Depuis la publication du rapport Parent, la place de l’éducation au Québec s’est considérable- ment accrue. Au niveau universitaire, notre population s’est scolarisée plus rapidement que n’importe quelle autre en Amérique du Nord. Certains ont mé‚me parlé d’un « miracle québécois ». Les progré€s de la scolarisation et du développement universitaire au Québec sont des réussites spectacu- laires qui doivent é‚tre saluées. Il ne nous est cependant pas loisible d’en rester laÌ€. Des défis majeurs se présen- tent aÌ€ nous, des défis qui interpellent nos universités de manié€re critique aÌ€ la fois dans leur roÌ‚le universel et dans leur roÌ‚le de véhicule privilégié du développement du Québec.

Au premier chef, et sans reprendre le débat présocratique, il est clair que notre réalité empirique est en évolu- tion rapide. Il suffit de prendre pour exemple les nouveaux défis épidé- miologiques, les avatars des questions de sécurité nationale, l’impact des phénomé€nes naturels et climatiques extré‚mes, les bouleversements de l’échiquier politique, les problé€mes d’éthique que soulé€vent les progré€s scientifiques, les enjeux énergétiques, l’impact de la Chine et de l’Inde dans le commerce international, etc. Autant de questions qui requié€rent le développe- ment par la recherche de connaissances nouvelles, autant de questions qui requié€rent la formation de citoyens de mieux en mieux équipés pour y répon- dre, autant de questions qui justifient cette affirmation déjaÌ€ galvaudée selon laquelle la société qui se profile sera de plus en plus celle du savoir, autant de questions qui imposent aux universités d’évoluer pour é‚tre pertinentes.

Le deuxié€me défi a aÌ€ voir avec le déclin démographique qui confronte le Québec, au milieu de tous ces enjeux liés aÌ€ la mondialisation. Notre population vieillit. Dé€s 2012, la proportion de la po- pulation active va commencer aÌ€ dimi- nuer, tandis que des pays comme l’Inde et la Chine disposeront d’un bassin quasi illimité de main-d’œuvre qualifiée.

Dans ce contexte, notre atout prin- cipal est celui de la qualité. Il nous faut optimiser le développement de notre capital humain. L’innovation est la voie de l’avenir pour le Québec. Il nous faut augmenter l’accé€s et la participation aÌ€ nos programmes universitaires et offrir ce qu’il y a de mieux en enseignement supérieur. LaÌ€ encore, nos universités sont interpellées de manié€re critique. Mais, alors mé‚me qu’elles s’efforcent de relever ces défis, elles sont soumises aÌ€ une tension qu’on pourrait qualifier de schizophrénique en raison de l’état pitoyable de leurs finances ”” un état d’autant plus grave au Québec.

Il y a trois semaines, deux documents sont venus souligner la gravité de la situation. L’un est le manifeste « Pour un Québec lucide », l’autre est le « Rapport sur l’accé€s aÌ€ l’éducation » qui avait été commandé dans la foulée du Forum des générations aÌ€ un comité présidé par Michel Gervais.

Les deux documents font état du roÌ‚le vital de l’éducation pour l’avenir du Québec, soulignent la situation pré- caire de nos universités et réclament de toute urgence la tenue d’échanges sur le financement universitaire. En mé‚me temps, le rapport Gervais rappelle que en 1966, nous étions 41 p. 100 au Québec aÌ€ placer l’éducation en té‚te des priorités que devrait avoir notre gou- vernement, alors que aujourd’hui, nous ne sommes plus que 5 p. 100. Ces chiffres sont préoccupants, compte tenu de l’effort collectif qu’il nous fau- dra faire pour redresser la situation.

Pour se démarquer, nos universités doivent pouvoir tabler sur la qualité. Elles doivent également garantir l’ac- cé€s aux études, offrir la meilleure for- mation possible et é‚tre une source distinctive d’idées et de découvertes. Souvenons-nous qu’il s’agit laÌ€ de nos meilleurs atouts dans un contexte mar- qué par le déclin démographique et la mondialisation. Pour se prévaloir de tels atouts, il nous faut cependant dis- poser de ressources suffisantes. Et nous sommes tré€s loin de les avoir.

Sur ce point, rappelons que l’on a unanimement reconnu, il y a deux ans, lors de la Commission parlementaire sur le financement des universités, que le réseau universitaire québécois souf- frait d’un sous-financement relatif, par rapport au reste du Canada, de 375 mil- lions de dollars par année.

