La pandémie de COVID-19 affecte toutes les sphères de la société, mais ce sont les personnes vulnérables qui demeurent les plus durement touchées, car la crise sanitaire a aussi entraîné une récession sans précédent. L’écrasement des marchés boursiers, les pertes d’emploi et l’isolement social affectent de façon inégale les divers groupes de la société.

Depuis le mois de juin, l’Observatoire québécois des inégalités publie mensuellement le Baromètre des inégalités, un outil qui vise notamment à mesurer l’ampleur de l’augmentation des inégalités socioéconomiques depuis le début de la crise et à suivre l’évolution de ces inégalités au Québec.

Des données issues de Statistique Canada, d’organismes communautaires partenaires et de sondages menés par la firme Léger ont permis à l’Observatoire de mettre en évidence une augmentation des inégalités subies par les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les personnes racisées et les personnes en situation de handicap. Nous abordons ici quelques aspects de la situation vécue par les femmes.

Le taux d’emploi

Le Baromètre des inégalités fait le suivi de trois paramètres concernant les femmes au Québec : leur taux d’emploi, leur niveau d’inquiétude financière e leur degré de détresse psychologique. Ces indicateurs montrent que les femmes ont subi des inégalités à la fois plus rapidement et avec plus d’ampleur que les hommes.

Une comparaison entre le taux d’emploi des femmes et celui des hommes au Québec pendant la pandémie met en évidence un grand écart. Ainsi, le taux d’emploi des femmes a diminué plus tôt et davantage que celui des hommes (figure 1). Notons que le taux d’emploi des femmes était déjà plus bas que celui des hommes (59 % contre 65 %) au début de la période d’analyse, en février. Après avoir atteint son niveau le plus bas en mai, l’emploi chez les femmes a rebondi plus lentement que chez les hommes, jusqu’en juillet : les femmes avaient alors retrouvé 93 % du taux d’emploi de février, par rapport à 95 % pour les hommes.

Que montrent ces chiffres ? Plusieurs explications sont possibles. Il se peut que la reprise économique ait davantage profité aux hommes ou que les femmes aient quitté leur travail ou se soient retirées du marché de l’emploi pour s’occuper de leurs enfants ― une hypothèse plausible étant donné que les responsabilités parentales et les tâches domestiques sont déjà disproportionnellement à la charge des femmes. Outre cette inégalité des taux d’emploi, rappelons que les femmes sont aussi plus nombreuses à travailler à temps partiel, à avoir un contrat de travail temporaire, à cumuler plusieurs emplois et à ne pas faire partie d’un syndicat.

La charge mentale

L’Observatoire, en partenariat avec la firme Léger, mène un sondage mensuel auprès d’un échantillon représentatif de personnes qui permet de suivre l’inquiétude sur le plan financier et la détresse psychologique de la population québécoise. Les résultats de ce sondage montrent que les femmes vivent la crise actuelle bien différemment des hommes et que la charge mentale de la pandémie semble de plus en plus reposer sur leurs épaules.

En effet, l’inquiétude des femmes sur le plan financier a également augmenté plus fortement et plus rapidement que celle des hommes, comme le montre la figure 2 (à partir de l’indice de base 100 utilisé pour le mois de février). En avril dernier, elle atteignait un sommet et était près de 2,7 fois plus élevée qu’en février, tandis que chez les hommes, elle a atteint un sommet en mai et était 1,9 fois plus élevée qu’en février. Alors que l’inquiétude diminuait pour les hommes en juillet, elle faisait un bond chez les femmes : elle était alors 2,3 fois plus élevée qu’en février, par rapport à 1,3 fois chez les hommes. Ces résultats radicalement différents indiquent que les femmes portent potentiellement plus que les hommes le fardeau de la charge mentale reliée aux effets économiques de la pandémie, peut-être en partie parce que leur retour au travail se fait plus lentement que celui des hommes.

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Notre sondage mesure aussi la détresse psychologique des femmes et des hommes, évaluée selon une échelle qui a été adaptée de celle de Kessler et est définie par des sentiments comme la nervosité, l’agitation, la déprime, le désespoir ou l’impression  d’être bon à rien que les personnes ressentent la plupart du temps. La détresse des femmes a également fait un bond plus fort et plus rapide que celle des hommes : en avril, elle était 2,5 fois plus élevée qu’en février, par rapport à 2 fois chez les hommes (figure 3). Par la suite, elle a diminué plus rapidement en mai et en juin, jusqu’à devenir inférieure à celle des hommes en juin. C’est peut-être le fait de renouer certains contacts sociaux et la reprise sur le marché de l’emploi qui expliquent cette situation, qui se rapprochait de celle de février.

Alors que la détresse psychologique des hommes diminuait toujours en juillet, celle des femmes augmentait de nouveau au cours de la même période, après un mois de juin plus paisible. En juillet, la détresse psychologique des femmes était près de 1,4 fois plus forte qu’en février, contre 1,25 fois pour les hommes.

Comme pour l’inquiétude sur le plan financier, les courbes qui illustrent la situation des femmes et celle des hommes prennent donc des directions opposées en juillet. Il est toutefois possible que les données présentées ici aient un lien partiel de causalité, où la détresse psychologique serait liée à un retour à l’emploi plus lent et à une plus grande inquiétude sur le plan financier.

Les femmes racisées

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les femmes racisées, au Québec comme ailleurs au Canada, sont encore plus sujettes aux inégalités liées à la COVID-19. Tout d’abord, ces personnes sont plus fréquemment contaminées par le virus que le reste de la population, comme le souligne non seulement le Baromètre, mais aussi un récent rapport de la Direction régionale de santé publique de Montréal. Cependant, comme le gouvernement ne recueille pas d’informations permettant d’établir ce fait avec précision, ces déductions reposent sur la concentration de personnes racisées et sur le nombre de cas par quartier et par région. Cette inégalité sur le plan de la contamination par le virus se conjugue avec les autres inégalités qui touchent les femmes.

Les femmes racisées sont aussi fortement surreprésentées dans les emplois de première ligne. Dans le Grand Montréal, de 80 à 90 % des préposés aux bénéficiaires dans les établissements de soins aux personnes âgées sont des femmes racisées, notamment afrodescendantes ou d’origine africaine et maghrébine. Occuper des emplois de ce type aurait d’ailleurs créé chez elles un niveau d’anxiété élevé.

La situation sans précédent dans laquelle se retrouve actuellement le monde entier ne nous permet pas de prédire comment se fera la sortie de crise et quand nous connaîtrons un retour à une « nouvelle normalité ». Quelles inégalités persisteront ? Seront-elles les mêmes qu’avant la crise ?

Les politiques qui régissent la sortie de crise et l’après-pandémie devraient viser plus qu’un retour à la situation d’avant-pandémie, qui, rappelons-le, n’est pas un idéal auquel le Québec devrait aspirer. Dans la mesure où la réduction des inégalités est une priorité pour la population québécoise, les gouvernements ont maintenant une occasion unique pour repenser leurs politiques et réformer leurs approches, notamment à l’égard des femmes qui sont particulièrement touchées par la pandémie.

Cet article fait partie du dossier Combattre les inégalités pendant la reprise post-pandémie.

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Agnès Lys Granier
Agnès Lys Granier est chercheuse en sciences sociales à l’Observatoire québécois des inégalités. Elle s’intéresse tout particulièrement aux questions d’exclusion sociale, de gentrification et de logement.

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