La politique étrangère de l’administration Trump a été marquée par des revirements majeurs. Sous la bannière « L’Amérique d’abord », les États-Unis ont fragilisé les alliances traditionnelles, vu la Chine comme une menace existentielle, accordé des passe-droits à la Russie, désavoué l’accord sur le nucléaire iranien et l’Accord de Paris, rendu les relations commerciales de plus en plus conflictuelles, boudé ou discrédité certaines institutions internationales et menacé de représailles économiques aussi bien ses adversaires que ses alliés.

Les frasques du président sortant, la persistance du racisme systémique et la remise en question des institutions et de la démocratie par plusieurs élus et par une partie de la population ont fait en sorte que la réputation et la crédibilité des États-Unis sur la scène internationale ont été mises à mal au cours des quatre dernières années.

Pour l’économie mondiale et la stabilité politique internationale, les relations qu’entretiendront les États-Unis avec la Chine seront capitales, mais aussi la reconstruction de leurs alliances et leur probable retour au multilatéralisme. Ces nouvelles orientations auront différentes répercussions sur le Canada.

La Chine, un concurrent redoutable ?

Les relations avec la Chine, un concurrent de plus en plus sérieux pour la suprématie américaine, seront prioritaires pour Joe Biden.

Pendant plusieurs années, une bonne partie de l’intelligentsia américaine a sous-estimé le potentiel économique et géopolitique de la Chine, prédisant que le « modèle chinois » allait s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions. Cette indolence a contribué au laxisme des États-Unis face aux transferts technologiques et à la délocalisation d’entreprises américaines vers la Chine, et créé des situations qui sont aujourd’hui au cœur du contentieux entre les deux pays.

La Chine a compris assez tôt que les États-Unis tenteront de freiner son développement économique et ses ambitions géopolitiques. Les alliances géopolitiques et militaires des États-Unis en Asie ― notamment avec le Japon, l’Inde et la Corée du Sud ―, les nombreuses bases militaires sur ce continent, les interventions militaires américaines au Vietnam, en Afghanistan et en Iraq, et les menaces répétées à l’endroit de l’Iran ont alimenté la méfiance des dirigeants chinois.

Pour les Chinois, la mer de Chine, lieu de transit vital pour son commerce, est une région névralgique sur le plan économique et militaire. Leurs revendications territoriales ― qu’elles soient justifiées ou non ―, leurs constructions d’îles artificielles à des fins militaires et l’accélération de leurs dépenses militaires ont nourri les inquiétudes des États-Unis.

Trump a fait de la Chine le bouc émissaire des problèmes qui affligent les États-Unis, c’est-à-dire le déclin du secteur manufacturier, la stagnation de la classe moyenne et la pandémie de COVID-19. Une bonne partie de la classe politique et de la population américaine perçoit maintenant la Chine comme un concurrent féroce et déloyal, mais aussi comme une menace économique et politique. Trump a bloqué certains investissements de la Chine aux États-Unis, en plus d’inciter les entreprises américaines à quitter ce pays et, plus récemment, de freiner l’ascension du secteur technologique chinois, en particulier celle du géant des télécommunications Huawei.

Dans l’absolu, Biden est persuadé que le meilleur moyen de concurrencer la Chine est d’accroître la compétitivité des entreprises américaines, un effort auquel le gouvernement américain doit contribuer en investissant massivement dans plusieurs secteurs de pointe.

L’administration Biden considère aussi la Chine comme un concurrent redoutable. Par contre, le président élu croit pouvoir la contenir par la négociation et par une réglementation plus stricte, sans exclure l’utilisation ponctuelle de tarifs et de sanctions. Dans l’absolu, Biden est persuadé que le meilleur moyen de concurrencer la Chine est d’accroître la compétitivité des entreprises américaines, un effort auquel le gouvernement américain doit contribuer en investissant massivement dans plusieurs secteurs de pointe comme l’intelligence artificielle, les télécommunications, la biotechnologie, l’aéronautique et les énergies propres.

La pandémie et la guerre économique déclenchée par Trump ont réduit l’interdépendance entre les deux superpuissances, mais, contrairement à Trump, Biden ne souhaite pas accélérer le découplage entre les deux économies. Toutefois, dans certains secteurs stratégiques, notamment les équipements médicaux et les produits pharmaceutiques, les États-Unis voudront réduire leur dépendance à l’égard des chaînes de production mondiales. De son côté, la Chine entend favoriser l’essor de la recherche-développement, de la production dans les entreprises de haute technologie et d’un secteur financier autonome, afin de diminuer sa dépendance à l’égard des États-Unis.

