En décembre 2009, plus de 180 pays se sont réunis a Copenhague à l’occasion de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques. À l’ordre du jour de cette 15e Conférence des Parties (CDP 15) figurait en tout premier lieu la conclusion d’un accord international sur les cibles de réduction des gaz à effet de serre pour remplacer le protocole de Kyoto signé en 1997, un objectif qui n’aura finalement pas été atteint. Élaboré par quelques pays in- fluents « la Chine, les États-Unis, l’lnde, le Brésil et l’Afrique du Sud », l’Accord de Copenhague ne lie pas les parties, n’établit aucune cible de réduction des émissions et ne prévoit aucune action immédiate visant à les réduire.

L’adoption d’un accord exécutoire à Copenhague, avec des exigences et des cibles de réduction précises et rigoureuses, aurait sans doute mis le Canada sous pression pour qu’il instaure des mesures plus efficaces que celles qu’il applique actuellement. Mais contre toute attente, cet échec est peut-être une bonne nouvelle pour nous. Non parce que l’environnement n’est pas un enjeu important ici comme ailleurs. Mais plutôt parce que le Canada ne pourra véritablement agir pour réduire ses émissions sans régler au préalable les problèmes intérieurs qui l’empêchent d’être efficace en la matière.

Que ce soit à Copenhague ou ici même, les discussions intergouvernementales canadiennes sur cette question révèlent en effet qu’il existe un sérieux conflit concernant le partage interprovincial du fardeau financier qui découlera de l’adoption d’une politique de lutte aux changements climatiques. Sans un plan pour régler ce litige, il est peu probable que le Canada puisse atteindre ses cibles ; ou il devrait y consacrer des sommes astronomiques.

Certains pensent que le règlement de ce conflit peut attendre. Je pense au contraire que pour avoir une politique qui soit efficace, le Canada doit au préalable y trouver une solution. L’Accord de Copenhague nous donne la marge de manœuvre nécessaire pour y arriver.

Disons d’abord qu’une politique efficace de réduction des émissions consiste à fixer un prix au carbone. Cette « monétarisation » du carbone incite les émetteurs à réduire leurs émissions, car chaque tonne de carbone non émise est autant d’argent épargné. Mais pour atteindre les objectifs de réduction au plus bas coût possible, il est impératif que tous les émetteurs paient le même prix pour chaque tonne d’émission. En d’autres mots, une politique efficace exige que le coût du carbone soit le même à l’échelle du pays. Ce coût pourrait être payé sous la forme d’une taxe ou encore par l’achat d’un permis d’émission. Mais dans un cas comme dans l’autre, le même prix doit s’appliquer à toutes les émissions.

Qu’est-ce qui empêche le Canada d’adopter une telle politique?

Premièrement, tant Ottawa que les provinces ont déjà mis en œuvre ou proposé leurs propres initiatives climatiques, mais les cibles de réduction varient selon les provinces et même selon les niveaux de gouvernement. Par ailleurs, certaines provinces ont déjà fixé un prix pour le carbone. Ainsi, le Québec et la Colombie-Britannique possèdent tous deux une taxe carbone, mais le taux est différent. Ottawa et certaines provinces permettent aussi aux entreprises de cotiser à un fonds technologique pour chaque tonne d’émission. En Alberta, le système fondé sur des niveaux de référence et des crédits d’émission permet aux émetteurs d’acheter des crédits ou des contreparties, ou encore de faire des contributions technologiques pour se conformer à leurs cibles. Aux côtés de certains États américains, plusieurs provinces ont aussi adhéré à des initiatives régionales visant la mise en place de mécanismes de plafonnement et d’échange axés sur la mise aux enchères de permis.

Cet ensemble de mesures disparates est une façon coûteuse et finalement peu efficace de réduire les émissions. Le prix du carbone varie considérablement selon les sources d’émission et selon les lieux d’émission, et en fin de compte, seule une fraction des émissions est soumise à un prix. Au total, cette variation dans les mesures provinciales et dans le prix du carbone tend à déplacer les activités productrices d’émissions vers les régions moins réglementées, plutôt que de les réduire, un problème souvent qualifié de « fuite ».

