Les relations sino-canadiennes représentent l’un des plus importants liens bilatéraux que le Canada entretient. Mais, même si l’on reconnaît que les rapports entre le Canada et la Chine sont primordiaux, l’élaboration d’une politique étrangère à l’égard de la Chine s’avère difficile et complexe. Et ces rapports sont appelés à se complexifier encore davantage, en raison notamment du rôle accru que la Chine jouera sur la scène internationale.

Le Canada a des intérêts économiques et stratégiques appréciables à défendre dans ses relations avec la Chine, mais Ottawa doit également concilier cet objectif avec un autre élément de sa politique étrangère : favoriser la bonne gouvernance et le respect des droits de la personne. Plusieurs contentieux se retrouvent à l’ordre du jour des relations sino-canadiennes, mais la situation des droits de la personne en Chine constitue l’un des litiges les plus déstabilisateurs.

Le Canada et la Chine ont une conception bien différente des droits de la personne, ce qui multiplie les possibilités d’antagonismes. Le gouvernement chinois insiste sur le fait que les droits de la personne, tels qu’énoncés dans la Charte des Nations unies, ne reflètent qu’une vision occidentale ; il soutient plutôt une conception de ces droits qui priorise certaines normes en matière de qualité de vie, de développement et de prospérité économique par rapport aux droits et aux libertés politiques – les Livres blancs sur les droits de la personne publiés par le gouvernement chinois illustrent bien cette vision.

Pour le Canada et l’ensemble des pays développés, trouver un équilibre entre le maintien de bonnes relations avec la Chine et la promotion du respect des droits de la personne est une tâche délicate. Depuis le début officiel des relations entre les deux pays, en octobre 1970, le Canada a mis en avant une politique visant à favoriser le développement des échanges économiques ainsi qu’à intégrer la Chine aux institutions internationales. En ce qui concerne les droits de la personne, les outils utilisés par le Canada ont varié au fil des ans, et un bref regard sur cette évolution montre la nécessité pour le Canada de renouveler sa politique relative aux droits de la personne en Chine.

Le gouvernement canadien aborde la question des droits de la personne avec la Chine depuis le milieu des années 1980, mais c’est à partir du printemps 1989 que ces droits sont devenus un véritable contentieux dans les relations entre les deux pays. Le 4 juin 1989, des caméras d’un peu partout dans le monde qui, quelques semaines plus tôt, avaient couvert la visite de Mikhaïl Gorbatchev à Beijing, ont capté les images choquantes de soldats ouvrant le feu sur des manifestants chinois venus sur la place Tiananmen revendiquer davantage de libertés politiques. À l’instar de la plupart des pays occidentaux, le Canada a sévèrement condamné la Chine pour ces évènements et lui a imposé diverses sanctions. Avec la réduction des contacts bilatéraux, les relations sino-canadiennes se sont alors sérieusement dégradées.

Elles se sont toutefois ravivées quelques mois plus tard, au début des années 1990. L’intérêt personnel de Jean Chrétien pour la Chine, de même que sa conviction que le meilleur moyen de contribuer au développement de la Chine était de collaborer avec elle, d’accroître les échanges économiques bilatéraux et d’intégrer le pays aux institutions internationales ont influencé la politique d’ouverture que son gouvernement a mise en œuvre durant les années 1990. Mais, au début des années 2000, cette politique a commencé à susciter du mécontentement au pays. Les efforts du gouvernement libéral pour développer les échanges commerciaux avec la Chine n’avaient pas apporté les résultats escomptés, et la situation des droits de la personne ne semblait pas s’améliorer. Si, d’un côté, certains réclamaient une politique plus ferme face à la situation des droits de la personne en Chine, d’autres plaidaient plutôt pour de nouvelles mesures visant à stimuler et à faciliter les exportations canadiennes. Néanmoins, les deux camps s’entendaient sur la nécessité que le Canada revoie sa politique à l’égard de la Chine.

C’est dans ce contexte, et pour des raisons essentiellement idéologiques, que le gouvernement conservateur nouvellement élu en 2006 a tenté de jouer la carte de la confrontation. Par exemple, le Dialogue bilatéral sur les droits de la personne, qui avait été instauré en 1997 et qui était fortement critiqué depuis quelques années pour son inefficacité, a été abandonné. Le Canada a également significativement réduit les contacts bilatéraux avec la Chine et a publiquement critiqué le régime chinois en matière de droits de la personne.

Si plusieurs ont salué le fait que gouvernement conservateur « tenait tête à la Chine », d’autres ont rapidement déploré son manque de vision à plus long terme, et les gens d’affaires présents en Chine ont rapporté qu’ils subissaient les conséquences négatives de cette politique. Dès 2008-2009, réalisant les ratés de son approche, le gouvernement conservateur a changé de ton et commencé à mettre en œuvre une politique plus constructive et discrète sur le plan des droits de la personne. Toutefois, si les relations sino-canadiennes se sont alors améliorées, seul un changement de gouvernement pouvait réellement leur donner un nouveau dynamisme.

