La première chose que j’ai remarquée après ma chirurgie de féminisation faciale il y a quelques années, c’est la dissipation de mon anxiété et de mes peurs de l’espace public. À la suite de mauvaises expériences — insultes criées avec beaucoup d’agressivité dans la rue ou encore objets lancés sur moi —, j’avais développé une peur du monde. Le simple fait de sortir pour aller à l’épicerie était difficile. Est-ce que je me ferais encore intimider ? Est-ce que cette fois on m’attaquerait même physiquement ?

Malgré la peur occasionnelle de me faire encore identifier comme transgenre dans mes interactions sociales, je me déplace aujourd’hui allègrement dans les rues de Montréal, sans trop penser à mon genre ni à la façon dont il sera perçu par mon entourage. N’étant plus dominée par la peur du harcèlement, de la discrimination et de la violence, ma dysphorie de genre s’est allégée. Cela m’a permis de retrouver ma joie de vivre, de devenir plus active socialement et de m’investir davantage dans la société. Ce fut un bénéfice pour moi autant que pour les autres.

Au Québec, la chirurgie que j’ai subie n’est pas couverte par le régime public d’assurance maladie. Parmi les interventions offertes aux femmes trans et autres personnes transféminines, seules l’hormonothérapie substitutive et les chirurgies génitales (et pas toutes, l’orchiectomie n’étant pas remboursée) sont couvertes par le gouvernement. Les chirurgies de construction mammaire, des cordes vocales et de féminisation faciale, en plus de l’épilation faciale au laser ou par électrolyse, doivent être payées par les personnes qui y ont recours.

Les femmes trans et autres personnes transféminines ne souhaitent pas nécessairement subir chacune de ces interventions. Les besoins et les désirs varient. Il s’agit d’un choix très individuel, fondé sur de multiples considérations qui ont trait tant à la dysphorie ou à l’euphorie de genre qu’au sentiment de bien-être et de sécurité dans l’espace public.

Les coûts des chirurgies sont assez élevés. Pour une chirurgie de construction mammaire et de cordes vocales, il faut débourser plus de 5 000 dollars. L’épilation faciale peut coûter jusqu’à 10 000 dollars dans les cas d’électrolyse de l’ensemble du visage. Et pour une chirurgie de féminisation faciale, il faut compter généralement plusieurs dizaines de milliers de dollars. Il n’est donc pas étonnant que de nombreuses interventions soient difficilement accessibles aux personnes qui désireraient en bénéficier.

Mais mesurés à l’échelle de l’État, ces coûts n’ont rien d’inhabituel. Rappelons ce que le gouvernement dépense pour l’éducation, par exemple. Il paie en moyenne 14 000 dollars pour l’éducation d’un étudiant au baccalauréat en sciences humaines et sociales, 21 400 dollars pour celle d’un étudiant en sciences pures et jusqu’à 245 000 dollars sur cinq ans pour un étudiant en médecine vétérinaire. Et c’est sans parler des coûts des études aux cycles supérieurs, des coûts associés aux changements de programme ou de ceux du programme d’aide financière aux études.

Le gouvernement consacre ces sommes aux études parce qu’il valorise l’importance de l’éducation en société, sachant qu’il investit ainsi dans une société plus productive et plus épanouie. C’est un choix judicieux.

Or investir dans les soins pour personnes trans est aussi un choix judicieux. C’est un choix qui ne relève pas seulement de l’empathie pour les personnes trans, mais aussi de l’acceptation de leur égalité et de leur droit à l’épanouissement. Pour moi, la chirurgie de féminisation faciale — que j’ai pu payer en grande partie grâce à l’aide de mes parents — a mené à une plus grande implication sociale de ma part. Je termine actuellement une maîtrise en droit, et mes contributions à la société ont été maintes fois reconnues. Les personnes qui se sentent bien s’engagent.

Pour ceux que l’empathie et l’engagement social ne convainquent pas, mentionnons que faciliter l’accès aux interventions médicales pour les personnes trans c’est aussi investir dans la productivité économique. Si j’ai peur de sortir de chez moi, comment s’attendre à ce que je participe pleinement à l’économie québécoise ?

The inner workings of government
Keep track of who’s doing what to get federal policy made. In The Functionary.
The Functionary
Our newsletter about the public service. Nominated for a Digital Publishing Award.

Ces interventions ne seraient-elles pas purement esthétiques ? C’est un argument souvent entendu. Pourtant il est faux. Ces interventions sont médicalement nécessaires chez les personnes qui les désirent.

Selon l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres et son homologue canadien, l’Association professionnelle canadienne pour la santé transgenre, aucune des interventions mentionnées n’est vraiment optionnelle. Non seulement elles sont médicalement nécessaires, c’est-à-dire essentielles à la santé, mais dans bien des cas elles peuvent sauver la vie des personnes concernées. Elles sont aussi importantes et même, dans certains cas, plus importantes encore que les chirurgies génitales, car nos visages, notre voix et la forme de notre torse ne sont pas cachés la plupart du temps. C’est pourquoi l’association mondiale demande que ces services soient couverts par l’assurance maladie.

L’opinion de l’Association mondiale est basée tant sur le consensus des experts que sur les études scientifiques sur le sujet. Les personnes qui ont eu accès à toutes les interventions désirées en rapport avec leur transition ont un taux d’idéation suicidaire de 47,5 % moins élevé que celles qui n’ont pas encore obtenu toutes les interventions souhaitées. L’accès aux chirurgies de construction mammaire est associé à une amélioration de la qualité de vie psychosociale de 128,6 %, alors que l’accès aux chirurgies de féminisation faciale correspond à une amélioration de la qualité de vie psychologique de 71,6 %. Bien que peu de données existent sur l’épilation faciale et les chirurgies des cordes vocales, tout semble indiquer que leurs bienfaits sont semblables.

Ces données confirment ce que des études soutiennent depuis une trentaine d’années : l’accès à la transition médicale chez les personnes trans qui la désirent a des effets indubitablement positifs et est crucial à leur bien-être.

Il est temps que le gouvernement du Québec offre une couverture d’assurance pour l’ensemble des soins de transition dont ont besoin les personnes trans. Ces soins sont essentiels au bien-être des communautés trans québécoises et seront compensés par l’engagement accru des personnes trans dans la société québécoise.

Photo : Défilé de la Fierté gaie à Toronto, le 25 juin 2017. Shutterstock / Shawn Goldberg


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Florence Ashley
Florence Ashley is a transfeminine jurist and bioethicist. They are a doctoral candidate at the University of Toronto faculty of law and joint centre for bioethics, and will soon publish a book with UBC Press on conversion practices. Their work focuses on trans legal issues and access to health care. They tweet at @ButNotTheCity.

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License