(Cet article a été traduit en anglais.)

Dans le cadre du Digital News Report 2019, une enquête internationale annuelle du Reuters Institute for the Study of Journalism de l’Université d’Oxford sur les perceptions et pratiques en matière d’actualité à l’ère numérique, nous avons interrogé des consommateurs d’information canadiens sur leur satisfaction à l’égard du travail des médias d’information. Nous nous sommes également intéressés aux pratiques d’évitement des nouvelles, au sentiment de surcharge informationnelle et à certaines prises de positions politiques. Ces éléments nous ont permis de déterminer des groupes qui pourraient se montrer moins attentifs aux comptes rendus journalistiques des activités des partis et de leurs candidats.

Selon cette enquête réalisée à l’hiver 2019 ― des précisions méthodologiques et un rapport de synthèse se trouvent sur notre site Web ―, les répondants canadiens sont plutôt satisfaits du travail des médias d’information et se comparent avantageusement aux répondants d’autres pays sur ce point. Mais plus du quart d’entre eux, soit 28 % ― et 32 % des jeunes de 18 à 34 ans — rapportent être « découragés par la quantité d’information qui circule aujourd’hui ». Parmi les Canadiens qui s’informent, ce sont tout de même 58 % qui évitent les nouvelles au moins à l’occasion. Et certains groupes se montrent plus critiques à l’égard des médias, plus portés à ressentir la surcharge informationnelle ou plus nombreux à se soustraire du flot d’information sur l’actualité.

Satisfaction et insatisfaction à l’égard du travail des médias

Les répondants qui s’informent moins régulièrement se montrent plus systématiquement insatisfaits du travail des médias. Les Canadiens de moins de 35 ans, tout comme les répondants moins scolarisés, sont particulièrement nombreux à exprimer une certaine insatisfaction. La figure 1 montre l’écart entre le groupe des jeunes adultes et les répondants de 35 ans et plus. Cinq indicateurs ont été utilisés pour évaluer la satisfaction des consommateurs de nouvelles à l’égard du travail des médias. Pour les énoncés 4 et 5, qui ont été formulés à la négative, nous avons considéré comme satisfaits les répondants se disant en désaccord avec l’affirmation.

Les femmes (-5 points de pourcentage par rapport aux hommes) et les anglophones (-16 points de pourcentage par rapport aux francophones) se montrent par ailleurs davantage critiques du travail accompli par les médias en tant que chien de garde de la démocratie, c’est-à-dire dans leur rôle de surveillance des leaders politiques et du milieu des affaires.

Si l’on tient compte de l’orientation politique des répondants, on observe une division selon l’appartenance linguistique. Les francophones qui se disent de gauche et les anglophones qui se disent de droite sont moins satisfaits du travail des médias (voir figures 2 et 3). Ces résultats doivent toutefois être considérés avec prudence étant donné que la majorité des répondants, soit 58 %, estiment se situer au centre du spectre politique. On peut tout de même se demander si les groupes un peu plus campés politiquement se montreront plus réfractaires au récit médiatique des activités partisanes durant la campagne.


Lorsqu’il s’agit de savoir quels sont les Canadiens qui n’apprécient pas les médias et qui ont tendance à se désintéresser de la couverture de la campagne, certaines attitudes semblent particulièrement déterminantes, notamment le niveau de confiance à l’égard de « la plupart des informations, la plupart du temps ». En effet, les consommateurs de nouvelles qui avouent se méfier des médias sont beaucoup moins nombreux à juger que ceux-ci font un bon travail pour leur expliquer l’actualité que l’ensemble des répondants, soit 37 % contre 60 %.

Attitudes associées au courant populiste

Cette année, l’équipe du Digital News Report s’est également intéressée à des attitudes typiquement associées au courant populiste. Pour les mesurer, nous avons demandé aux répondants de donner leur degré d’accord avec les trois énoncés suivants :

  • « La population devrait être consultée dès que des décisions importantes sont prises.»
  • « La plupart des représentants élus ne se soucient pas de ce que pensent des personnes comme moi.»
  • « L’immigration est une menace pour notre culture nationale.»