La mise en œuvre d’une politique climatique efficace nécessiterait d’uniformiser les mesures existantes, de manière à couvrir toutes les émissions et à supprimer les variations de prix.

Une taxe carbone fédérale applicable à toutes les émissions permettrait d’atteindre cet objectif, mais à condition de ne pas être simplement superposée aux initiatives provinciales actuelles. En effet, une telle taxe ne serait efficace que si on éliminait en même temps les variations de prix d’une province à l’autre. En plus de créer une taxe fédérale, il faudrait donc que les provinces abolissent leurs propres politiques de prix, c’est-à-dire qu’elles suppriment leur taxe carbone et se retirent des programmes régionaux ou provinciaux de plafonnement et d’échange.

C’est ici que le bât blesse le plus durement, pour deux grandes raisons. Premièrement, les études montrent qu’il serait coûteux d’imposer un seul prix du carbone à l’échelle de tout le pays, car on courrait le risque que le fardeau financier soit très inégalement réparti entre les provinces. De fait, la querelle inter-provinciale sur les cibles et les instruments de réduction tourne surtout autour du mode de répartition de ce fardeau, une question sur laquelle on est encore loin de s’entendre. Deuxièmement, la responsabilité touchant l’environnement et l’assiette de la taxe carbone sont partagées entre Ottawa et les provinces. Et comme le Québec et la Colombie-Britannique gèrent déjà leur propre taxe carbone, il est clair que les provinces ont un intéré‚t pour cette source de revenu. Elles n’y renonceraient probablement qu’avec grande réticence.

Pour que le gouvernement fédéral puisse assumer le leadership de la politique climatique du pays et mettre en œuvre une taxe carbone nationale (ou un système de plafonnement et d’échange avec droits d’émission vendus aux enchères), les provinces doivent d’abord savoir comment il réglera le problème du partage du fardeau qui découlera de cette taxe. Et pour renoncer à leurs propres politiques de prix du carbone et aux revenus (réels ou potentiels) qui en découleraient, elles réclameront en échange certains avantages.

Maintenant que la Conférence de Copenhague est derrière nous, le Canada dispose du temps nécessaire pour trouver une solution à ces deux probèmes, sans la pression d’un accord international ayant force exécutoire. Notons cependant que mé‚me en l’absence d’un accord international, une certaine pression persiste pour que le Canada résolve ces problèmes au plus vite, selon ce qui adviendra de la loi américaine sur le climat actuellement à l’étude.

Ottawa a clairement fait savoir qu’il préfère harmoniser ses politiques à celles qu’adopteront les États-Unis. C’était le cas avant Copenhague et ça l’est toujours. Précisons ici que le plan américain change constamment et que la dernière version a été déposée au Sénat. Mais si l’administration Obama arrive à ses fins, le Canada pourra difficilement s’en tenir au statu quo. Le premier ministre Harper semble déterminé dans sa volonté d’harmonisation, même si nous ne disposons encore que de très peu de détails à ce sujet. Quoi qu’il en soit, les problèmes du partage régional des coûts et de la cohabitation fiscale devront être résolus si Ottawa désire adopter une politique alignée sur le système de plafonnement et d’échange à l’étude aux États-Unis.

Comment y arriver? Il faut adopter des mécanismes pour aider à apaiser les craintes des provinces quant au partage des coûts et les indemniser pour la perte des recettes tirées de leur taxe carbone.

Pour ce faire, Ottawa doit en premier lieu partager avec les provinces les revenus tirés de l’attribution d’un coût au carbone. Un tel partage confirmerait qu’Ottawa et les provinces ont tous deux droit de taxer les émissions, et il permettrait d’indemniser les provinces pour avoir renoncé à ces revenus. Cela serait un excellent moyen d’amener les provinces à la table de négociations.

En deuxième lieu, Ottawa et les provinces doivent s’entendre sur le fait que l’utilisation de ces revenus sera décentralisée, ce qui signifie que chaque gouvernement pourra dépenser sa part à sa guise.

