Comme vous le savez, le débat portant sur la révision du mode de scrutin n’est pas nou- veau. Rappelez-vous qu’à l’élection de 1966, l’Union nationale avait remporté une majorité de sièges malgré le fait que le Parti libéral avait obtenu une pluralité de votes. Cette situation était en fait une réédition de ce qui s’était déjà produit à l’élection de 1944.

L’élection de 1998, où les libéraux ne purent obtenir une majorité de sièges malgré qu’ils aient remporté la pluralité des votes, combiné au fait que le résultat produisit également une sous-représen- tation de l’Action démocratique, con- tribua à raviver l’intérêt pour la question de la révision du mode de scrutin. Cette fois cependant, la question trouva un écho non seulement au sein des milieux politiques et universitaires mais égale- ment dans la société civile. Sous l’im- pulsion, entre autres, du Mouvement pour une démocratie nouvelle, la ques- tion est demeurée à l’agenda politique de tous les partis. Ce mouvement rallie des citoyens de tous les milieux autour de l’idée maîtresse qui consiste à proposer de modifier le mode de scrutin afin que la composition de l’Assemblée nationale reflète avec plus de justesse la volonté exprimée par les électeurs et qu’ainsi le gouvernement qui en émane corresponde plus justement au vote exprimé. Il s’agit donc d’un changement marqué de l’opinion publique par rap- port aux années 1970 et 1980.

De manière très concrète, afin de préciser le projet qui est en pro- cessus d’élaboration, sur lequel nous avons commencé à consulter et qui sera déposé à la session du printemps pour consultation publique, nous devons répondre à trois questions, dont la pre- mière : Pourquoi modifier nos institutions démocratiques?

En effet, les fondements de notre démocratie sont solides et éprouvés. D’une part, les électeurs peuvent être membres ou non de partis politiques. S’ils souhaitent militer dans un parti politique, quel qu’il soit, ils peuvent le faire sans craindre pour leur sécurité ou celle de leurs proches. Et les députés peuvent exercer leur mandat sans craindre d’être victimes d’influences indues. D’autre part, la presse dispose de toute la latitude possible pour scruter l’action du gouvernement et des politiciens. Elle joue un rôle essen- tiel dans l’information des électeurs et contribue à la santé de la démocratie.

Plusieurs sociétés peuvent nous envier ce bilan. Pourquoi alors ce débat sur la nécessité d’une réforme des insti- tutions démocratiques et de réviser, en particulier, le mode de scrutin? Je retiens deux éléments.

Dans un premier temps, on peut penser que la population accorde plus d’importance que par le passé à l’adéquation entre le vote et l’élection des députés à l’Assemblée nationale. On ne semble plus se satisfaire de choisir un gouvernement en sachant que le mode de scrutin lui donnera une majorité substantielle. On souhaite que l’Assemblée nationale reflète avec plus de justesse la diversité des opinions politiques.

Dans ce contexte, le mode de scrutin actuel souffre de lacunes cer- taines. Il tend à surreprésenter le parti politique qui remporte les élections. Il tend à sous-représenter les tiers partis. Il favorise, souvent et pour de longues périodes, dans certaines régions, la pré- dominance d’un parti politique à l’ex- clusion de tout autre. Il permet qu’un parti puisse faire élire une majorité de députés alors qu’il n’a pas obtenu la pluralité des votes.

Dans un deuxième temps, les con- sultations publiques ont clairement démontré la volonté des citoyens d’as- sumer une part plus active dans le débat politique de manière à être entendus et à exercer une influence réelle sur les décisions qui les touchent plus directement. Ceci non seulement au moment des élections pour changer ou conserver un gouvernement, mais au quotidien, alors que les députés et ministres sont appelés à débattre et à prendre des décisions.

À la réflexion, on peut penser que c’est le lien de confiance entre les citoyens d’une part, et l’État, d’autre part, qui est fragilisé. La baisse du taux de participation lors des dernières élections au Québec est considérée comme un indice significatif de la perte d’intérêt de la population envers la politique.

