Lutter contre la pauvreté n’est pas facile. La pauvreté constitue un problème complexe, multidimensionnel et épineux, ce qu’on appelle en anglais « a wicked problem ». Plusieurs solutions semblent plausibles, sans qu’aucune ne se démarque clairement. Comment y arriver ?

On peut d’abord miser sur la croissance économique et l’emploi. C’est la solution préférée de ceux qui valorisent le libre fonctionnement du marché. Si l’activité économique est vigoureuse et que presque tout le monde travaille, on vaincra la pauvreté, non ?

Eh bien non, justement. La croissance n’est pas suffisante en elle-même. Dans son rapport phare Croissance et inégalités, paru en 2008, l’OCDE – une organisation de pays généralement riches et qui partagent tous une économie de marché – démontrait qu’en dépit d’une croissance soutenue et d’un haut niveau d’emploi dans les pays membres à partir des années 1990, les inégalités et la pauvreté n’avaient pas reculé, au contraire. Le titre de la version anglaise, Growing Unequal, était encore plus évocateur quant à la présence simultanée d’une croissance forte et d’inégalités en hausse.

Une seconde approche de lutte contre la pauvreté fait référence à ce qu’on pourrait appeler l’investissement social. Il s’agit de développer un ensemble de services sociaux qui facilitent l’intégration économique et sociale des personnes démunies. En bref, on estime qu’il vaut mieux « préparer que réparer ». Les services de garde financés par l’État constituent sans doute le programme emblématique de cette approche. En offrant de bons services de garde à faible coût, on facilite l’intégration au marché du travail des femmes en âge d’avoir de jeunes enfants et, en plus, on prépare mieux les enfants à l’école. Les effets positifs de cet investissement sur la croissance, l’emploi et la réduction de la pauvreté sont démontrés.

Mais cette solution n’est pas parfaite non plus. D’une part, elle ne bénéficie pas aux personnes seules ou sans enfants, la catégorie sociale la plus touchée par la pauvreté. D’autre part, elle ne rejoint pas tous les ménages également. Une étude sur l’introduction des services de garde montre que partout, comme au Québec, les familles plus favorisées accèdent davantage que les autres à une place dans les services de bonne qualité. On parle de l’« effet Mathieu » pour décrire ce phénomène, en référence à un passage de la Bible qui dit que l’on donne plus à ceux qui sont déjà riches.

Donnez au suivant

Si l’emploi et des services publics améliorés ne suffisent pas, il reste les transferts sociaux. Après tout, comme le chante Plume Latraverse, le problème des pauvres c’est qu’ils n’ont pas d’argent. L’efficacité de transferts généreux pour réduire la pauvreté n’est plus à démontrer. L’introduction en 2016 de la nouvelle allocation canadienne pour enfants, par exemple, a de toute évidence contribué à réduire la pauvreté au pays. La mise en place de mesures d’urgence pour soutenir les revenus pendant la pandémie constitue à cet égard une sorte d’expérience naturelle qui permet de voir comment les gouvernements peuvent agir contre la pauvreté.

Les plus pauvres encore laissés de côté

Destinés à maintenir les revenus pendant le pire de la crise, ces programmes temporaires n’étaient pas très bien ciblés et ils représentaient parfois plus que les revenus perdus. Mais ils ont tout de même contribué à réduire la pauvreté. Les données pour en juger, qui se rendent jusqu’à l’année 2020, ont été rendues publiques à la fin mars par Statistique Canada.

Les constats sont frappants. Au Québec, le taux de pauvreté a chuté de près de la moitié entre 2019 et 2020, passant de 8,9 % à 4,8 % de la population. C’est plus de progrès que pour les trois années précédentes ! La chute a été proportionnellement encore plus forte chez les moins de 18 ans, qui ont vu passer leur taux de pauvreté de 6,3 à 2,3 %. En tous les cas, il s’agit de creux historiques.

 

Le taux de pauvreté baissait déjà avant la pandémie à cause de la bonne situation économique et de l’amélioration des transferts, pour les enfants et les personnes âgées en particulier. Mais la pauvreté a encore diminué pendant la première année de la pandémie, un effet que Statistique Canada attribue aux mesures d’urgence mises en place par les gouvernements. Ces mesures étaient largement le fait du gouvernement fédéral, mais le Québec s’est tout de même démarqué pour devenir la province la moins affectée par la pauvreté, détrônant l’Alberta.

Partout au Canada, la pauvreté a diminué en 2020. Mais c’est le Québec qui a atteint le niveau le plus bas à 4,8 %, ce qui suggère que les politiques des provinces ont également un impact. Comme la mesure du panier de consommation est révisée chaque décennie pour tenir compte des résultats d’enquêtes sur la consommation, il n’est pas possible de comparer les données de l’année 2020 directement avec celles des années antérieures à 2015. On peut tout de même mettre les différentes séries en parallèle pour jauger les tendances à long terme.

Ces données laissent bien voir l’importance des révisions de la mesure du panier de consommation, qui produisent des résultats assez différents lorsque les années se recoupent. Mais elles permettent aussi de voir que, depuis 2002, la tendance est à la baisse, et ce de façon de plus en plus marquée.

La mesure du faible revenu (MFR), qui place le seuil de la pauvreté à 50 % du revenu médian canadien, incite cependant à la prudence. Imparfaite, notamment parce qu’elle compare les bas revenus des Québécois à une médiane canadienne plutôt qu’à une médiane québécoise, cette mesure montre tout de même la difficulté de faire bouger les taux de pauvreté, et le caractère proprement exceptionnel de l’année 2020. Cette singularité de l’année 2020 apparaît aussi lorsque l’on considère une mesure des inégalités, le coefficient de Gini.

Plus le coefficient de Gini est élevé, plus les inégalités sont prononcées. Ainsi, le coefficient pour les revenus de marché est plus haut que celui pour les revenus après impôts et transferts. Autrement dit, l’intervention de l’État rend la société plus égalitaire. On constate également que la situation ne change que lentement à travers les années, avec une tendance lente à la baisse des inégalités.

Un effort exceptionnel, des résultats exceptionnels

Ce que montre surtout la figure 4, c’est encore une fois le caractère singulier de l’année 2020. Alors même que les inégalités augmentaient pour les revenus de marché, les inégalités après impôts et transferts ont diminué. Dans un contexte de pandémie, les gouvernements ont réussi à faire reculer les inégalités, grâce à un effort exceptionnel de redistribution.

La pandémie n’a pas frappé tout le monde également. Les personnes démunies ont été plus touchées par la maladie, les pertes d’emploi, les baisses de revenus et l’isolement social. En même temps, la crise sanitaire a amené les gouvernements à intervenir davantage, ce qui a fait reculer les inégalités et la pauvreté, au moins pour l’année 2020. Ce constat montre, une fois de plus, comment les politiques de redistribution peuvent faire une différence face aux inégalités et à la pauvreté.

Pour les années qui suivent 2020, le bilan reste évidemment à faire. Les mesures d’urgence sont des interventions temporaires et on peut penser que le retour à la normale contribuera à faire remonter la pauvreté et les inégalités. L’inflation et le prix du logement mettent également à mal le budget des personnes démunies et pourraient contribuer à une hausse de la pauvreté. On peut tout de même faire un bilan positif de l’intervention gouvernementale dans la première année de la pandémie.

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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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