La crise provoquée par le coronavirus apporte son lot de changements rapides aux politiques publiques canadiennes.

Le gouvernement fédéral n’a cessé de bonifier son aide économique, annonçant un soutien de 10 milliards de dollars le 13 mars, puis de 82 milliards le 18 mars dans le cadre de son Plan d’intervention économique pour répondre à la COVID-19, pour passer ensuite à 107 milliards le 27 mars 2020 avant d’approcher les 200 milliards le 31 mars 2020. À cela il faut ajouter, bien évidemment, les aides des provinces.

Bien sûr, une part considérable de ce plan est constituée de reports d’impôts ou de taxes du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec. Ainsi, les particuliers auront jusqu’au 1er juin 2020 pour produire leur déclaration de revenus et jusqu’au 1er septembre pour payer leurs impôts au lieu du traditionnel 30 avril. Pour les sociétés, le paiement des acomptes provisionnels et des impôts dus depuis le 18 mars 2020 est repoussé aussi au 1er septembre. Elles ont aussi le droit de différer les remises de TPS et de TVQ — qu’elles soient annuelles (pour 2019), trimestrielles ou mensuelles — jusqu’au 30 juin 2020, et ce, sans intérêts ni pénalités. En optant pour les reports d’impôt ou de taxes, les gouvernements ont choisi une mesure rapide, simple et facile à comprendre qui permet aux contribuables de conserver des liquidités. En plus, cette approche ne constitue qu’un report des paiements dans le temps. Au terme de l’année 2020, le trésor public aura reçu ses impôts et taxes dus.

Par contre, il est bien plus difficile dans le contexte actuel d’élaborer un programme de soutien du revenu ou encore un programme agissant comme une assurance contre la perte de revenu. Le défi est de taille pour le gouvernement fédéral : offrir une couverture assez large pour chacun, tout en établissant des balises assez précises pour ne pas verser de l’aide à ceux qui n’en ont pas véritablement besoin.

En ajoutant des paiements à des programmes existants, le gouvernement fédéral a choisi une mesure simple à comprendre pour les ménages et facile à mettre en place du point de vue administratif.

Sous l’angle du soutien du revenu aux moins nantis, le gouvernement fédéral a opté pour une intervention plus ciblée qu’un simple versement de 1 000 dollars à chaque personne ayant perdu son revenu, comme certains le proposaient. Il a plutôt choisi d’augmenter les versements dans le cadre de programmes déjà existants à des bénéficiaires déjà admissibles, tout en ajoutant un paiement unique aux ménages recevant le crédit pour la taxe sur les produits et services (CTPS). Ce paiement sera effectué dans les prochaines semaines. Il peut atteindre 443 dollars pour un célibataire, 580 dollars pour un couple sans enfant ou 886 dollars pour un couple ayant deux enfants à charge. En mai, les familles avec enfants recevront aussi un paiement spécial additionnel de 300 dollars par enfant dans le cadre de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE). Selon le revenu familial, l’aide combinée peut atteindre près de 1 500 dollars pour un couple avec deux enfants.

En ajoutant des paiements à des programmes existants, le gouvernement fédéral a choisi une mesure simple à comprendre pour les ménages et facile à mettre en place du point de vue administratif. Créer un nouveau programme aurait été beaucoup plus complexe. Par contre, en procédant de la manière annoncée, il verse ces paiements à l’ensemble des ménages admissibles au CTPS et à l’ACE, que les particuliers aient perdu ou non leur revenu de travail. Ceux qui ont gardé leur revenu de travail voient ainsi leur revenu familial augmenter, alors que pour ceux qui l’ont perdu, ces paiements seront insuffisants pour traverser la crise.

Il fallait donc aller plus loin en soutenant directement les personnes qui ont perdu leur revenu de travail. Et là, la tâche du gouvernement fédéral était colossale. Il devait soit adapter le programme d’assurance-emploi, soit créer un nouveau programme pour soutenir tous ceux qui n’y avaient pas accès, notamment les travailleurs autonomes. Devant l’évolution alarmante des taux de chômage, on ne peut passer sous silence la rapidité avec laquelle les choses ont évolué. En l’espace de quelques jours, le gouvernement fédéral a instauré de nouveaux programmes et mis au rancart ceux annoncés moins de deux semaines auparavant !