Nous pourrions discuter longtemps de cette situation. Les avis divergent quant aux liens de cause à effet et aux solutions avancées. Mais en politique, les perceptions comptent autant que la réalité. Je crois qu’on ne peut continuer de l’ignorer sans risquer d’affaiblir davantage la légitimité des acteurs poli- tiques. Cependant, ce serait une erreur de croire que des changements aux institutions politiques peuvent, seuls, corriger la situation. Dans bien des cas, c’est la nature même de la décision et les choix des acteurs qui sont en jeu, et non le système lui-même. Mais ce serait plus grave de croire que des changements au processus et aux institutions ne permet- traient pas d’améliorer la situation.

La deuxième question que nous devons nous poser est la suivante : Que devons-nous changer? C’est de loin la plus difficile dans sa portée car il ne suffit pas de changer pour chan- ger, encore faut-il que les changements en question fassent l’objet du plus large consensus possible.

Premièrement, le mode de scrutin doit être révisé afin d’assurer une représentation plus fidèle de la volon- té des électeurs. Deuxièmement, il nous apparaît qu’à la lumière de l’ex- périence, entre autres, des dernières élections générales et en raison notamment de la baisse du taux de participation, la Loi électorale doit être revue et amendée afin d’améliorer l’exercice du droit de vote. Enfin, il nous apparaît important de procéder à une réforme parlementaire tant à l’égard du Règlement de l’Assemblée nationale que pour assurer une parti- cipation accrue de la population aux travaux de l’Assemblée nationale et pour revaloriser le rôle des députés.

Avant de préciser ces trois axes, j’aimerais faire certains commentaires sur la portée des changements envisagés.

D’abord j’ai l’intime conviction que des changements sont nécessaires mais dans le cadre du système politique que nous connaissons. Alors qu’il existe un courant d’opinion très favo- rable à une révision du mode de scrutin, on ne peut observer un appui comparable à l’idée de remplacer le sys- tème parlementaire britannique dans lequel nous évoluons. Outre le peu d’appui que la question a suscité, il est loin d’être certain que I’institution d’un régime présidentiel au Québec, dans l’état actuel des choses, franchirait le test de la validité constitutionnelle. En effet, la Cour suprême a établi clairement à travers plusieurs décisions que le système parlementaire britan- nique jouit d’une protection constitu- tionnelle. Ce système se caractérise par l’élection d’un gouvernement respon- sable dirigé par un Premier ministre issu de l’assemblée des élus qui doit, pour accomplir son mandat, garder la confiance des élus.

On pourrait bien discourir sur les vertus d’autres régimes politiques que nous pourrions importer, mais ce serait une entreprise de très longue haleine qui ne peut se justifier qu’en raison des avantages qu’on peut raisonnablement en espérer. Or, la démonstration n’a pas été faite que des changements radicaux à notre système politique corrigeraient les problèmes évoqués précédem- ment d’une manière probante et durable.

Il serait irresponsable d’envisager une possibilité de changement dont on serait en droit de présumer de l’échec. Il est de loin préférable de con- centrer les énergies de l’Assemblée nationale et du gouvernement sur la question qui fait consensus, soit celle de la révision du mode de scrutin.

À ce propos, le gouvernement entend proposer un mode de scrutin proportionnel mixte, de type compen- satoire. Ce mode de scrutin permet l’élection de députés de circonscrip- tion, tout en prévoyant l’élection d’un certain nombre de députés dits « de liste » ou « compensatoires » pour combler les écarts constatés entre les votes exprimés selon les partis et les députés de circonscriptions élus.

The inner workings of government
Keep track of who’s doing what to get federal policy made. In The Functionary.
The Functionary
Our newsletter about the public service. Nominated for a Digital Publishing Award.

Ce choix apparaît déterminant si on considère l’expérience et les consultations récentes. En effet, il nous sem- ble que si la population est prête à modifier le mode de scrutin pour cor- riger les écarts dans la représentation, elle ne souhaite pas cependant une rupture radicale avec le mode de scrutin actuel qui offre un lien direct entre les électeurs et leurs députés. Les députés, pour leur part, jugent très important de maintenir ce lien direct qui donne tout son sens aux élections et à leur rôle de représentant de la po- pulation. Tout changement qui con- tribuerait à briser ce lien ou n’en tiendrait pas compte suffisamment n’a aucune chance d’être accepté.

