En cette période de pandémie, le ministère de la Santé et des Services sociaux a mis en place un groupe de travail qui se penche sur la question de l’attribution de l’équipement médical (respirateurs et autres) en cas de manque de ressources. En effet, la pandémie de COVID-19 met en cause des valeurs et principes éthiques importants. S’il est clair que la santé publique doit pouvoir limiter certains droits individuels pour protéger la santé de tous, il n’est toutefois pas acceptable éthiquement de restreindre l’accès à des soins intensifs en fonction de l’âge en tant que critère social.

Actuellement, certains pays, l’Italie par exemple, utilisent le critère de l’âge pour priver des patients de 70 ans et plus atteints de la COVID-19 de traitements de soins intensifs et d’un respirateur. En période de pénurie de ressources, la discrimination en fonction de l’âge n’est pas inhabituelle dans le domaine de la santé. Mais ce n’est pas parce que la pratique existe qu’elle est éthiquement justifiée. On ne parle pas ici de l’âge considéré dans un contexte clinique plus large qui tient compte des affections graves et des comorbidités d’une personne. De ce point de vue, une personne jeune ou d’âge moyen pourrait, dans les faits, être plus gravement malade qu’une personne âgée. On met en question ici une politique qui s’appliquerait à toute personne âgée de 70 ans et plus sans égard au contexte clinique.

Les statistiques sur la COVID-19 publiées sur toutes les tribunes insistent sur le fait que les personnes de 70 ans et plus courent plus de risque de décéder du virus. Or, d’une part, les statistiques ne rapportent que des moyennes et ne peuvent s’appliquer au traitement d’un individu en particulier, et, d’autre part, une personne jeune qui est atteinte d’une maladie pulmonaire ou présente d’autres facteurs de risque aggravants est aussi susceptible, sinon plus, de décéder du coronavirus qu’une personne âgée en bonne santé. Utiliser l’âge en tant que critère social pour exclure une personne des soins intensifs est discriminatoire, tout comme le serait une exclusion selon le genre, la couleur, la communauté d’appartenance, le statut social ou tout autre critère qui n’a pas de lien avec l’état de santé de la personne.

Pour comprendre l’importance d’évaluer l’état de santé globale d’une personne, il faut se rappeler que la finalité ultime de toute intervention est d’améliorer l’état de santé ou du moins d’empêcher qu’il ne se dégrade. Cette finalité ne doit jamais être perdue de vue lorsqu’il est question de l’accès aux ressources, notamment à un respirateur ou à des soins intensifs. Ce sont les professionnels de la santé qui, grâce à leurs connaissances, à leur expérience, à l’examen clinique et aux résultats des tests, évalueront l’état de santé du patient et prescriront les soins et traitements appropriés à ses besoins.

La conduite éthique en santé ne s’arrête pas à l’évaluation de l’état de santé. Les professionnels doivent aussi consulter le patient apte pour connaître ses volontés et ses attentes en matière de soins, tout en l’informant des risques et des avantages des traitements.

Toutefois, la conduite éthique en santé ne s’arrête pas à l’évaluation de l’état de santé. Les professionnels doivent aussi consulter le patient apte pour connaître ses volontés et ses attentes en matière de soins, tout en l’informant des risques et des avantages des traitements. Cela est particulièrement important quand il s’agit de traitements et d’équipements qui maintiennent les fonctions vitales de la personne, comme c’est le cas du respirateur.

À cet égard, il faut rappeler qu’en vertu du principe de respect de l’autonomie et de l’article 11 du Code civil du Québec, toute personne apte peut refuser un traitement même s’il maintient les fonctions vitales, pourvu qu’elle ait reçu l’information pertinente pour prendre sa décision et que sa décision soit prise sans pression indue. Des études montrent que les personnes aptes sont peu consultées quand il s’agit des questions de fin de vie et que ce sont plutôt les proches qui le sont une fois la personne devenue inapte. Il importe donc que les personnes aptes informent leurs proches de leurs volontés concernant la réanimation et l’usage d’un respirateur, qu’elles remplissent le formulaire des Directives médicales anticipées (DMA) à cet effet et qu’elles discutent des niveaux d’intervention médicale (NIM) avec leur médecin. Rappelons que le médecin a une obligation légale de respecter les volontés émises dans les DMA tout comme celles du NIM. En contexte de pandémie, en tiendra-t-on compte ? Voilà un autre aspect du dilemme éthique que soulève la question des ressources limitées en soins intensifs.

Deux conditions d’équité sont fondamentales pour ce qui est de l’accès aux soins et aux services de santé : utiliser les mêmes règles pour un même type d’affection, sans faire de discrimination en fonction de critères sociaux, et répondre aux besoins tels qu’ils ont été évalués par les professionnels de la santé.