Depuis, la situation s’est détériorée. Sur la recommandation de l’ancien pre- mier ministre Bob Rae, le gouvernement ontarien de Dalton McGuinty annonçait au printemps dernier des investisse- ments de 8 milliards de dollars étalés sur cinq ans dans l’enseignement supérieur et la recherche. En Alberta, le gouverne- ment Klein vient de consentir une aug- mentation de plus de 30 p. 100 échelonnée sur trois ans au budget de l’enseignement supérieur.

Pour les universités québécoises, le sous-financement a des répercussions sur tous les aspects de la vie académique, et en particulier sur la taille des classes. L’Université de Montréal affiche actuellement un ratio de 22 étudiants par professeur, contre une moyenne de 19 au sein des grandes universités de recherche du reste du pays. Pour offrir le mé‚me taux d’encadrement que ses homologues canadiennes, l’Université de Montréal devrait embaucher 200 pro- fesseurs dé€s aujourd’hui. CouÌ‚t de l’opération : 20 millions de dollars.

En fait, les universités québécoises ne se sont jamais remises des coupes budgétaires qu’elles ont subies au milieu des années 90. Ces compressions se sont traduites par l’abolition de centaines de postes de professeur ”” en gros, l’équiva- lent du corps professoral de l’UQAM au grand complet. Certes, elles ont depuis regarni leurs rangs, notamment graÌ‚ce au réinvestissement consenti par le gou- vernement du Québec entre 2000 et 2002, mais le nombre de professeurs reste aujourd’hui inférieur aÌ€ ce qu’il était en 1994, tandis que le nombre d’étu- diants, lui, a augmenté.

Au-delaÌ€ des problé€mes de sous- financement particuliers aux uni- versités québécoises, il faut aussi réaliser que les universités canadiennes prises dans leur ensemble ne sont pas concur- rentielles par rapport aÌ€ celles des autres pays et des États-Unis en particulier. L’Association des universités et collé€ges du Canada estime que, entre 1980 et aujourd’hui, le financement gouverne- mental par étudiant du systé€me univer- sitaire public a augmenté de 25 p. 100 aux États-Unis pendant qu’il chutait de 20 p. 100 au Canada. En 2004, les revenus par étudiant des universités américaines du réseau public dépas- saient de 5 000 $ ceux des universités canadiennes ”” de 8 000 $ si l’on tient compte des droits de scolarité.

On doit s’occuper de cette ques- tion de manié€re urgente. Par le truche- ment du Conseil de la Fédération, les premiers ministres se sont entendus pour placer l’éducation postsecondaire au sommet de leurs priorités et ont prévu la tenue en janvier d’un forum sur la question coprésidé par MM. Charest et McGuinty.

Au cours des dernié€res années, le gouvernement fédéral a mis sur pied des programmes qui ont stimulé grandement la recherche universitaire canadienne, des programmes tels le programme des frais indirects de la recherche, la Fondation canadienne pour l’innovation et les Chaires de recherche du Canada. La stratégie d’in- novation est d’une telle importance pour le Canada que le temps est venu, je pense, de mettre sur pied aÌ€ l’échelle canadienne un plan ambitieux et inté- gré sur l’éducation postsecondaire.

Ce plan devrait comprendre des élé- ments de soutien direct et indirect aux universités. Il devrait consolider les programmes existants d’aide aÌ€ la recherche de manié€re aÌ€ accroiÌ‚tre les retombées des travaux de nos chercheurs et augmenter aÌ€ un niveau concurrentiel l’aide aux étu- diants des cycles supérieurs. Ce plan devrait aussi é‚tre assorti de transferts afin de subvenir aux opérations générales des universités et d’accroiÌ‚tre leur capacité d’accueil et d’encadrement au premier cycle.

Reste que, pour le Québec, il est impérieux de mettre sur pied, comme le réclament le manifeste Bouchard et le rapport Gervais et comme l’annonce le ministre de l’Éducation Jean-Marc Fournier, une table pour examiner et résoudre sans tarder la question du sous-financement relatif des univer- sités québécoises.

Adoptons une approche qui pri- vilégie l’ouverture et la raison. Regardons les faits, appuyons-nous sur nos valeurs et trouvons des solutions. 

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