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Le gouvernement du Québec n’a pas manqué d’audace en proposant une baisse d’impôts dans son plus récent budget. Il semble en revanche avoir mis au rancart un objectif phare de sa stratégie de développement économique: combler l’écart de niveau de vie avec l’Ontario d’ici 2036. Or, si cet objectif n’est pas ramené à l’avant-plan, les conséquences risquent d’être particulièrement importantes pour l’économie québécoise.

Bonne cible, mauvais plan

Dans un rapport publié en marge du dépôt du budget, le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers a conclu que l’objectif de rattraper l’Ontario d’ici 2036 devait constituer un seuil minimal à atteindre si la province souhaite réduire le retard économique cumulé face aux économies du groupe OCDE19 (essentiellement, les pays les plus riches).

Et pour cause : à l’instar de l’ensemble du Canada, qui risque d’être relégué en peloton du groupe OCDE19 d’ici 2060, l’Ontario est en perte de vitesse par rapport aux principales économies occidentales. Cela signifie que si le Québec ne rattrape pas son voisin, son retard économique à l’échelle de l’OCDE sera encore plus important qu’il ne l’est actuellement.

En principe, des actions concrètes ont déjà été initiées pour rattraper l’Ontario. En plus d’avoir inscrit la productivité au cœur de la récente Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation, et dans différents plans d’action déposés, notamment en matière d’allègement réglementaire et administratif et de relance des exportations, le gouvernement estime avoir « pris plusieurs initiatives importantes pour favoriser la productivité des entreprises, particulièrement en matière d’investissement » (Budget 2022-2023 – Plan budgétaire, page E7).

L’aberration de la création d’emplois

Mais en pratique, la stratégie déployée par l’appareil gouvernemental risque d’être vaine. En dépit des changements de forme proposés au cours des dernières années, le cœur de la stratégie de développement économique du Québec repose toujours sur une approche fiscale dédiée à la création d’emplois.

Non seulement s’agit-il d’une aberration dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre, mais cette approche va à l’encontre des besoins de l’économie en induisant des distorsions dans l’équilibre de la concurrence, alors que c’est précisément le manque de concurrence qui freine le développement de l’économie québécoise – et canadienne.

Rappelons qu’en plus des contraintes naturelles qui caractérisent le territoire canadien, le cadre institutionnel et réglementaire canadien va à l’encontre des forces de la concurrence sur le marché intérieur en donnant préséance à la protection des emplois et à la croissance de la taille des entreprises. Cette réalité est exacerbée par les politiques publiques québécoises en matière de développement économique, qui donnent elles aussi préséance à l’emploi et aux grandes entreprises plutôt que de miser sur les forces de la concurrence pour accroître la compétitivité de son économie et, ultimement, sa productivité, qui détermine notre niveau de vie.

Dans un tel contexte, une importante réforme de la stratégie de développement économique doit rapidement s’amorcer pour sortir l’appareil gouvernemental québécois de sa logique de protection des emplois.

Donner au Québec les moyens de ses ambitions

En contraste avec la tendance des 25 dernières années, cette réforme devra assurer le développement d’un environnement économique qui favorisera la performance d’un maximum d’entreprises plutôt que sélectionner et supporter les soi-disant meilleures, en espérant vainement que des incitations fiscales pour quelques-unes d’entre elles (prêts, subventions) génèrent des résultats pour la masse d’entreprises restantes.

Sur le fond, une importante réflexion devra donc s’amorcer pour sortir l’appareil gouvernemental de sa logique de protection des emplois et de croissance de la taille des entreprises, et ainsi réorienter sa politique industrielle de manière à générer les incitations qui seraient normalement offertes par un marché concurrentiel, afin d’encourager les petites entreprises à se compromettre dans ce type d’activité. D’ici là, le gouvernement pourra agir rapidement en améliorant la compétitivité du régime fiscal propre aux petites entreprises.

Plutôt que de continuer à proposer des crédits d’une autre époque à un petit nombre d’entreprises, le gouvernement obtiendra assurément de meilleurs résultats en réduisant le fardeau fiscal que l’ensemble des entreprises supportent.

Un bon premier pas serait d’abolir la cotisation aux fonds des services de santé, une taxe qui prélève des milliards chaque année sur la base de la masse salariale des entreprises – qu’elles fassent des profits ou non –, et dont les effets pervers ont été largement démontrés.

En somme, au lieu de tenter de déterminer artificiellement à l’avance les entreprises qui seront gagnantes, le gouvernement du Québec ferait mieux de créer le climat le plus favorable pour toutes les entreprises, sans favoritisme et avec des règles égales pour toutes, afin que les meilleures gagnent. Les Québécois y gagneront aussi.

Pour plus de détails, consultez : Jonathan Deslauriers, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité et prospérité au Québec – Bilan 2022, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Mars 2023

Aussi de Jonathan Deslauriers et Robert Gagné : Le puzzle de la productivité canadienne

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Jonathan Deslauriers
Jonathan Deslauriers est directeur exécutif du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers
Robert Gagné
Robert Gagné est professeur titulaire à HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers

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