La santé est un enjeu mondial. La capacité du Canada de prévoir, de prévenir et d’endiguer la propagation des maladies infectieuses est indissociable de celle du reste du globe d’en faire autant. Mais à ce jour, on a surtout évalué la réaction du Canada à la pandémie de COVID-19 en fonction des mesures qu’il a prises sur son propre territoire.

Et il y a eu des manquements sur plusieurs fronts : insuffisance des tests de dépistage, faibles réserves d’équipements de protection individuelle (EPI) et de respirateurs, omission des provinces de partager avec Ottawa leurs données de santé (un besoin pourtant établi dès la crise du SRAS, ou syndrome respiratoire aigu sévère), et situation déplorable (exacerbée par la pandémie) dans nombre d’établissements de soins de longue durée. Les rares fois où le Canada s’est tourné vers l’extérieur, ce fut d’abord pour se féliciter d’avoir évité la flambée en cours aux États-Unis.

Or, par définition, la pandémie est mondiale. Il nous faut donc examiner si le Canada a négligé son rôle international et favorisé ainsi la propagation du virus, au pays comme à l’étranger.

Les collaborateurs de notre ouvrage collectif, Vulnerable: The Law, Policy and Ethics of COVID-19, rappellent certaines vérités que les experts en santé mondiale martèlent depuis des décennies. Ils montrent aussi qu’en 2020, il suffit de quelques heures et non plus d’années pour que les maladies infectieuses traversent les frontières à bord de vols intercontinentaux.

Mais si une majorité de pays riches continuent de fixer les règles internationales de préparation et de réaction aux épidémies, on peut douter que les nations moins nanties pourront s’en prémunir. Les menaces sanitaires mondiales, du réchauffement climatique à la résistance aux antimicrobiens en passant par la résurgence des maladies infectieuses, ont confirmé l’interdépendance des facteurs de santé et la plus grande vulnérabilité de certains individus, groupes et pays. À moins de traiter les causes de cette vulnérabilité, personne ne pourra se protéger adéquatement.

Comme on l’a démontré, la pauvreté est un facteur clé de propagation du coronavirus. Elle vulnérabilise ceux qui en souffrent et limite leur capacité de se protéger de menaces imminentes. Logements insalubres et surpeuplés, maladies préexistantes et systèmes de santé sous-équipés : lorsque ces trois conditions sont réunies, le virus se propage plus vite et plus largement. La distanciation sociale – mesure préventive essentielle – est un luxe réservé aux classes moyennes et supérieures.

À partir de janvier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a exhorté tous les pays à tester, confiner, dépister et traiter leurs populations. Et nombreux sont ceux qui n’ont pas attendu ses recommandations pour fermer leurs frontières.

À l’instar de la Chine et de l’Italie, la plupart ont généralisé à la mi-mars la mise en quarantaine ou le confinement. Mais il reste à expliquer comment et pourquoi leurs dirigeants ont décrété des mesures d’une telle ampleur. Car le confinement n’était ni la seule ni la plus efficace des options. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI), il a causé d’immenses préjudices à des centaines de millions de gens.

Étant donné la quasi-impossibilité de respecter la distanciation physique dans nombre de PRFI et l’incapacité de leurs gouvernements d’assurer un filet social à leurs citoyens confinés, la gestion scientifique « universelle » de la pandémie a eu des conséquences désastreuses.

À Bombay en Inde, des travailleurs migrants ont marché le long des autoroutes en mai 2020 pour regagner leurs foyers pendant le confinement imposé dans tout le pays. Shutterstock.com, par Manoej Paateel

En Inde, des millions de migrants ruraux-urbains qui survivaient de petits boulots se sont retrouvés sans travail ni argent pour se loger. Ils ont dû marcher des centaines de kilomètres pour regagner leurs villes et villages ancestraux. Ailleurs, des millions d’habitants entassés dans des bidonvilles ne disposent toujours d’aucun des moyens indispensables à la vie en confinement : eau propre, sanitaires, espace, réfrigérateurs, accès internet, économies pour se nourrir. En désespoir de cause, certains qui s’étaient aventurés au-dehors en quête de travail ou de denrées ont été violemment battus par la police pour s’être déconfinés.