Certaines affections doivent être traitées en priorité puisqu’elles pourraient entraîner des séquelles graves, voire le décès. Une liste d’attente appliquée sans considération du critère d’urgence n’est donc pas la solution éthique à la répartition de ressources limitées, en l’occurrence celles des soins intensifs. Si un service établit une liste d’attente à cause d’un manque de lits ou d’équipements, alors le critère d’urgence doit avoir priorité sur la liste d’attente. Favoriser un patient en fonction du mérite, par exemple un membre du personnel soignant, n’est pas non plus un critère éthique. Ce sont des critères médicaux qui doivent déterminer l’accès à des soins intensifs et à un respirateur pour traiter une affection. Et cet accès doit se faire dans le respect des droits individuels, notamment le droit de refus que peuvent exercer des personnes de 14 ans ou plus, ou un mandataire ou un proche en cas d’inaptitude.

L’État de New York s’est doté en 2015 de lignes directrices en matière d’allocations de respirateurs, intitulées « Ventilator Allocation Guidelines ». Dans ce document, on précise que tous les patients qui ont besoin d’un respirateur, qu’ils soient atteints d’un virus ou d’une autre maladie, doivent être traités selon les mêmes règles, et que ce sont ceux dont la vie est menacée à court terme qui doivent y avoir accès en priorité. Les interventions électives sont limitées, et le triage s’exerce en trois étapes :

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  • l’application des critères médicaux d’exclusion pour choisir les patients qui ont les meilleures chances de survie avec l’utilisation d’un respirateur ;
  • l’évaluation du risque de mortalité à l’aide d’un système de cotes permettant de suivre l’état d’un patient en défaillance d’organe, nommé « Sequential Organ Failure Assessment », qui établit un pronostic pour chaque patient ;
  • la réévaluation périodique du pronostic après 48 et 120 heures d’utilisation du respirateur. Après cette réévaluation, on retire le respirateur des patients dont l’état de santé ne s’est pas amélioré. Pour eux, tout comme pour les personnes qui n’auront pas accès au respirateur à cause des ressources limitées, on envisage d’autres formes d’interventions, incluant des soins palliatifs. À ce stade, les services de santé n’encouragent pas l’utilisation de la ventilation manuelle parce qu’elle peut contribuer à la propagation du virus, augmenter l’inconfort du patient et être trop exigeante pour des familles qui le feraient sur de longues périodes.

Ces lignes directrices correspondent aux grands principes éthiques reconnus et appliqués dans le domaine de la santé en Occident.

L’Ontario vient d’établir un protocole d’éthique pour le personnel de la santé au cas où les ressources limitées obligeraient les médecins à faire des choix difficiles. Selon un article du Globe and Mail, le protocole se base aussi sur les chances de survie des patients. Cependant, il semble qu’on n’évaluerait pas l’efficacité de l’utilisation du respirateur pour savoir s’il a permis d’améliorer l’état clinique du patient. De plus, les personnes ayant un cancer métastatique, celles qui sont en arrêt cardiaque et celles qui ont une déficience cognitive, modérée ou sévère, seraient a priori exclues. De telles règles contreviendraient au principe d’équité.

Des études sur la limite des ressources en santé, notamment pour ce qui est de la transplantation d’organes et de la dialyse rénale, indiquent qu’il est nécessaire d’avoir des règles communes et de les appliquer de la même façon pour réussir à donner une égalité d’accès à des ressources sanitaires limitées, que ce soit des appareils, des lits ou du personnel soignant. Cette égalité est compromise si les règles diffèrent d’un établissement à l’autre ou ne sont pas appliquées de la même façon. Si un établissement applique uniquement la règle du premier arrivé-premier servi (l’équivalent de la liste d’attente), alors qu’un autre détermine les priorités selon le critère d’urgence clinique, il n’y a pas égalité d’accès au service pour les patients. Certains seront pénalisés selon leur lieu de résidence.

Il est essentiel à la pratique éthique que les règles soient les mêmes pour un même type d’affection et appliquées de la même façon, c’est-à-dire sans faire de discrimination indue entre les patients. Utiliser l’âge comme critère d’exclusion serait une discrimination indue, puisque non fondée sur l’état de santé.

C’est l’évaluation des besoins par l’équipe de soins qui est déterminante pour établir l’accès aux ressources limitées. En termes de soins, cela signifie que tout critère qui ne concerne pas l’état de santé de la personne n’est pas éthiquement admissible. En situation de pandémie, le processus décisionnel qui préside à la sélection des personnes qui pourront bénéficier d’un respirateur est beaucoup plus complexe que la simple application d’un critère social comme l’âge. Et il est surtout plus équitable quand il s’inscrit dans une démarche d’évaluation de l’état de santé et de l’intervention appliquée en accord avec les volontés du patient.

Je tiens à remercier Marjolaine Frenette, infirmière, Gary Mullins, juriste et gestionnaire, et Louise Ringuette, microbiologiste et étudiante au doctorat en bioéthique, pour leur collaboration à cet article.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Shutterstock / Robert Kneschke

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Jocelyne Saint-Arnaud
Jocelyne Saint-Arnaud est professeure associée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, et chercheuse au Centre de recherche en éthique et à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal.

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