Les secteurs de l’activité économique ne connaissent pas tous le même sort face à la crise de COVID-19. Les mesures de confinement ne les ont pas affectés de la même manière, et leurs perspectives de reprise dans le contexte pandémique sont inégales. Nous décrivons ici la logique selon laquelle les politiques sectorielles devraient s’élaborer pour soutenir l’activité économique au Canada.

L’impact de la crise selon les secteurs d’activité

Nous constatons que les secteurs les plus touchés par la crise de COVID-19 sont ceux qui, habituellement, sont relativement épargnés par les récessions économiques. En effet, la crise sanitaire a fortement réduit la demande des secteurs dits « recevant du public », c’est-à-dire ceux qui produisent des services pour une clientèle physiquement présente, comme l’hôtellerie-restauration ou des activités récréatives. Ils ont vu leur valeur ajoutée diminuer de plus de 50 % au cours des derniers mois. Or, lorsqu’on compare les épisodes de récession économique (figure 1), on observe que ces mêmes secteurs avaient su résister et maintenir leur niveau d’activité durant la crise de 2008.

À l’inverse, le commerce en ligne a, quant à lui, nettement progressé durant la pandémie, enregistrant une hausse de sa valeur ajoutée de plus de 20 %. Dans la récession de 2008, ce secteur avait subi une baisse d’activité plus importante que la moyenne.

En résumé, la manière dont la pandémie ébranle la structure sectorielle de l’économie ne ressemble à aucune des expériences de récession passées. L’économie canadienne est de ce fait confrontée à un problème inédit de réallocation de la main-d’œuvre entre secteurs.

La manière dont la pandémie ébranle la structure sectorielle de l’économie ne ressemble à aucune des expériences de récession passées. L’économie canadienne est de ce fait confrontée à un problème inédit de réallocation de la main-d’œuvre entre secteurs.

Qu’en sera-t-il de la période à venir ? Dans la mesure où les données présentées à la figure 1 portent sur la période de fermeture d’activités non essentielles, elles surestiment l’impact que la crise aura durant les 8 à 24 prochains mois. Néanmoins, elles fournissent une bonne indication des secteurs qui risquent d’être les plus sinistrés, soit l’hôtellerie-restauration, les activités récréatives et le transport de personnes, qui représentent près de 15 % de l’emploi total au Canada. En effet, les mesures de distanciation sociale adoptées depuis le début de la pandémie continueront d’entraver l’activité dans ces secteurs, en réduisant à la fois l’offre mais aussi la demande de services.

Le secteur de la restauration est un cas emblématique de cette situation. Nous illustrons ce propos en nous intéressant aux données de réservation en ligne d’OpenTable présentées à la figure 2.

En Alberta, où le déconfinement a commencé le 14 mai, l’activité dans la restauration est actuellement à 50 % du niveau auquel elle se situerait en temps normal, la demande s’étant rétablie en fonction de la présente capacité d’accueil de 50 %. Ce n’est pas le cas dans toutes les provinces. À Montréal et à Toronto, l’activité dans la restauration se situe à seulement 25 % du niveau auquel elle serait en temps normal. Ce déficit de demande peut s’expliquer par une reprise plus tardive de l’activité (le déconfinement pour la grande région de Montréal date du 22 juin ; celui de Toronto, du 24 juin). L’autre hypothèse est que la demande dans ce secteur ― autrement dit, nos envies et nos habitudes de consommation au restaurant ― est plus sévèrement affectée dans les zones où la COVID-19 a frappé durement et où la menace épidémique reste plus élevée.

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Cet ensemble de constats indique clairement qu’en limitant l’emploi dans certains secteurs, la distanciation sociale réduit l’efficacité des politiques de relance habituelles ― à savoir des transferts aux ménages ou des baisses de taxes ― qui visent à stimuler la consommation et l’investissement dans leur ensemble ou à stimuler de façon ciblée la demande pour ces secteurs. Cette situation appelle le déploiement de dispositifs d’aide particuliers.