Par rapport à l’ensemble des Canadiens, les répondants qui sont en accord avec au moins un de ces énoncés sont légèrement plus portés à se sentir surchargés par la quantité d’information qui circule. Ceux qui estiment que les leaders politiques ne se préoccupent pas des gens comme eux ont nettement moins tendance à avoir une opinion positive des médias. Seulement 27 % d’entre eux jugent que les médias abordent des sujets pertinents, comparativement à 51 % pour les répondants qui sont en désaccord avec l’énoncé voulant que les élus ne se soucient pas d’eux.

Habitudes informationnelles et satisfaction à l’égard des médias

Malgré la progression des plateformes numériques, la télévision garde une place importante dans les habitudes informationnelles des Canadiens. En effet, 44 % des répondants à notre enquête indiquent que la télévision est leur source d’information principale. Cela dit, une même proportion de répondants soutiennent qu’ils utilisent principalement une source en ligne, notamment les sites Web de médias d’information, les médias sociaux et les blogues.

Sans surprise, la part de répondants qui s’informent principalement par l’entremise de la télévision augmente avec l’âge : elle atteint 58 % chez les 45 ans et plus, et 66 % chez les 65 ans et plus. Chez les jeunes adultes, seulement 17 % des 18 à 24 ans rapportent s’informer principalement à la télévision, alors que 73 % consultent surtout des nouvelles en ligne. Près de la moitié d’entre eux, soit 49 %, préfèrent les médias sociaux. Pour arriver à gagner l’attention des jeunes électeurs lors de la campagne électorale fédérale, les médias et les partis politiques doivent donc chercher à les joindre en ligne, sur les plateformes qu’ils consultent.

Tant chez les plus jeunes que chez les plus âgés, il semble y avoir un lien entre les habitudes de consommation médiatique et l’appréciation du travail des médias. Les répondants qui s’informent principalement en ligne ont moins tendance à juger que les médias d’information font un bon travail que ceux qui utilisent principalement la télévision, la radio ou la presse papier. Les répondants qui préfèrent les médias sociaux se montrent particulièrement critiques : seulement 47 % d’entre eux estiment que les médias les aident à bien comprendre l’actualité.

Tout comme les partis politiques et les candidats, les médias chercheront à joindre le plus grand nombre possible de Canadiens durant la campagne électorale. Nos résultats montrent que les médias auront un effort ciblé à faire auprès de certains publics, surtout ceux qui s’informent principalement en ligne, dont les jeunes. Le plus grand défi ne consiste pas uniquement à innover sur le plan technologique ni à être présent dans les médias sociaux, mais bien à gagner l’intérêt et la confiance des électeurs.

Le Digital News Report est un projet du Reuters Institute for the Study of Journalism de l’Université Oxford. L’étude canadienne est sous la responsabilité du Centre d’études sur les médias. Le rapport s’appuie sur un questionnaire en ligne administré par la firme de sondage YouGov. Au Canada, il a été distribué à 2 055 participants (échantillon aléatoire) enregistrés auprès de YouGov. Le questionnaire commençait par une question filtre qui excluait les répondants n’ayant pas consommé de nouvelles pendant le mois précédant l’enquête. Les données canadiennes ont été récoltées du 17 janvier au 18 février 2019. Le sous-échantillon francophone a été complété le 27 février 2019 et comportait 1 001 répondants. Les résultats sont pondérés pour représenter la population canadienne adulte.

Cet article fait partie du dossier Les médias face aux élections canadiennes.

Photo : Shutterstock / stockfour


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Colette Brin
Colette Brin est professeure titulaire au Département d’information et de communication de l’Université Laval et directrice du Centre d’études sur les médias (CEM). Elle a copublié l’ouvrage Journalism in Crisis: Bridging Theory and Practice for Democratic Media Strategies in Canada (2016) et a fait partie du panel consultatif pour l’élaboration du rapport Le miroir éclaté du Forum des politiques publiques.
Kamille Leclair
Kamille Leclair est auxiliaire de recherche et stagiaire Mitacs au Centre d’études sur les médias. Elle termine actuellement un baccalauréat en science politique à l’Université Laval.
Sébastien Charlton
Sébastien Charlton est coordonnateur aux opérations au Centre d’études sur les médias et chercheur au Groupe de recherche sur les mutations du journalisme à l’Université Laval.

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