(Cet article a été traduit de l’anglais).

Le gouvernement fédéral a commencé à chercher des moyens d’assurer que les jeunes accusés en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sont redirigés, par les policiers et les tribunaux, vers des programmes et des services offrant un soutien global. Il est crucial que ce réseau de soutien reflète une approche collaborative entre les programmes et services gouvernementaux et les organismes à but non lucratif et communautaires qui touchent, mais sans s’y limiter, le soutien scolaire, l’aide à l’emploi, la santé mentale, le soutien familial, le mentorat et la réduction de l’isolement social.

Dans le cadre de ces programmes et services, For Youth Initiative, l’organisme pour lequel je travaille, a reçu des fonds fédéraux pour financer un programme complet d’intervention antigang d’une durée de trois ans.

Les efforts déployés par le gouvernement sont encourageants, mais l’approche « un pas en avant, deux pas en arrière » perdure lorsqu’on s’attaque à la criminalité chez les jeunes. Par exemple, Sécurité publique Canada a organisé un Sommet sur la violence liée aux armes à feu et aux gangs en mars 2018, auquel ont participé des représentants des gouvernements provinciaux et fédéral, des services policiers, des collectivités et des organisations autochtones,  dans le but de lutter contre la violence liée aux armes à feu, la possession illégale d’armes à feu et pour « rendre les jeunes vulnérables moins susceptibles de succomber au “leurre pernicieux” des activités des gangs ». Cependant, la surreprésentation à ce sommet des services policiers et des universités combinée à la sous-représentation des services sociaux et communautaires œuvrant auprès des jeunes révèle qu’une presbytie tenace empêche de percevoir les causes profondes de l’utilisation d’armes à feu par les jeunes, de l’implication des jeunes dans les gangs, de leur recours à la violence et, de façon plus générale, de la perpétration d’actes criminels. Ce constat est d’autant plus vrai en ce qui concerne les communautés historiquement marginalisées au Canada.

Le discours des intervenants de l’ordre public sur les armes à feu et les gangs est avantageux sur le plan politique, mais propose peu de solutions pour obtenir des résultats concrets. Et la population n’est pas au courant des nombreuses données existantes sur les mesures efficaces et globales pour contrer la criminalité chez les jeunes.

Il faut déployer plus d’efforts pour améliorer la justice pour les victimes comme pour les auteurs d’actes criminels et leurs communautés, et adopter une approche holistique afin de préparer la jeunesse pour l’avenir et de lui offrir de réelles possibilités de réaliser son plein potentiel. Ce sont ces mesures qui éloigneront les jeunes des armes à feu, des gangs, de la violence et de la criminalité.

Si on veut améliorer le système de justice pour les jeunes, il faut admettre que son fonctionnement actuel s’appuie sur des critères inéquitables.

Si on veut améliorer le système de justice pour les jeunes, il faut admettre que son fonctionnement actuel s’appuie sur des critères inéquitables. Le déséquilibre aux plans racial et économique entre la population incarcérée et libre constitue la preuve la plus accablante de notre dépendance envers les services policiers, les tribunaux et les prisons.

Le gouvernement canadien doit enfin reconnaître que les services policiers, les tribunaux et les prisons ne sont pas des solutions à la criminalité, mais plutôt les outils d’un système qui marginalise encore plus les communautés historiquement opprimées, en particulier les communautés autochtones et noires. Les données sur la surreprésentation des Canadiens autochtones et noirs dans les prisons sont semblables à celles des États-Unis sur la population noire en prison.

Parmi les jeunes hommes incarcérés en Ontario, le nombre d’Autochtones et de Noirs est cinq fois et quatre fois plus élevé que leur proportion dans la population générale des jeunes hommes.

De plus, selon les recherches, la violence et la criminalité des jeunes se concentrent dans les communautés marginalisées, notamment autochtones et noires, ce qui laisse entendre que cette criminalité est liée à l’aliénation, aux inégalités économiques et à la montée de la colère et du ressentiment.

À Toronto, par exemple, on constate des inégalités de longue date dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, des revenus, du logement et de la santé. Ces écarts ne sont pas seulement concentrés géographiquement, mais ils sont fondés aussi sur la race, la classe sociale et le sexe.

Il est temps que le Canada mette en place des politiques qui s’attaquent aux causes profondes de la criminalité au sein des communautés où vivent les jeunes.

Assurer une justice équitable requiert un solide investissement dans la petite enfance et dans une offre de débouchés pour les jeunes des communautés les plus marginalisées. Ce sont des voies plus responsables, sur les plans fiscal et social, vers la réduction de la criminalité et de la violence. Les avantages seront potentiellement énormes, car nous pourrions mieux répartir les ressources qui sont affectées maintenant aux services policiers, aux tribunaux et aux prisons, pour y inclure des partenaires des communautés et des services sociaux. Il faut agir en ce sens si l’on veut mettre l’accent moins sur la criminalité chez les jeunes et plus sur une meilleure justice ; cette visée va bien au-delà du seul maintien de l’ordre et nécessite la mobilisation de nombreux partenaires.