Ainsi, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) annoncée le 25 mars est venue remplacer l’Allocation de soins d’urgence et l’Allocation de soutien d’urgence, deux prestations annoncées le 18 mars. La PCU est une prestation gouvernementale de 500 dollars par semaine versée pendant 16 semaines (d’où les 2 000 dollars par mois pendant 4 mois que les médias ont mentionnés). Cette prestation est imposable au moment de produire la déclaration de revenus de 2020. Au moment d’écrire ces lignes, ce qu’on sait assurément de cette prestation est qu’il faut être travailleur pour y avoir droit.

Une personne doit avoir gagné au moins 5 000 dollars (en revenus d’emploi ou en revenus reçus à titre de travailleur autonome) dans l’année 2019 ou durant 12 mois précédant la date de la demande pour être admissible à cette prestation. En outre, on prend en compte d’autres prestations, par exemple celle de l’assurance-emploi ou encore celles de régimes provinciaux comme le Régime québécois d’assurance parentale. Enfin, certains types de revenus ne font pas partie des revenus admissibles pour recevoir la prestation, notamment les revenus de loyer, les dividendes, les intérêts et les prestations de retraite.

Une autre condition d’admissibilité est que le travailleur doit avoir cessé d’exercer son emploi ou son activité de travail autonome pour des raisons liées à la COVID-19, et il ne doit plus recevoir de revenu d’emploi ou lié à l’activité de travail. Les raisons de la cessation de travail peuvent être diverses. Outre la perte d’emploi, il y a l’absence pour cause de maladie, la quarantaine, ou les soins fournis à un malade ou à un parent. Il faut que cette période d’inactivité et d’absence de revenu soit d’au moins 14 jours consécutifs compris dans la période de 4 semaines pour laquelle il demande l’allocation.

Il ne faut pas oublier que les gouvernements naviguent à vue dans cette crise et font en quelques jours ce qui prend habituellement plusieurs mois à concevoir et à mettre en place.

Si les grands contours de la PCU apparaissent clairs, il ne faut pas oublier que les gouvernements (le fédéral dans ce cas-ci) naviguent à vue dans cette crise et font en quelques jours ce qui prend habituellement plusieurs mois à concevoir et à mettre en place. Pour cette raison, on comprend qu’ils cherchent à atteindre un certain équilibre entre rapidité et perfection ou entre équité et simplicité, afin de mettre en œuvre aussi rapidement que possible de nouveaux programmes complexes.

Soulignons aussi que la perte d’emploi et le confinement, jumelés aux nouvelles peu rassurantes sur la crise mondiale provoquée par la COVID-19, rendent plusieurs citoyens anxieux. Personnellement, je n’ai jamais reçu autant de courriels ou de gazouillis de citoyens qui ont des questions sur le soutien des gouvernements. Ils se demandent si, dans leur cas particulier, ils auront droit ou non à la PCU. Par exemple, un étudiant universitaire actuellement sans emploi, mais qui prévoyait comme l’an passé se trouver un travail d’été, sera-t-il admissible s’il n’arrive pas à trouver du travail ? Ou encore, un travailleur qui a perdu son travail, mais qui offre toujours une charge de cours d’une heure et demie par semaine perd-il son admissibilité à la PCU ? C’est à la lumière de ces cas particuliers qu’apparaît la nécessité d’apporter des précisions sur la PCU en publiant les règlements la concernant au cours des prochains jours (ou des prochaines semaines).

Il est encore trop tôt pour dire si toutes ces interventions de l’État seront suffisantes. Cela dit, compte tenu des actions prises ces dernières semaines, l’État semble décidé à réajuster ses interventions au besoin et à être également là lorsque le temps sera venu de parler de reprise économique.

C’est lorsque tout s’écroule qu’on prend conscience de l’importance du rôle joué par l’État. L’État est le seul agent qui puisse intervenir dans l’économie au nom de l’intérêt commun. Au-delà des écoles de pensée économique, du libéralisme ou de l’interventionnisme, de la gauche ou de la droite, le fait est que l’État joue un rôle de régulation d’une importance capitale en temps de crise.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Les gens font la queue devant le bureau de Service Canada pour déposer leur demande d’assurance-emploi. Montréal, le 19 mars 2020. La Presse canadienne / Paul Chiasson.

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Luc Godbout
Luc Godbout est professeur titulaire au Département de fiscalité à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise.

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