Plurielles, les formes d’inégalité sont le produit de relations sociales asymétriques. Les populations racisées ne bénéficient pas comme les autres citoyens de la redistribution du capital national à cause du  racisme systémique, que l’on peut définir comme « la production sociale d’inégalité raciale dans les décisions concernant les gens et dans le traitement qu’ils reçoivent ».

Le racisme systémique est aussi très présent au Québec, et plusieurs rapports en reconnaissent l’existence. Mentionnons, parmi les plus récents, celui de l’Office de consultation publique de Montréal, qui a examiné les pratiques du Service de police de la Ville de Montréal, ou encore celui du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), qui dénonce la  judiciarisation de l’itinérance et révèle le profilage racial et social que vivent les personnes autochtones.

Les inégalités raciales sévissent aussi en milieu de travail. Les personnes racisées accèdent difficilement aux postes de cadre dans la fonction publique, et cela vaut aussi dans le secteur privé. Selon le recensement de 2016, les salaires des descendants de migrants racisés de deuxième et troisième générations peuvent être jusqu’à 26 % inférieurs à ceux de personnes non racisées. La Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics contraint ceux-ci à disposer d’un programme favorisant des groupes discriminés, notamment les personnes racisées. Les entreprises privées, quant à elles, n’ont aucune obligation à ce sujet, mis à part le respect de la Charte des droits et libertés.

Par ailleurs, les personnes racisées et discriminées font aussi les frais d’actions et de décisions paradoxales des partis politiques. En voici quelques exemples :

  • L’échec de la consultation sur la discrimination systémique et le racisme au Québec, qui a été proposée par le Parti libéral en 2017, mais a changé ses objectifs sous la pression de deux partis d’opposition. Ceux-ci ont détourné le débat en reprochant à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de vouloir faire le procès des Québécois en partant du fait que les Québécois étaient racistes, sans même penser que les personnes racisées sont aussi québécoises, souvent de deuxième ou de troisième génération, et que le racisme est un fait social qui concerne tous les citoyens.
  • L’interdiction, avec la Loi sur la laïcité de l’État, du port de signes religieux dans l’exercice de certaines fonctions. Cette « nouvelle laïcité » porte sur l’identité des personnes et non plus sur l’institution laïque. Sans entrer dans un débat de valeurs, on peut dire qu’elle stigmatise et fragilise des personnes déjà vulnérables, essentiellement les femmes voilées qui vont dès lors subir davantage les inégalités d’accès à l’emploi.
  • Le refus du gouvernement de François Legault de reconnaître le racisme systémique malgré les manifestations et pétitions qui ont suivi le décès de Joyce Echaquan, femme de la nation Atikamekw. La vidéo de sa prise en charge hospitalière révélait les propos racistes dont elle avait fait l’objet.

En décembre 2020, le Groupe d’action contre le racisme, mandaté par le gouvernement de François Legault à la suite d’événements de racisme qui ont eu de fortes répercussions sociétales, publie son rapport. Bien qu’il ne reconnaisse pas le racisme systémique, soulignant que le concept ne fait pas consensus, il confirme ce que de nombreuses études démontrent depuis des années. Ses recommandations portent principalement sur le renforcement de la communication, de la formation et des programmes de discrimination positive dans les institutions. Toutefois, un point nouveau apporte une touche d’espoir : le rapport propose une campagne nationale de sensibilisation au racisme et à la réalité des peuples autochtones. La mise en œuvre de ces recommandations est urgente et attendue.

Un problème crucial, une colère non apaisée

Les inégalités raciales sont complexes et leurs conséquences vont au-delà d’une non-reconnaissance dans les milieux de vie. Elles fragilisent les personnes tant physiquement que psychiquement. Car le racisme est aussi un rapport intersubjectif (comme en témoigne la vidéo de Joyce Echaquan), et souvent il met sous silence les personnes qui en sont victimes. Il finit par paraître ordinaire, banal, parce que récurrent, parce que l’entourage s’y habitue ou ne dit rien, car « ce n’est pas si grave », « il faut être cool ». On le retrouve sous forme d’une blague, d’une manière de s’adresser à l’autre, d’être condescendant ou d’un exotisme du type « ces gens sont souriants, tellement gentils » qui force la personne concernée à s’identifier à « ces gens » avec qui elle n’a peut-être rien à voir.

Le racisme finit par paraître ordinaire, banal, parce que récurrent, parce que l’entourage s’y habitue ou ne dit rien, car « ce n’est pas si grave », « il faut être cool ».

