011.
À la suite à cette annonce, il n’est donc pas surprenant que les provinces accélèrent le rythme pour éliminer leur taxe sur le capital. En décembre 2007, l’Ontario annonçait l’élimination de sa taxe sur le capital pour le secteur ma- nufacturier dès le 1er janvier 2008 et une réduction rétroactive au 1er janvier 2007 de plus d’un cinquième des taux pour toutes les sociétés assujetties.
Déjà dans son budget de mai 2007, le gouvernement du Québec annonçait l’accélération de l’abolition de sa taxe sur le capital d’ici 2011 en indiquant qu’il recevrait 63 millions de dollars du gouvernement fédéral pour le prochain exercice financier (2008-2009).
Le budget 2008 du Québec va encore plus loin en abolissant immédia- tement la taxe sur le capital pour toutes les entreprises du secteur manufacturier.
Mé‚me s’il est vrai que l’abolition immédiate de la taxe sur le capital envoie un très bon signal pour l’in- vestissement, il ne faut pas se faire d’il- lusions et y voir la panacée tant attendue pouvant régler le déficit d’in- vestissements des entreprises au Québec, car au fil des années plus de trois quarts des entreprises québécoises en avaient déjà été exonérées. En outre, soulignons que son abolition aidera indistincte- ment l’ensemble des entreprises manu- facturières qui y sont actuellement assujetties, sans égard au fait de procéder ou non à de nouveaux investissements.
Nous pouvons reprocher aux entre- prises d’avoir profité trop longtemps de la faiblesse du dollar cana- dien en exportant facilement aux États- Unis sans se soucier d’investir dans la modernisation de leur production. C’est sans doute vrai et elles en paient aujour- d’hui le prix. Cela étant dit, la moderni- sation de bon nombre d’entreprises exportant aux États-Unis reste cruciale pour les aider à accroître leur producti- vité pour faire face à la rapide ascension du dollar canadien.
En revanche, la nouvelle parité du dollar canadien avec le dollar améri- cain a pour impact positif de réduire le coût des machines et équipements importés, facilitant du mé‚me coup l’investissement des entreprises pour la modernisation de leur production.
Il faut tabler sur cette conjoncture pour aider les entreprises à se moderniser et de relever ainsi le défi de la mondialisation.
En plus d’enlever sa taxe sur le capital qui constituait un frein à l’investissement, le budget du Québec 2008 incite fiscalement les entreprises à inves- tir dans de nouveaux équipements.
La pertinence de mettre en place un crédit d’impôt à l’investissement s’ap- puie sur le fait (indiqué ci-dessus) que le taux d’investissement en machinerie des entreprises québécoises s’établissait en deçà de la moyenne canadienne alors que le taux canadien était lui-mé‚me déjà bien en dessous du taux américain.
Si l’investissement des entreprises dans leurs équipements est bon pour le Québec en général, il s’avère encore davantage nécessaire pour que ses régions surmontent les handicaps auxquels elles sont confrontées, pensons notamment à l’éloignement des marchés. En mettant en place un crédit d’impôt à l’investissement, le gouverne- ment cherche à soutenir l’investisse- ment privé dans l’ensemble du Québec, tout en prenant en compte la probléma- tique du développement régional. Le taux du crédit à l’investissement varie de5p.100à40p.100selonlarégion.
En comparant le budget 2008 du Québec à celui du gouvernement fédéral présenté quelques semaines plus tôt, la différence dans l’approche saute aux yeux.
La ministre des Finances du Québec, contrairement à son homo- logue fédéral et malgré le manque de moyens dont elle disposait, a mis l’ac- cent sur l’investissement en s’at- taquant autant qu’elle le pouvait à la productivité des entreprises québécois- es. Dans le contexte actuel, la pièce maîtresse du budget du Québec appa- raît rapidement comme l’élément manquant au budget fédéral.
Alors que le gouvernement fédéral disposait d’un surplus de 10,2 mil- liards de dollars pour l’exercice se ter- minant au 31 mars 2008 et que ses deux prochains exercices financiers s’annoncent d’ores et déjà des plus ser- rés, il y avait une occasion à saisir pour créer un programme destiné aux entre- prises qui font le choix d’investir dans l’acquisition d’équipements neufs.
Ce programme énergique et ponctuel est absent du budget fédéral 2008 pour compléter l’artillerie actuelle visant à soutenir l’économie canadienne. Sans remettre en cause les diverses initiatives déjà introduites comme la réduction des taux d’imposi- tion des sociétés, la fiducie pour les secteurs traditionnels, la prolongation de l’amortissement accéléré et l’aide fédérale offerte aux provinces pour abolir leur imposition du capital, le gouvernement fédéral aurait pu, à mé‚me son surplus de 10,2 milliards de dollars, introduire un fonds tempo- raire de « corvée modernisation ».
Avec moins de la moitié du sur- plus pour l’année en cours, il aurait été possible de développer un programme simple où le gouvernement aurait, pour chaque dollar d’investissement en nouvelle machinerie acquise dans les 12 prochains mois, versé à l’entre- prise une aide de 20 cents.
L’investissement des entreprises est un problème majeur. En con- séquence, l’aide proposée à l’in- vestissement doit é‚tre significative. Par exemple, une entreprise admissible qui ferait l’acquisition d’une nouvelle machine de un million de dollars recevrait un chèque de 200 000 dollars du gouvernement fédéral.
En agissant de la sorte, le gou- vernement fédéral aurait attaqué à la source le déficit d’investissements en incitant les entreprises à investir davantage, afin qu’elles deviennent plus productives, seule manière de sur- vivre dans une économie mondialisée.
Mais, pour cela, il aurait été néces- saire que le gouvernement fédéral se serve du contexte actuel, soit d’une forte montée du dollar canadien et d’un ralentissement économique qui point à l’horizon, pour administrer un électro- choc aux entreprises pour qu’elles investissent. Nul doute que cette néces- saire corvée de modernisation reste l’élément manquant du budget fédéral.