Tandis que chaque pays s’efforce plus ou moins judicieusement d’endiguer la pandémie, les premiers retours d’expérience révèlent l’urgente nécessité d’un organisme central dont les ressources permettraient d’étayer scientifiquement les mesures et traitements les mieux adaptés aux différentes régions du globe, puis de leur apporter l’aide supplémentaire dont ils ont besoin. Devenu le souffre-douleur de nombreux pays, l’OSM prétend néanmoins que son budget annuel d’à peine 4,8 billions de dollars suffit à couvrir tous les programmes de santé de la planète. Ses pays-membres ayant refusé d’accroître leurs cotisations, il s’est ainsi fortement politisé depuis qu’il dépend de la générosité des États-nations et des fondations.

Une concurrence effrénée a resurgi sur la question des vaccins, après avoir dicté la course aux respirateurs et aux EPI. Quel pays découvrira le premier vaccin, qui l’obtiendra en priorité, sera-t-il distribué aux PRFI ? Autant de questions en suspens. Le 4 mai dernier, les pays du G20 (sans la Russie ni les États-Unis) ont fait équipe avec de grands philanthropes pour rassembler près de 8 billions d’euros (environ 12,3 billions $CAN) au profit de la recherche-développement sur les diagnostics, traitements et vaccins. Ils ont promis d’en faire un bien public et d’en assurer la distribution équitable. Entre-temps, des sociétés privées, surtout américaines, rivalisent pour créer des vaccins qu’ils entendent commercialiser.

Navetteurs, Lagos, Nigeria en Mars 2020. Shutterstock.com, par Oluwafemi Dawodu

Soyons clairs : un monde dans lequel un traitement ou un vaccin ne serait pas accessible à tous verra s’accentuer la pauvreté et les inégalités en santé. Tôt ou tard, cette situation favorisera la propagation d’infections existantes ou inédites, et l’éclosion d’autres pandémies.

L’éthique mondiale était autrefois centrée sur le bien-être national comparé à celui des autres nations. Un paradigme aujourd’hui invalidé, tant du point de vue de la santé publique d’un même pays que d’une éthique universelle. Dans ce monde interconnecté et interdépendant, la protection de chacun nécessite d’améliorer la qualité de vie et la résilience sanitaire de tous.

L’aide extérieure du Canada compte aujourd’hui pour 0,27 p. 100 de son revenu national brut, un taux inférieur à ce qu’il était pendant les années au pouvoir de Stephen Harper. Ottawa a annoncé une aide étrangère pour enrayer le coronavirus, mais elle est nettement insuffisante pour répondre aux véritables besoins de nombreux pays. L’apport financier, scientifique et politique du Canada est beaucoup trop faible pour l’imposer parmi les leaders de la crise actuelle, et moins encore pour combler le vide laissé par le retrait des États-Unis de l’OMS, dont ils étaient la première source de financement.

Même un pays d’importance moyenne comme le Canada peut toutefois assurer un leadership mondial, par exemple en suscitant le réexamen des règlements sanitaires internationaux à la lumière de la pandémie. Il pourrait aussi accroître sensiblement sa contribution financière à l’OMS – sans conditions – et l’étalonner de manière à compenser le retrait américain si d’autres pays haussent semblablement leur taux de cotisation. Cette crise planétaire lui offre l’occasion de jouer un rôle dirigeant en matière de santé mondiale. Il devrait s’en saisir pour défendre les intérêts à long terme des citoyens du Canada et du reste du monde.

Les auteurs et co-directeurs, avec Jane Philpott et Sophie Thériault, de Vulnerable : The Law, Policy and Ethics of COVID-19, disponible dès maintenant et en accès libre aux Presses de l’Université d’Ottawa.

Cet article fait partie du dossier Combattre une vulnérabilité multiforme pour lutter équitablement contre la pandémie.

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Colleen M. Flood
Colleen M. Flood (FRSPC, MACSS), titulaire de la Chaire de recherche en droit et politiques de la santé de l’Université d’Ottawa, est la première directrice du Centre de droit, politique et éthique de la santé.
Vanessa MacDonnell
Vanessa MacDonnell est professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa et codirectrice du Centre de droit public de l’Université d’Ottawa. En mars 2023, elle a coprésidé une conférence d’analyse critique des conclusions du rapport de la commission Rouleau. Twitter @vanessa_macd
Sridhar Venkatapuram
Sridhar Venkatapuram, chercheur et intervenant en éthique et justice de la santé mondiale, est professeur agrégé de santé mondiale et de philosophie au King's College de Londres (RU).

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