Ces microagressions racistes, qui restent la plupart du temps invisibles parce que peu dénoncées, ont pour conséquence d’exclure les personnes concernées d’un droit à être traitées sur un pied d’égalité avec tout autre citoyen non racisé. Dans le système éducatif, elles participent au découragement des jeunes, et peuvent fragiliser leurs parcours scolaire et professionnel.

Aujourd’hui, ces microagressions et leurs conséquences sont dénoncées sur les réseaux sociaux, dans des vidéos, comme Briser le code, ou des témoignages, comme ceux des anciens et actuels élèves de l’école secondaire Henri-Bourassa. Après la mort par étouffement de George Floyd le 25 mai 2020 aux États-Unis lors d’une arrestation policière, de nombreuses manifestions ont eu lieu au Québec et partout dans le monde. Elles ont montré la colère des personnes noires et des autres personnes racisées (notamment asiatiques, dont plusieurs n’ont pas oublié les lois d’exclusion des années 1920 et 1940). Dans l’effervescence, des statues de personnalités esclavagistes et colonisatrices ont été renversées. Encore une fois, la question n’est pas d’entrer dans un débat de valeurs autour de la statue comme objet patrimonial, mais de comprendre la réalité et l’ampleur d’une colère qui n’est toujours pas apaisée.

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Sortir de l’ignorance : éduquer et former pour créer un lien social global

Dans les faits, le racisme ne peut être enrayé uniquement par des politiques globales. Ces politiques ne touchent que la structure, en homogénéisant les discriminations, et ne modifient pas la perception de l’autre, qui relève d’attitudes individuelles. Celles-ci s’appuient sur une hiérarchisation des peuples humains qui, même si elle n’est pas toujours conscientisée, persiste dans la représentation que l’on se fait de l’autre. Il faut donc avant tout changer ces représentations racistes en conscientisant les individus aux impacts des stéréotypes archaïques et ethnocentrés sur la vie en société.

Les personnes issues de l’immigration pourraient représenter jusqu’à 49 % de la population canadienne d’ici 2036. Les considérer perpétuellement comme « étrangères et inférieures » n’aura aucun sens et entraînera une fracture toujours plus grande du lien social global.

Les personnes issues de l’immigration pourraient représenter jusqu’à 49 % de la population canadienne d’ici 2036. Que faire alors ? Les considérer perpétuellement comme « étrangères et inférieures » n’aura aucun sens et entraînera une fracture toujours plus grande du lien social global. Le mal-être des personnes racisées, surtout celui des jeunes adultes, se révèle de plus en plus sur les réseaux sociaux, témoignant d’une détresse psychologique qui n’est pas prise en charge par des organismes de soutien. En outre, ces organismes sont-ils suffisamment formés sur les questions de racisme ? Mon expérience de chercheuse et de professeure me fait pencher pour une réponse négative.

La solution est donc de contrer l’ignorance — responsable du racisme quand il n’est pas idéologique — par la formation à tous les niveaux et dans tous les milieux : au travail, dans l’éducation, les services de santé et communautaires. De déployer du soutien individuel, d’ouvrir un espace de parole où la violence raciste peut être dénoncée en toute bienveillance et où les rapports sont décolonisés et non hiérarchisés. Actuellement, les formations sur les questions de racisme sont rares.

Des initiatives collectives tentent de faire contrepoids aux politiques globales inefficaces. Par exemple, l’Institut universitaire SHERPA et ses partenaires ont mis sur pied la Clinique Mauve durant la pandémie afin de soutenir les personnes LGBTQI+ migrantes qui font face, dans l’accès aux soins psychosociaux et de santé, à des barrières structurelles à l’intersection de la discrimination : xénophobie, racisme, homophobie, transphobie. Récemment, mis à part ses cours sur les questions interculturelles et d’oppression, l’École de travail social de l’Université de Montréal a formé un Comité statutaire antiraciste et inclusif intégrant des personnes racisées, des étudiants et des enseignants. L’idée n’est pas de reproduire un système asymétrique mais d’organiser un maillage collectif avec les personnes racisées pour comprendre ce qu’elles vivent, apprendre d’elles afin de créer, notamment, des formations.

Si notre société postmoderne est axée sur l’identité et la responsabilité individuelles, alors que l’on fasse en sorte que les diverses identités racisées, en incluant les identités de genre et les orientations sexuelles, soient davantage comprises plutôt que stigmatisées et violentées.

Cet article fait partie du dossier Identifier les obstacles à l’égalité raciale au Canada.

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Sophie Hamisultane
Sophie Hamisultane est professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur les rapports d’interculturalité, notamment le processus de construction de soi des descendants de migrants, en tenant compte de la racisation, et des contextes socio-historiques et politiques.

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