Les services policiers ont dorénavant la possibilité de devenir des partenaires d’organismes communautaires et de services sociaux qui s’appuient déjà sur des travailleurs communautaires et sociaux et des intervenants auprès des jeunes. Partout au pays, les services policiers prennent conscience de la nécessité de fournir des services plus efficaces tout en devant gérer des budgets de plus en plus considérables, contrer les mauvais traitements à l’égard des communautés vulnérables, répondre à des demandes accrues de collaboration avec les communautés et s’adapter aux avancées technologiques.

À Toronto, par exemple, le service de police et les décideurs abordent ces difficultés de différentes manières depuis plusieurs années ; leurs préoccupations indiquent que c’est le moment opportun de collaborer avec les agences de services sociaux pour offrir une meilleure justice aux jeunes.

En 2012, le service de police de Toronto a tenté de répondre à des allégations de racisme et de discrimination en proposant la Police and Community Engagement Review (PACER). Le rapport issu de cet examen contient 31 recommandations axées sur la reddition de comptes, la gouvernance, les consultations communautaires, les normes professionnelles, les ressources humaines, la gestion du rendement, la gestion de l’information, l’amélioration des opérations, les activités policières fondées sur le renseignement, les communications intégrées et la gestion de projets.

De plus, le service de police de Toronto a mis en place en 2017 un groupe de travail sur les transformations dans le but de mieux cerner les attentes prioritaires du public à l’égard du service policier, d’accueillir des partenariats pour créer des collectivités plus sûres et de mieux déceler les besoins complexes d’une grande ville.

Ces deux projets à Toronto mettent en lumière le travail d’un service de police, qui va bien au-delà des arrestations, des condamnations et des emprisonnements. Le service de police a besoin de plus de partenaires qui connaissent bien les différentes communautés. Sur le plan économique, ces projets permettront une utilisation plus efficace des deniers publics en vue d’améliorer la justice pour les jeunes. Les économies réalisées grâce aux investissements dans les services sociaux et le travail communautaire pourront servir à financer d’autres infrastructures de lutte contre les inégalités sociales, politiques et économiques qui mènent les jeunes à la criminalité.

En réorientant les priorités des services policiers ― trop centrés sur les arrestations et les processus judiciaires et d’incarcération ― et en dirigeant les jeunes de moins de 18 ans vers des services de justice pour les jeunes, on pourra mieux tenir compte des causes de leurs actes criminels.

Si nous étendons davantage ces actions, une collaboration entre les services de maintien de l’ordre et les services axés sur la justice pour les jeunes pourrait très bien transformer la nature même des interactions entre les policiers et les Noirs, les Autochtones et d’autres jeunes marginalisés et leurs communautés. En réorientant les priorités des services policiers ― trop centrés sur les arrestations et les processus judiciaires et d’incarcération ― et en dirigeant les jeunes de moins de 18 ans vers des services de justice pour les jeunes, on pourra mieux tenir compte des causes de leurs actes criminels.

Mon travail à For Youth Initiative signifie que le gouvernement fédéral reconnaît le besoin de trouver de nouvelles solutions. Le programme est une réussite, comme en font foi les partenariats que nous avons établis avec différentes agences de maintien de l’ordre tout en restant centré sur le travail avec les communautés. Parmi les plus de 100 jeunes ayant bénéficié de notre programme depuis trois ans, seulement 6 % ont récidivé. Mais ces 6 % avaient toujours accès au soutien et aux services de For Youth Initiative, ce qui a réduit les possibilités d’activités criminelles futures. Qui plus est, à la fin du programme, les participants ont noté qu’ils obtenaient de meilleurs résultats scolaires, qu’ils avaient plus de facilité à l’école, qu’ils avaient le sentiment grandissant d’être soutenus et qu’ils pouvaient compter sur un réseau d’aide plus étendu ; leurs activités criminelles avaient également diminué.

Toutefois, malgré ce succès de For Youth Initiative et de programmes semblables, le financement des gouvernements et les partenariats établis avec eux demeurent inconstants et évoluent rarement au-delà de l’étape pilote.

Il est impératif que le Canada accroisse sa participation à de tels programmes afin d’améliorer la justice pour les jeunes, car le recours aux dons et à d’autres types de collectes de fonds ne permet pas aux organismes à but non lucratif de survivre. Les gouvernements ne peuvent pas continuer à déléguer ce travail aux services communautaires et sociaux partenaires sans leur consentir des ressources appropriées et travailler avec eux.

Ces initiatives ne sont pas les seules solutions pour contrer les injustices raciales et économiques ; elles peuvent néanmoins servir d’exemples, car elles permettent de lutter contre les mécanismes systémiques des injustices. Il est temps que le Canada agisse afin d’améliorer la justice pour les jeunes.

Cet article fait partie du dossier Une vision élargie de la réforme du système de justice pénale

Photo : Shutterstock/By Photographee.eu


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Yafet Tewelde
Yafet Tewelde is a community activist and PhD candidate at York University specializing in Black studies, critical race theory, multiculturalism, and policing.

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