Des bagagistes d’aéroport aux travailleurs de la santé en passant par les enseignants et les menuisiers, une pénurie de main-d’œuvre frappe la quasi-totalité des secteurs et des régions du pays.

Statistique Canada dénombrait en avril plus d’un million de postes vacants, soit 2,4 % de plus qu’en mars et 44,4 % de plus qu’en avril 2021. Les entreprises ne voient aucun signe d’amélioration à l’horizon. Selon la dernière Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, la part des entreprises se disant confrontées à une pénurie de main-d’œuvre s’est maintenue à un niveau quasi record au deuxième trimestre de 2022, et beaucoup d’entre elles envisagent d’augmenter les salaires pour attirer et maintenir des travailleurs en poste.

Une autre solution consisterait à investir davantage dans la formation de leurs employés actuels ou éventuels. Mais la plupart des employeurs au pays sont des petites et moyennes entreprises (PME) qui investissent généralement une moindre part de leurs revenus dans la formation que les grandes entreprises.

Afin de les inciter à investir dans le développement des compétences, le Québec a adopté une approche unique de formation en milieu de travail. Depuis 2002, elle permet à des PME (souvent d’un même secteur) de combiner leurs ressources pour offrir à leurs employés des possibilités de formation. Appelé « mutuelles de formation », ce concept pourrait offrir de précieuses leçons aux autres provinces et territoires du pays.

Parmi leurs objectifs, ces mutuelles visent à cerner les défis de formation des entreprises et les moyens de les relever. Pour ce faire, le directeur d’une mutuelle contacte d’abord les entreprises d’un secteur donné pour préciser leurs besoins en formation. Il identifie ensuite les programmes de formation disponibles, en crée de nouveaux s’il y a lieu, mobilise les ressources financières et organisationnelles adéquates, puis suscite la participation des entreprises et de leurs employés à des activités de formation.

Agissant comme des intermédiaires parapublics dans le système de formation en milieu de travail, les mutuelles peuvent efficacement inciter les PME à investir dans le développement des compétences, tout en favorisant l’accès à une formation pour les travailleurs qui en ont le plus besoin. La mise en commun des ressources peut aussi amoindrir les coûts de formation des entreprises et persuader celles qui hésitent à investir dans le perfectionnement de leurs employés, de crainte qu’ils ne soient ensuite embauchés par la concurrence.

Les premières mutuelles de formation ont été créées entre 2002 et 2007, avant que leur statut ne soit inscrit dans la législation québécoise en 2008. Les quatre années suivantes ont vu la création d’au moins 20 mutuelles, dont plusieurs ont toutefois rapidement fermé boutique faute de viabilité financière. Aujourd’hui, le Québec compte six mutuelles en activité.

Une récente étude de l’Institut de recherche en politiques publiques (qui publie Options politiques) retrace le parcours de quatre mutuelles en activité de 2008 à 2017 dans les secteurs des communications graphiques, de la construction, des services de garde et des résidences pour aînés. Toutes n’ont pas rencontré le même succès, montre l’étude, en raison de difficultés de recrutement et de financement.

Pour assurer leur efficacité, les mutuelles doivent cerner avec précision les besoins en formation, définir clairement leurs objectifs, éviter la concurrence et les chevauchements avec des organisations, de même qu’optimiser les ressources existantes. Leur réussite dépend aussi de la volonté des entreprises, syndicats et autres intervenants de participer activement à leur fonctionnement et d’investir dans la formation. Elles doivent enfin collaborer avec d’autres organisations à la mobilisation des ressources adéquates.

La baisse actuelle des dépenses de consommation causée par la montée de l’inflation et des taux d’intérêt pourrait alléger les problèmes d’embauche des entreprises. Mais plusieurs facteurs qui alimentent la demande de main-d’œuvre sont d’ordre structurel, notamment le vieillissement de la population et le renforcement des exigences occasionné par les nouvelles technologies en milieu de travail. Sans compter la transition énergétique, qui devrait accroître les besoins en développement des compétences chez les travailleurs des industries naissantes et des secteurs en pleine transformation.

D’où la nécessité d’une stratégie qui répondra à long terme aux besoins de formation des travailleurs au pays. Si Ottawa a récemment adopté certaines mesures à l’intention des travailleurs, par exemple l’Allocation canadienne pour la formation, les entreprises doivent elles-mêmes redoubler d’efforts pour répondre à leurs besoins en compétences.

Les autres provinces devraient envisager l’adoption du modèle québécois en complément de leurs mesures de perfectionnement de la main-d’œuvre. En remplissant les conditions requises, les mutuelles de formation pourraient contribuer substantiellement au développement des compétences dans l’ensemble de notre économie tout en répondant à la pénurie de main-d’œuvre.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Yves Blanchet
Yves Blanchet est chargé de cours à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal. L’équipe de l’Observatoire compétences-emplois dont il fait partie examine les politiques publiques en matière de développement des compétences, de formation et d’emploi.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License