Certaines provinces voudront utiliser ces fonds pour réduire les taxes, d’autres en profiteront pour alléger les coûts dans des secteurs clés ou investir dans des technologies propres. Cette décentralisation accroîtrait encore l’intérêt des provinces pour une entente de partage des recettes.

Lorsque cela sera fait, Ottawa et les provinces doivent encore convenir du mode de partage des revenus entre les deux paliers et entre les provinces.

Peu d’études canadiennes traitent du partage interrégional du fardeau financier des politiques climatiques alternatives. Mais celles qui se sont penchées sur la question montrent que le coût d’une politique climatique pour chaque province est fortement influencé par les modalités retenues pour distribuer les revenus.

Examinons deux cas de figure. Selon le premier, Ottawa conserve toutes les recettes liées au carbone et les redistribue sous forme de réductions de l’impôt des particuliers. C’est ce scénario que les chercheurs ont étudié. Cette utilisation des recettes de la taxe carbone pour réduire les taxes les plus néfastes sur le plan économique aide à diminuer le coût global de la politique de réduction des émissions. Au niveau des provinces, cette formule conviendrait mieux au Québec et à l’Ontario étant donné qu’on y prélève une part disproportionnée d’impôt fédéral des particuliers, surtout en Ontario. Mais cette option risque de rebuter les provinces, qui céderaient ainsi tout contrôle sans rien obtenir en échange.

Le second scénario consiste à remettre toutes les recettes aux provinces, la part de chacune correspondant aux revenus du carbone sur son territoire respectif. Vu l’inégale répartition des ressources naturelles et des secteurs énergivores entre les provinces, c’est ici l’Alberta et la Saskatchewan qui seraient avantagées. Cette option pourrait néanmoins plaire à toutes les provinces, puisqu’elles recevraient toutes des revenus à utiliser comme elles l’entendent. Mais elle risque de soulever moins d’enthousiasme à Ottawa, qui paierait le prix politique de l’imposition d’une taxe carbone sans en tirer des revenus pour couvrir ses frais. Par contre, cela lui permettrait vraisemblablement d’atteindre ses cibles de réduction, avec les avantages qui en découleraient.

Entre ces deux extrêmes, il existe bien entendu tout un éventail d’autres possibilités. Mais avant d’opter pour l’une ou l’autre et de s’entendre sur une solution, les décideurs doivent être pleinement informés de leurs conséquences.

Deux raisons expliquent que l’échec de Copenhague est une bonne nouvelle pour le Canada. D’abord parce que l’attitude que nous y avons adoptée a mis en évidence (pour ceux qui l’ignoraient encore) que les tensions intergouvernementales liées à notre politique climatique constituent un sérieux problême qu’il nous faut résoudre si nous désirons enfin adopter une politique efficace de lutte aux changements climatiques. Ensuite parce que cet échec nous fait gagner du temps. Trop peu d’études portent sur le partage intergouvernemental des coûts et des recettes, mais Copenhague a mis en lumière la nécessité d’y donner priorité si nous voulons aller de l’avant. L’heure est donc venue d’analyser les répercussions des différentes formules de partage des recettes sur le fardeau porté par chaque province et d’amorcer des négociations sur ces deux éléments. Ces négociations seront certes ardues et controversées, mais rien n’indique que d’autres options ne seraient pas tout aussi contestées.

Quand nous aurons trouvé des solutions viables aux obstacles qui empêchent le Canadade remplacer son méli-mélo de mesures disparates par une approche plus efficace, nous serons prêts à lancer une vraie politique lorsque les États-Unis iront de l’avant ou lors de la prochaine conférence sur les changements climatiques.

Cet article est tiré de l’étude « Clearing the Air on Federal and Provincial Climate Change Policy in Canada » qu’elle a co-écrite avec Randall Wigle et qui a été publiée par l’IRPP.


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives| Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Tracy Snoddon
Tracy Snoddon is an associate professor at Wilfrid Laurier University.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License