Lorsque la question des fusions bancaires a été soulevée en 1998 avec le projet de fusion de quatre grandes banques canadiennes en deux institutions, les petites entreprises se sont fermement opposées au projet. A l’époque, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) avait sondé ses membres et établi que 66 p.100 d’entre eux s’opposaient au projet. Cette position s’expliquait par la concentration excessive et par le manque de concurrence qui caractérisaient déja le secteur bancaire. Compte tenu de cette situation, il était difficile de voir en quoi une plus grande concentration servirait l’intéré‚t du public.

Depuis, bon nombre de recommandations du rapport du groupe de travail MacKay (1998) ont été adoptées et les lois régissant les institutions financiéres ont été modifiées pour faciliter, entre autres, l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et un meilleur accés aux données permettant de suivre l’évolution des tendances. Malgré tous ces changements positifs apportés au contexte réglementaire, la concurrence ne s’est pas accrue. A vrai dire, la poursuite des fermetures de succursales et l’acquisition de Canada Trust par la Banque TD ont fait que le nombre d’acteurs d’importance a plutot diminué par rapport a 1998. Dans ce contexte, il est difficile de voir en quoi le projet de fusion présentement a l’étude serait plus acceptable que celui proposé il y a cinq ans. A l’époque, la FCEI avait dressé une liste de questions sur lesquelles les Canadiens devraient se pencher avant d’aller de l’avant avec ce projet, et cette liste demeure pertinente aujourd’hui.

Un des principaux motifs militants contre les fusions en 1998 était l’impact négatif qu’elles auraient sur les PME. Compte tenu du role de plus en plus important que jouent les petites entreprises dans l’économie du pays, il s’agissait d’un argument fondé. Comme le montrent les tableaux ci-joints, au Canada, le secteur des entreprises est dominé par les PME, et leur contribution au PIB et a

 

l’emploi s’est accrue de maniére soutenue au cours des 25 derniéres années si bien qu’elles sont aujourd’hui a l’origine de prés de la moitié de l’activité économique et de l’emploi.

Par conséquent, ce qui se passe dans le secteur des PME a une incidence majeure sur l’ensemble de l’économie canadienne. Cela a été clairement démontré au cours des quelque 18 derniers mois, alors que les perspectives économiques des dirigeants de petites et moyennes entreprises demeuraient optimistes, tandis que les grandes entreprises s’enlisaient dans la morosité et que les marchés boursiers restaient déprimés. En dépit du malaise dans les grandes entreprises, l’économie canadienne a connu au chapitre de la création d’emploi une année sans précédent en 2002, avec plus d’un demi-million de nouveaux emplois, la plupart dans des petites et moyennes entreprises. Malgré une certaine incertitude aÌ€ l’horizon, les données récentes montrent que les perspectives économiques des dirigeants canadiens de PME demeurent optimistes pour 2003. Compte tenu de l’apport de l’économie « hors marché boursier », il faut a tout prix éviter que la vitalité de ce secteur ne soit minée par une politique malavisée.

Selon une étude récente ou étaient comparées des PME canadiennes et américaines, les firmes du Canada sont tout aussi novatrices et entrepreneuriales que leurs homologues des Etats-Unis, mais la croissance des premiéres se bute beaucoup plus souvent a des obstacles que les secondes, et la disponibilité de sources de financement en est un des principaux. Les données les plus récentes montrent que l’inquiétude des PME a cet égard a atteint un niveau historique au cours du troisiéme trimestre de 2002, puisque pres de 40 p.100 des chefs de PME disaient a ce moment qu’ils étaient inquiets a ce sujet. Le récent resserrement du crédit, par suite de facteurs comme les pertes des banques dans le secteur de la technologie, n’a pas été aidé la situation. Grace aux données de la Banque du Canada, on sait également qu’au cours de la derniére décennie, les préts des banques aux grandes entreprises ont connu une croissance marquée tandis qu’ils ont plus ou moins plafonné pour les PME. Méme sans la perspective des fusions bancaires, l’imminence d’un resserrement du crédit qui risque d’avoir des répercussions trés négatives sur les petites entreprises est inquiétante.

Au cours des derniéres années, un recul marqué de certaines grandes banques canadiennes sur le marché des petites entreprises a pu étre observé. Nous croyons qu’un repli tel que celui qu’ont connu RBC Groupe Financier et la CIBC n’arrive pas par accident mais est plutoÌ‚t le fait d’une stratégie délibérée. Ainsi, mé‚mes dans les conditions actuelles du marché, l’accés au crédit auprés des sources traditionnelles régresse pour les PME. Ce phénoméne est encore plus prononcé dans certains marchés régionaux et ruraux par suite de la répartition géographique des diverses banques. Par exemple, si le projet de fusion entre la Banque de Montréal et la Banque Scotia s’était concrétisé, la nouvelle banque détiendrait 60 p.100 du marché a Terre-Neuve. Et malgré quelques incursions limitées d’autres joueurs au cours des derniéres années, ceux-ci ne peuvent tout simplement pas offrir la gamme compléte de services financiers dont la moyenne des petites entreprises a besoin.

Certaines banques ont suggéré que des mesures comme la promesse de conserver les succursales rurales pendant quelques années, le maintien des niveaux de crédit aux petites entreprises, et la restriction des mises a pied et de la vente des succursales excédentaires a d’autres acteurs permettraient de réduire les oppositions aux fusions. Nous croyons que de telles mesures seraient inefficaces et ne feraient, dans certains cas, que retarder l’inévitable. La seule facon d’assurer que les petites entreprises et tous les Canadiens recevront un service adéquat a long terme consiste a augmenter le niveau de concurrence dans le secteur avant méme de songer aux fusions.

Cet article est tiré de leur présentation devant le Comité permanent de la Chambre des communes sur les finances, le 28 janvier 2003.

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