Deuxièmement, le Parti libéral du Québec, de même que le Parti québé- cois et l’Action démocratique, a adopté des positions favorables sur le principe d’un changement de mode de scrutin de ce type. Troisièmement, on constate aussi un certain consensus des experts en faveur d’un mode de scrutin mixte. Et finalement, l’expérience de certains pays, telles la Nouvelle-Zélande et l’Écosse, démontre que le parlemen- tarisme britannique est compatible avec un tel mode de scrutin.

Une fois établi le type de mode de scrutin que nous souhaitons, il reste tout de même plusieurs questions à débattre et à trancher. Par exemple :

  • Est-il préférable d’avoir un seul vote, tel que notre système actuel le prévoit, ou faut-il recourir à deux votes, le premier pour le can- didat et le second pour le parti politique?

  • En considérant que nous conser- vons le nombre actuel de députés, combien de circonscriptions de- vrions-nous retenir comme mo- dèle? 75, 80, 85? Les autres sièges étant retenus pour les fins de la compensation.

  • Comment sera élaborée la liste des candidats aux fins de la compen- sation? Doit-on retenir la double candidature de circonscription et celle de liste?

  • Le calcul de la compensation devrait-il prendre en compte l’ensemble des votes exprimés à l’échelle du Québec ou sur une base de régions? Combien de régions pourrait-on considérer selon cette dernière approche?

  • Un seuil de 5 % des votes exprimés est-il acceptable pour les fins de la répartition des sièges?

Autant de questions et certaines autres, telle l’amélioration de la représen- tation des femmes et des communautés culturelles, retiendront notre attention au cours des prochains mois.

Au-delà des préférences que nous pourrons exprimer à travers les discussions à venir, il faudra s’assurer que l’ensemble des caractéristiques retenues per- mette, en pratique, d’atteindre l’objectif visé, à savoir d’assurer la meilleure représentation possible à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, une fois défini, le nou- veau mode de scrutin demandera une mise en œuvre soigneusement plani- fiée en considérant la conception de la carte électorale, l’adaptation du proces- sus électoral autant pour le Directeur général des élections qu’au sein des dif- férents partis. Il faut aussi prévoir l’in- formation et la formation de l’électorat à ces nouveaux changements.

En plus des changements qui découleront d’un nouveau mode de scrutin, il faudra procéder à des modifi- cations importantes à la Loi électorale afin de favoriser l’exercice du droit de vote, notamment celui des personnes en perte d’autonomie et celui des personnes résidant temporairement à l’étranger. De même, l’objectif et le déroulement du vote par anticipation ainsi que ceux du jour du scrutin devront faire l’objet d’un examen parti- culier. Par ailleurs, plusieurs proposent  d’introduire des mécanismes dits de démocratie directe (référendum d’initia- tive, rappel des députés) afin d’assurer que les décisions reflètent vraiment la volonté des citoyens et de rétablir la confiance de ces derniers envers les institutions politiques. Sans nier un cer- tain mérite à ces propositions, je doute sincèrement qu’elles atteignent l’objec- tif fixé dans le contexte qui est le nôtre.

Maintenant, la troisième question : Comment allons-nous procéder? À cette question, je répondrais… de manière très pragmatique. Les prochains mois seront employés à définir le projet selon les trois axes décrits précédem- ment. Cette démarche implique, dans un premier temps, des rencontres de travail avec des personnes, des groupes et des organismes intéressés, avec des experts ainsi qu’avec les représentants des divers partis politiques.

Ainsi, à la session du printemps prochain, notre gouvernement fera con- naître les modifications au mode de scrutin qu’il privilégie ainsi que les autres modifications qui seront apportées à la Loi électorale. Le projet fera état non seulement des propositions, mais aussi des textes législatifs qui en découlent. Il proposera aussi une réflexion et un ensemble de propositions visant à ren- forcer la participation des citoyens aux travaux de l’Assemblée nationale.

Au terme de cette consultation, nous devrons faire des choix. Au sujet du mode de scrutin, je souhaite que nous obtenions le plus large consensus possible. Au sujet des modifications à la Loi électorale, j’entends procéder selon l’approche généralement suivie par le passé en accord avec les partis politiques représentés au sein du Comité consultatif. En ce qui concerne les modifications aux travaux de l’Assemblée nationale, je chercherai à obtenir l’unanimité des élus autour des changements appropriés.

En résumé, nous souhaitons une démocratie plus représentative, plus participative et plus efficace.

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License