Le soutien à l’économie selon une logique sectorielle claire

Dans ce contexte inédit, il nous semble indispensable d’aider financièrement les entreprises afin d’éviter que leurs fermetures viennent multiplier les destructions d’emplois initiales.

Les garanties de prêt sont la première composante de ce programme d’aide aux entreprises. Au Québec, ces garanties sont octroyées par l’entremise du programme Aide d’urgence aux petites et moyennes entreprises et du Programme d’action concertée temporaire pour les entreprises. Au fédéral, elles le sont par le Programme de crédit aux entreprises. Ces aides sont indispensables dans la mesure où elles permettent aux entreprises viables à long terme de faire face aux problèmes de liquidités causés par la crise sanitaire.

Les subventions salariales complètent ces garanties de prêt. Grâce à cette seconde composante du programme d’aide aux entreprises, les emplois (et non seulement les entreprises) peuvent être sauvegardés. Nous pensons que ces subventions salariales seront nécessaires tant que les mesures de distanciation sociale restent en vigueur. Par exemple, la Subvention salariale d’urgence du Canada, qui prend fin  le 29 août 2020, devrait être prolongée au-delà de cette date. Le taux de chômage élevé rend le coût fiscal net des mesures de subventions salariales très faible, voire même négatif. Le montant de la subvention salariale (égal à 75 % des salaires versés) devrait néanmoins être abaissé à un niveau qui ne fasse pas obstacle à la réallocation de l’emploi vers les secteurs qui embauchent.

Nous recommandons de cibler ces aides selon une logique sectorielle claire.

Tout d’abord, la priorité devrait être donnée aux secteurs qui sont affectés directement par les mesures de distanciation sociale, car ils ne peuvent être soutenus par les politiques de stimulation de la demande auxquelles on fait habituellement appel pendant les récessions. Par ailleurs, l’aide apportée aux entreprises qui opèrent dans ces secteurs est socialement efficace, pour au moins deux raisons. La baisse de rentabilité subie par ces entreprises est temporaire. Leur rentabilité reviendra à son niveau antérieur lorsqu’un traitement efficace et un vaccin contre la COVID-19 seront en place. Et les mouvements de main-d’œuvre vers les secteurs qui embauchent sont trop lents pour permettre à ces derniers d’absorber les chômeurs en provenance des secteurs sinistrés.

Ensuite, parmi ces secteurs directement affectés, il faut donner la priorité à ceux dans lesquels le coût de laisser les entreprises faire faillite (et de recréer des entreprises similaires lorsque la crise sera terminée) est le plus élevé. Ce coût est particulièrement important dans les secteurs qui requièrent des investissements n’ayant qu’une valeur limitée pour les autres secteurs. Le cas des compagnies aériennes illustre cette logique de manière simple et éloquente. En effet, les avions servent exclusivement au transport aérien et ne peuvent être réalloués à d’autres secteurs d’activité. Les faillites dans ce secteur, suivies de créations de nouvelles compagnies aériennes lorsque le contexte sera plus propice, sont un processus particulièrement coûteux pour l’économie.

Enfin, remarquons que les aides aux entreprises ne suffiront pas à retourner au plein emploi, notamment en raison des contraintes que représente la distanciation sociale. Il faut donc les compléter par des politiques qui stimulent le développement de certains secteurs. C’est là une opportunité de réorienter l’économie vers des secteurs qui participent de la lutte contre les changements climatiques. De multiples leviers d’action existent ― aides à la décarbonisation, investissements pour des infrastructures de traitement des déchets et des eaux usées, et bien d’autres. Ces mesures pourraient être accompagnées d’incitations fiscales qui favorisent les réallocations de la main-d’œuvre vers ces secteurs.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

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Étienne Lalé
Étienne Lalé est professeur au Département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal. Ses travaux portent sur les fluctuations macroéconomiques et les évolutions du fonctionnement du marché du travail.
Sophie Osotimehin
Sophie Osotimehin est professeure au Département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal. Ses travaux portent sur la productivité de l'économie et des entreprises.

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