Il est difficile en tant que femme autochtone d’écrire sur la mort de Joyce Echaquan. Cette mort ravive toutes les blessures de la colonisation. Comment réfléchir alors froidement aux réformes nécessaires de nos institutions ?

Au moment où j’écris ces lignes, le théâtre Espace Go de Montréal lance l’événement Je suis une femme d’octobre, un projet multidisciplinaire composé d’une exposition de photos, de balados et de récits historiques sur les luttes des femmes au tournant des années 1970. Il vise à « faire fléchir l’Histoire et en éclairer les angles morts », au moment où on commémore le 50e anniversaire de la crise d’Octobre.

J’ai participé à ce projet pour témoigner de l’important mouvement de contestation des femmes autochtones et de leur mobilisation durant les 50 dernières années. Convaincue que nous avons cruellement besoin de ce genre d’initiative ― même si on a parfois l’impression de jeter un pavé dans la mare ―, j’ai aussi écrit quelques lignes pour mettre en contexte les photos du projet.

J’ai donc raconté ce que je pense qu’il faut savoir sur la lutte de Mary Two-Axe contre l’assimilation forcée des femmes autochtones par la Loi sur les Indiens, la Commission de vérité et réconciliation du Canada relative aux pensionnats indiens, la mobilisation des femmes innues pour la protection du territoire dans la foulée du Plan Nord, Idle No More et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Quelques lignes dans l’espoir de piquer la curiosité des gens et de les inciter à en apprendre plus, parce que je sais que la guérison et la réconciliation dont nous avons besoin doivent passer par une importante prise de conscience informée de tous les membres de la société.

En écrivant sur tous ces sujets, j’ai été frappée par une chose : bien qu’ils soient tous liés, il s’agit de nombreux fronts différents. Mener une lutte juridique jusqu’à une cour internationale pour corriger les dimensions sexistes de la loi qui nous régit encore aujourd’hui, raconter nos traumatismes intimes au monde entier pour que le Canada reconnaisse que les pensionnats étaient une erreur immonde, se lever une fois de plus pour protéger le territoire contre un énième projet de « développement », chanter dans les centres commerciaux et sensibiliser la population partout au monde pour que nous puissions garder le modeste droit d’être consultés quand il s’agit de nos territoires et de nos droits, multiplier les stratégies pour qu’on nous entende enfin quand on dénonce les disparitions et les assassinats d’un nombre effarant de femmes de nos communautés. Toutes ces luttes ― et j’en passe ― en 50 ans d’histoire, c’est lourd à porter pour cette poignée de gens que nous sommes, alors qu’on sait qu’il faut de la quiétude pour guérir. Et surtout, avant toute guérison et toute réconciliation, il faut que l’agression cesse.

Toutes ces luttes en 50 ans d’histoire, c’est lourd à porter pour cette poignée de gens que nous sommes, alors qu’on sait qu’il faut de la quiétude pour guérir. Et surtout, avant toute guérison et toute réconciliation, il faut que l’agression cesse.

Alors que je faisais les derniers ajustements aux textes de l’exposition de photos, une autre agression survient : j’apprends la mort horrible de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette. Ce même hôpital dont il a été question à plusieurs reprises aux audiences de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (Commission Viens). Une autre commission, un autre front. Puis, la ministre responsable des Affaires autochtones Sylvie D’Amours, chargée de mettre en application les recommandations de ladite commission et visiblement dénuée de la sensibilité cruciale à ses fonctions, fait parvenir un communiqué qui vante les progrès de son gouvernement un an après la publication du rapport de la Commission Viens. Comme si ce n’était pas suffisant, on nous a ensuite rapporté les propos du maire de Joliette Alain Beaudry, visiblement déconnecté de la réalité de sa population : « On peut peut-être réfléchir [à ces questions sur le racisme], mais de là à dire qu’il y a un problème, moi je vois pas de problème majeur qui me saute aux yeux. »

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Cette réaction du maire Beaudry n’est pas sans rappeler celle du premier ministre Stephen Harper en 2014, lorsqu’il refusait de mettre sur pied une enquête nationale sur les disparitions et les assassinats de femmes autochtones, parce que, selon lui, on ne devait pas y voir un « phénomène sociologique », mais simplement « des crimes ». Pourtant, un rapport de la Gendarmerie royale du Canada qui venait de sortir avait confirmé que les femmes autochtones étaient surreprésentées parmi les femmes disparues et assassinées au Canada, et précisé que ce sujet était « sans contredit une préoccupation pour tous les services de police, mais représente également un défi sociétal plus large ».

Lors d’une cérémonie organisée par le Centre national pour la vérité et la réconciliation, des chefs autochtones et des survivants des pensionnats fédéraux déploient une banderole comportant les noms de 2 800 enfants autochtones morts dans les pensionnats (Gatineau, Qc, le 30 septembre 2019). La Presse canadienne / Justin Tang.

Le rapport Viens n’était pas le premier à sonner l’alarme. En 2009, il y avait eu un rapport d’Amnistie internationale, faisant suite à un précédent rapport publié en 2004, qui dénonçait les conditions de vie (et de mort) révoltantes des femmes autochtones au Canada et se référait au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996. Ce sont beaucoup de commissions et de rapports ; pourtant, ceux et celles qui ont un rôle majeur à jouer dans l’application des recommandations ne semblent que rarement en avoir pris connaissance. Nous sommes loin de la prise de conscience informée. Après la bonne conscience qu’apporte le fait de mener une commission, il faut en appliquer les recommandations, cela tombe sous le sens. Que dire lorsqu’on constate que, manifestement, des acteurs clés de la réconciliation ont l’air de dire, comme je l’ai déjà entendu : « Pourquoi parle-t-on de réconciliation ? Nous n’avons jamais été en guerre à ce que je sache. »

Il faut tout de même admettre que les temps changent et qu’il y a de plus en plus de gens qui œuvrent à réparer les erreurs du passé, et du présent. Mais une des causes de l’échec des efforts des institutions québécoises, comme le souligne le juge Jacques Viens dans son rapport, est le caractère temporaire des solutions. Les projets pilotes sont nombreux et souvent de réels porteurs de changement, mais faute de financement, ils meurent dans l’œuf. Une vision à court terme, à la pièce, prévaut, alors que nous savons que les effets de la colonisation sont profonds et complexes. Pour panser les plaies, nous avons besoin d’une vision à long terme et d’une collaboration pérenne entre les Autochtones et l’ensemble de la société québécoise et canadienne, sinon, nous continuerons à être uniquement des témoins révoltés des situations odieuses que vit un tiers-monde au Québec et au Canada.

Mais je crois en l’avenir de nos peuples. L’histoire témoigne de notre force et de notre volonté de nous relever. Je crois sincèrement qu’il est possible de travailler ensemble. J’ai voulu prêcher par l’exemple et j’ai demandé à Sébastien Brodeur-Girard, historien, avocat et professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue d’ajouter ses réflexions aux miennes.

Photo : Une vigile se tient devant l’hôpital de Joliette en mémoire de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de la communauté de Manawan, qui est décédée après avoir subi des propos racistes extrêmement violents (29 septembre 2020). La Presse canadienne / Paul Chiasson.

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Annie O’Bomsawin-Bégin
Annie O’Bomsawin-Bégin, membre de la nation des Abénakis d’Odanak, est professeure de philosophie au cégep de Saint-Jérôme.

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