Ainsi, le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau a fait de la Chine une priorité, la présentant comme l’un des pays à forte croissance avec lequel le Canada se doit de renforcer ses relations. Il s’est également montré en faveur d’un accord de libre-échange avec le géant asiatique afin d’aider les entreprises canadiennes à pénétrer le marché chinois. Mais, au début du mois de juin 2016, l’intervention du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, en visite à Ottawa, en a fait réagir plus d’un et a fait ressurgir la polarisation de la société canadienne par rapport au « problème chinois ». D’un côté, on retrouve à nouveau ceux qui reconnaissent les progrès réalisés sur différents plans en Chine et qui affirment que le Canada se doit de continuer à interagir avec elle ; de l’autre, il y a ceux qui jugent plutôt que le Canada devrait adopter une position plus ferme à l’égard de la Chine.

Si les deux camps divergent quant à la meilleure stratégie à adopter, ils partagent l’idée que le gouvernement fédéral a besoin de redéfinir sa politique face à la Chine. Mais la question demeure : comment le Canada doit-il concilier la promotion de ses différents intérêts ?

Il est dans l’intérêt du Canada que la Chine continue d’évoluer pour devenir un pays influent et prospère, et qu’elle présente un meilleur bilan au chapitre des droits de la personne. Mais l’amélioration de la situation des droits de la personne en Chine est un projet de longue haleine, et le Canada ne peut en faire son cheval de bataille. Sans nier l’universalité et l’indivisibilité des droits de la personne, il est irréaliste de penser que ceux-ci puissent actuellement s’appliquer en Chine comme cela se fait au Canada. C’est ultimement de l’intérieur du pays que viendra le changement, et le meilleur moyen de le favoriser est de soutenir ouvertement des éléments de la société chinoise, tels que des défenseurs des droits de l’homme et de la démocratie, qui pourront éventuellement engendrer ce changement.

De plus, on doit promouvoir les droits de la personne en Chine de façon constructive et en tenant compte de la position chinoise. Le Canada tient parfois un double discours à ce sujet, et il est nécessairement plus difficile d’être considéré comme un interlocuteur sérieux et responsable quand l’engagement d’un pays à l’égard des droits de la personne dans le monde est une politique du deux poids deux mesures. Dans sa relation avec la Chine, le Canada devrait également cesser de promouvoir ce qu’il appelle des « valeurs canadiennes », et mettre plutôt l’accent sur l’universalité des principes qu’il défend. La gouvernance démocratique, les libertés individuelles et les droits de la personne sont des valeurs universelles que la Chine s’est elle-même engagée à respecter.

Cela dit, Ottawa doit continuer de manifester son inquiétude lorsque la Chine agit de façon contraire aux normes internationales. Le Canada ne peut rester muet face à des violations flagrantes des droits de la personne, et il doit également exprimer de façon ferme son désaccord lorsque les actions de la Chine contreviennent aux divers intérêts canadiens sur les plans sécuritaire, stratégique ou économique. Et pour être plus efficace, le Canada devrait se concentrer sur des situations précises, là où ses intérêts convergent avec ceux de la Chine en matière de respect des droits de la personne ; les droits des femmes, par exemple, sont une cause dont le Canada pourrait se faire le porte-parole en Chine.

À une époque où certaines dimensions de la mondialisation et de l’ordre international sont remises en question, le Canada et l’Occident doivent plus que jamais démontrer les bienfaits d’une société ouverte et donner l’exemple en ce qui a trait au respect des valeurs libérales, des libertés individuelles et de la bonne gouvernance. Tenir un discours critique sur la situation des droits de la personne en Chine est certainement louable, mais, à lui seul, cela ne peut aider le Canada à atteindre ses objectifs. Le Canada doit plutôt adopter une approche multidimensionnelle à l’égard de la Chine et combiner des critiques ciblées au chapitre des droits de la personne, des actions visant à favoriser l’intérêt des Canadiens pour la Chine et des mesures destinées à accentuer la collaboration et les échanges économiques entre les deux pays.

Photo : coloursinmylife / Shutterstock.com

Cet article fait partie du dossier Les relations Canada-Chine.

 


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Charles-Louis Labrecque
Charles-Louis Labrecque enseigne la politique canadienne et les relations internationales à l’Université Simon Fraser, en Colombie Britannique. Il détient un doctorat en science politique de l’Université Laval et il s’intéresse principalement à la politique étrangère canadienne en Asie et aux relations sino-canadiennes.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License

More like this