Biden traitera la Chine comme un concurrent de taille, mais aussi comme un pays avec lequel il faudra coopérer sur les enjeux internationaux pressants comme la pandémie, le réchauffement climatique, la prolifération nucléaire, la Corée du Nord, le terrorisme et la cybersécurité. Une nouvelle guerre froide qui diviserait le monde en deux, particulièrement dans une conjoncture où l’économie mondiale a été fragilisée par la COVID-19, serait coûteuse et dangereuse pour la stabilité mondiale. Il apparaît cependant peu probable que la Chine soit prête à faire des compromis sur les questions qu’elle considère comme relevant de sa politique intérieure ― notamment les droits de la personne à Hong Kong, au Tibet et dans le Xinjiang ― ou le statut de Taïwan.

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Renouer les alliances et réintégrer les organisations internationales

De tout temps, les États-Unis ont été favorisés par un réseau d’alliances très développé. Par contre, les attaques de Trump contre plusieurs chefs d’État de pays alliés, son appui au Brexit, son penchant pour les tarifs et le chantage, le retrait unilatéral de l’accord nucléaire avec l’Iran et la trahison des alliés kurdes au Moyen-Orient sont autant de signes du rejet du multilatéralisme et constituent un lourd héritage pour le successeur de Trump.

Une des grandes priorités de l’administration Biden sera donc de rétablir les alliances et les relations politiques et commerciales avec l’Union européenne, l’Asie et le Canada. Sans négliger ses intérêts, la nouvelle administration aura tout avantage à mettre un terme aux conflits commerciaux, à nouer des partenariats fondés sur les intérêts à long terme, à adopter des positions cohérentes sur la Chine et la Russie, et à entretenir l’OTAN.

Sur le plan géopolitique, Biden cherchera probablement à réintégrer la coopération internationale ― notamment l’OMS et l’OMC ―, à renégocier l’entente nucléaire avec l’Iran et avec les autres signataires, et à réintégrer l’Accord de partenariat transpacifique, conçu par les États-Unis et leurs alliés pour faire contrepoids à la Chine.

Les répercussions sur le Canada

En tant que voisin, allié et partenaire commercial le plus important des États-Unis, le Canada est soulagé par l’arrivée d’une nouvelle administration à Washington. Les années Trump ont plongé l’économie canadienne dans l’incertitude et ont été marquées par une longue et acrimonieuse renégociation de l’ALENA, l’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium canadien au nom de la sécurité nationale, la poursuite du conflit sur le bois d’œuvre et plusieurs autres escarmouches. Les pressions protectionnistes ne disparaîtront pas, mais il est permis de croire que les rapports commerciaux entre les deux pays seront moins conflictuels et davantage axés sur leurs intérêts économiques à long terme.

Sur le plan géopolitique, le Canada n’a pas avantage à subordonner ses intérêts et sa souveraineté à ceux des États-Unis dans une guerre froide contre la Chine. Il faudra qu’il se donne une plus grande marge de manœuvre dans ses relations économiques et politiques avec les deux superpuissances.

Sur le plan géopolitique, le Canada n’a pas avantage à subordonner ses intérêts et sa souveraineté à ceux des États-Unis dans une guerre froide contre la Chine. Il faudra qu’il se donne une plus grande marge de manœuvre dans ses relations économiques et politiques avec les deux superpuissances. On peut aussi espérer que le contentieux avec Huawei ― résultat de l’arrestation, par le Canada, de la directrice financière de l’entreprise et de la demande d’extradition des États-Unis ― se réglera, ce qui pourrait atténuer les répercussions économiques et politiques négatives sur le Canada.

Le Canada saluera certainement le retour des États-Unis dans les organisations internationales et les accords internationaux, y compris l’Accord de Paris. Les démocrates ont également promis des investissements massifs dans les énergies vertes et renouvelables ainsi que la réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles, ce qui réjouira une majorité de Canadiens. En revanche, la possibilité que l’administration Biden interrompe l’expansion de l’oléoduc Keystone XL pourrait être problématique pour le gouvernement Trudeau, qui tente de réconcilier les intérêts divergents des provinces canadiennes dans ce dossier.

Biden s’est aussi engagé à augmenter les impôts pour les plus fortunés et les grandes entreprises, à investir des montants importants dans le filet de sécurité sociale et l’éducation, et à rétablir et renforcer la réglementation dans plusieurs secteurs de l’économie, y compris les normes du travail et l’environnement. Bien que ces mesures dépendent en partie de l’équilibre des forces au Sénat, elles auraient pour effet d’amoindrir les écarts dans les coûts de production des deux pays et d’augmenter la compétitivité des entreprises canadiennes.

À court terme, la politique internationale ne sera pas la priorité de l’administration Biden, qui doit déjà faire face à une nouvelle flambée de COVID-19, à une économie chancelante et à une polarisation politique exacerbée. Mais les États-Unis devront prendre en compte le plus rapidement possible les défis de la politique internationale, dont certains sont urgents, pour gérer les risques associés à un affaiblissement de leur position sur l’échiquier mondial.

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle américaine de 2020.

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Philippe Fournier
Philippe Fournier est chargé de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) et chargé de cours en science politique à l’Université de Montréal.

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